Député, ministre, président de parti et par trois fois candidat à la présidentielle, François Bayrou fait, depuis toujours, partie du paysage politique. Figure incontournable de la vie publique et, pourtant légèrement en marge de l’establishment, gravitant dans les plus hautes sphères du pouvoir sans jamais l’exercer directement... Il s’en sera fallu de peu que le fondateur du Modem ne se trouve éternellement assigné aux seconds rôles. Et voilà que, le 3 septembre dernier, sa nomination au poste de Haut-Commissaire au Plan le propulsait sur le devant de la scène politique, lui confiant la mission de coordonner le déploiement du plan de relance sous toutes ses dimensions. Mission principale : retrouver le temps long. Un rôle à sa mesure.

On le croyait condamné à poursuivre sa carrière politique entre les murs de la mairie de Pau : éternel perdant aux élections présidentielles, constant recalé des remaniements ministériels, président d’un parti dans l’ombre de LREM… On avait tort. À 69 ans, François Bayrou déjoue les pronostics en faisant un come-back remarqué. Désigné Haut-commissaire au Plan par le Emmanuel Macron le 3 septembre dernier, le voilà désormais responsable des grandes orientations du pays sur les trente prochaines années, propulsé sur le devant de la scène politique et sous les sunlights médiatiques à la faveur d’une nomination qui en aura pris plus d’un par surprise. Hors cercles d’initiés s’entend. Car, pour Thomas Guénolé, politologue et auteur d’une thèse sur "Les centres en France", cette promotion subite tient moins du coup de théâtre que de l’aboutissement logique.

Singularité

Celui d’un "récit politique " dont François Bayrou aura posé les bases il y a près de trente ans déjà, lorsque, dans les années 1990, au sein de l’UDF de Giscard d’Estaing, "il est celui qui remporte la bataille des lieutenants et s’impose en nouveau chef de file du centrisme". Celui qui, suite à cela, met le parti en ordre de bataille et transforme ce qui s’apparente encore à "une fédération de courants" en une authentique famille politique : cohérente dans son message, unie dans ses rangs. "À l’époque, l’UDF est organisée en différents courants et manque de cohésion interne, explique Thomas Guénolé. Progressivement, François Bayrou va transformer le parti, mettre fin aux batailles de chapelles et présidentialiser le mouvement". 

Cette promotion subite tient moins du coup de théâtre que de l'aboutissement logique

Lorsque se profile l’élection présidentielle de 2007, il refuse de choisir entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, affirmant ainsi cette singularité sur laquelle, désormais, il entend asseoir sa légitimité. Lui qui, au cursus classique du leader politique (député, maire, ministre…) dont il coche toutes les cases, ajoute quelques atouts de poids parmi lesquels l’ancrage terroir qui, très tôt, lui permet de s’imposer en défenseur de la France rurale, l’aura du littéraire de haut vol et auteur à succès, la vision du chef de parti qui, souligne Thomas Guénolé, "fait également de lui un idéologue : capable de bâtir une vision du monde sur un ensemble cohérent de valeurs et, de là, un programme politique". Performance qui, tout autant que le fait d’écrire seul ses livres, ferait de l’homme "un cas à part".

Dégagisme

Un électron libre déterminé à "balayer les clivages traditionnels entre gauche et droite pour incarner une nouvelle force politique", explique le politologue pour qui, bien avant que le terme ne devienne tendance, "François Bayrou invente le dégagisme par le centre". Au point d’inspirer Jean-Luc Mélenchon qui, bientôt, érigera le concept en projet politique. En 2007, il fait 19 % à la présidentielle. La victoire semble alors à portée de main. "Il y croit et attend que l’un des deux blocs implose pour remporter la mise, mais Sarko est très solide et, en dépit de l’échec de sa candidate, le PS résiste." 

"Il est le chef du premier allié de l'exécutif, incapable de lui rafler le pouvoir mais capable de lui nuire. Et cela, le président le sait"

Pour François Bayrou, la fenêtre de tir se referme et la tendance s’inverse. "Aux européennes de 2009, en 2012… il ne cesse de baisser, poursuit Thomas Guénolé. La force politique qu’il avait un temps incarnée se délite…" De quoi l’affaiblir mais certainement pas le décourager, lui, l’homme de terroir, ancré dans sa terre du Béarn, père de six enfants et fils d’agriculteur qui, un temps, s’essayera à la vie paysanne ; l’érudit, professeur agrégé de lettres classiques et écrivain prolixe, le visionnaire qui, dès le début des années 2000, alerte sur le danger que constitue le poids de la dette, le résilient qui, malgré un électorat qui s’effrite et un Modem à la peine, "continue à occuper le terrain et à creuser son sillon". Celui du "ni gauche ni droite" ; d’une troisième voie que, bientôt, un autre que lui va incarner

"Visiteur du soir"

"Lorsqu’Emmanuel Macron se déclare candidat à la présidentielle, il le fait sur le même positionnement que celui que François Bayrou cultive depuis des années déjà", explique Thomas Guénolé. Avec la même volonté de dépasser les clivages pour incarner une France moderne, un  "nouveau monde"  politique. Si ce n’est que, cette fois, le message passe… "Alors que le mouvement d’Emmanuel Macron ne cesse de prendre de l’ampleur, poursuit-il, François Bayrou voit tout ce qu’il a défendu des années durant se concrétiser. Sauf que c’est sous la houlette d’un autre." Un autre qui, une fois élu, lui confie la moralisation de la vie politique, un sujet qui lui est cher et auquel, rapidement, il doit renoncer lorsque des soupçons d’emplois fictifs au sein du MoDem viennent, une fois encore, contrarier ses rêves de pouvoir. Pouvoir dont il reste proche malgré tout, au point de devenir "un visiteur du soir de premier ordre", conseiller particulier du Président qui, dit-on, l’écoute. Et pour cause. "Il est le chef du Modem : le premier allié de l’exécutif à l’Assemblée. Incapable de lui rafler le pouvoir mais capable de lui nuire à tout moment, ce que le Président sait", rappelle le politologue pour qui le choix de sa nomination récente n’a finalement rien de surprenant. "Emmanuel Macron se devait, à un moment ou un autre, de remettre François Bayrou en selle. Au pire pour acheter la fiabilité d’un soutien clé, au mieux pour traduire l’excellence de leurs relations." Alors, lui confier le Haut-Commissariat au Plan ? Pourquoi pas. "Dans les faits, c’est un think tank à discrétion du Premier ministre ; mais en termes d’image, c’est un titre qui a la mégaclasse." Idéal pour redonner de la visibilité et, qui sait, restaurer une dynamique.

Caroline Castets

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