Libéralisme économique mais État protecteur, libéralisme sur le plan des mœurs mais attachement aux valeurs traditionnelles. Progressiste mais moderne, européen mais patriote. Le "en même temps" est un art difficile mais nécessaire que Valéry Giscard d’Estaing a parfaitement incarné.

Tous les présidents de la Ve République sont des personnalités complexes et difficiles à ranger dans des cases. C’est particulièrement vrai pour Valéry Giscard d’Estaing décédé dans la soirée du 2 décembre à l’âge de 94 ans.

Matheux mais lettré

Technocrate passé par Polytechnique et l’ENA, Valéry Giscard d’Estaing s’est imposé dans la vie politique grâce à sa maîtrise parfaite des politiques économiques, monétaires et budgétaires. Sa mémoire redoutable, sa capacité à parler sans notes, à synthétiser toutes les informations l’ont longtemps fait passer pour un robot de la politique à l’intelligence redoutée et redoutable. De 1959 à 1966, sous Charles de Gaulle, puis de 1969 à 1974, sous Georges Pompidou, il fut aux commandes de l’économie française et a été l’un des visages des Trente Glorieuses qui se sont terminées sous sa présidence.

Au-delà du technocrate, Valéry Giscard d’Estaing fut également un homme de lettres, membre de l’Académie française. Fin connaisseur de Maupassant, certains de ses ouvrages n’ont rien à envier aux meilleurs auteurs, qu’il s’agisse de ses mémoires ou de La Victoire de la Grande Armée, roman uchronique dans lequel la Grande Armée napoléonienne a remporté la campagne de Russie.

Libéralisme et conservatisme

Lors de son élection à la présidence de la République en 1974, celui que les Français ont longtemps appelé VGE, s’est très vite distingué par son libéralisme sur les questions sociétales, se démarquant de la droite gaulliste qui contrôlait le pays depuis 1958 : abaissement de la majorité à 18 ans, légalisation de l’IVG, premières mesures en faveur des handicapés, font partie des grandes avancées sociétales des dernières décennies.

Par ses techniques de communication politique avant-gardistes, Valéry Giscard d’Estaing a également marqué les esprits de ses contemporains en jouant de l’accordéon à la télévision, en se montrant en train de faire du sport, en mettant en scène sa famille, bref en se positionnant comme un président en phase avec son époque. Raillé par la gauche et la droite, il fit pourtant des émules parmi ses successeurs.

Moderne et réformateur, au risque de froisser son électorat, VGE a été longtemps caricaturé à tort comme un reliquat de l’Ancien Régime

"En même temps", Valéry Giscard d’Estaing a souvent été caricaturé pour ses manières de châtelain ou de noblesse d’Ancien Régime. 

Patriote mais européen

En matière de politique étrangère, Valéry Giscard d’Estaing s’est finalement peu distingué des lignes directrices de ses prédécesseurs : maintien du retrait du commandement intégré de l’Otan, volonté d’incarner une troisième voix entre URSS et USA, politique pro-arabe ou encore préservation de liens privilégiés avec les anciennes colonies africaines. Ce qui ne l’a pas empêché de contribuer au renforcement de l’intégration de l’Union européenne. Le couple franco-allemand formé avec le chancelier Helmut Schmidt fut moins symbolique et fusionnel que les "couples" Mitterrand-Kohl ou Chirac-Schröder. Il fut pourtant à l’origine du système monétaire européen, précurseur de l’euro ou de l’Europe de l’industrie avec la mise sur orbite de l’Agence spatiale européenne.

VGE, premier macroniste de France ?

Mais c’est avant tout sur le plan de la politique "politicienne" que Valéry Giscard d’Estaing s’est distingué par son audace. Du petit parti des Républicains indépendants à l’UDF, il fut le seul jusqu’à l’avènement de LREM à avoir structuré idéologiquement et électoralement le centre droit libéral français, traditionnellement sous-représenté.

VGE fut le seul, jusqu’à l’avènement de LREM à avoir structuré idéologiquement et électoralement le centre français

Très tôt, Valéry Giscard d’Estaing a voulu casser le duopole droite-gauche en proposant une troisième voie. Une proposition dangereuse pour le PS et le RPR de l’époque qui ont fait feu de tout bois pour torpiller la réélection de VGE en 1981. Impossible pour ces deux grands partis de voir s’imposer durablement une force politique capable de troubler l’équilibre bipartisan.

Il a fallu attendre 2017 pour voir le retour du "En même temps" giscardien. Pour voir accéder à l’Élysée un président qui, d’une certaine manière, est davantage l’héritier du giscardisme, force réelle mais en sommeil faute de leader, qu’une comète sortie de nulle part.

Lucas Jakubowicz

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