Pour exploiter les gisements de gaz en Méditerranée orientale et en mer Égée, le régime d'Erdogan n’hésite pas à aller au bras de fer avec l’UE en faisant croiser des navires militaires dans les eaux grecques. Face à ces incursions, les pays membres semblent adopter une stratégie divergente. Si la France joue la carte de la fermeté en envoyant des militaires dans la zone, l’Allemagne mise sur le dialogue. Ce qui, pour le moment, ne fait pas reculer les navires turcs.

Selon les projections géologiques, la Méditerranée orientale et dans une moindre mesure la mer Égée regorgeraient de gaz naturel : environ 3 000 millions de mètres cubes, soit l’équivalent des réserves norvégiennes, les premières du monde. La montée en puissance des techniques de prospection deep offshore rend techniquement possible l’exploitation de cette manne à moyen terme. Une véritable aubaine pour les pays de la région comme Israël, le Liban, l’Égypte, Chypre et bien évidemment la Turquie.

Une puissance maritime à l’étroit

Bien que traversé par de nombreux gazoducs, le pays dirigé par Recep Tayip Erdogan est contraint d’importer la quasi-totalité de sa consommation, principalement de Russie. L’exploitation des gisements sous-marins constitue donc une priorité nationale. Problème de taille : les côtes sont bordées d’îles grecques qui réduisent la zone économique exclusive dans laquelle les navires turcs peuvent théoriquement prospecter. Une situation dénoncée depuis un siècle par Ankara qui n’a jamais signé la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Pour accéder aux précieuses ressources, pas le choix, il faut passer en force.

Le "sultan" passe à l’offensive

En août, les autorités turques ont envoyé plusieurs navires scientifiques en Méditerranée orientale et en mer Égée. Le 10 août, l’Oruc Reis, escorté par la marine turque, a effectué un travail de calcul des risques sismiques à quelques mètres des côtes de la petite île de Kastellorizo peuplée de moins de 500 habitants. Si l’île n’est qu’à trois kilomètres des côtes turques (et à 550 kilomètres de la Grèce continentale), Athènes administre bel et bien les lieux. Logiquement, Kyriakos Mitsotakis, premier ministre grec, a dénoncé une "provocation" et invité les navires à "se retirer immédiatement de la zone". Un message superbement ignoré par Erdogan qui enchaîne discours et postures martiales, en déclarant notamment que toute attaque contre la flottille serait payée "le prix fort". Le prix serait un potentiel conflit entre deux pays membres de l’Otan. Une hypothèse envisagée par le premier ministre grec qui, dans un discours à la nation prononcé le 12 août, a admis que "le danger d’un incident n’est pas exclu quand autant de forces armées sont concentrées dans un espace aussi réduit".

Pour le premier ministre grec, "le danger d'un incident n'est pas exclu quand autant de forces armées sont concentrées dans un espace si réduit"

Engagement français…

De quoi alarmer l’Union européenne qui voit l’un de ses membres malmené. Pour le moment, Bruxelles joue la carte de l’apaisement, se contentant, par la voix de Josep Borrell, son haut représentant pour les affaires étrangères et la sécurité, de prôner la désescalade. Comme bien souvent en Europe, c’est le moteur franco-allemand qui est le plus à même de trouver une solution.

Hélas, Paris et Berlin ne sont pas sur la même longueur d’onde. Partisan de la fermeté et habitué aux passes d’armes avec son homologue turc, Emmanuel Macron soutient la Grèce par les mots, mais aussi par les actes. Le 12 août, deux navires, initialement dans la zone pour aider le Liban, surveillent de près la situation tandis-que deux mirages sont stationnés en Crète. Pour le président de la République, ce sont clairement les "décisions unilatérales de la Turquie en matière d’exploration qui provoquent des tensions". Selon un communiqué du ministère des Armées, cette présence militaire a pour but "de renforcer l’appréciation autonome de la situation et d’affirmer l’attachement de la France à la libre circulation, à la sécurité de la navigation maritime en Méditerranée et au respect du droit international". Une initiative qui, sans surprise, hérisse Erdogan qui brocarde l’attitude de "caïd" et de "colonialisme" de l’Hexagone.

Temporisation allemande

Si la France joue le rôle du "bad cop", l’Allemagne a endossé celui du "good cop". Plus que sur la force et sur la confrontation, la première puissance économique du Vieux Continent joue la carte de l’apaisement. N’approuvant pas l’initiative française, Angela Merkel a préféré s’entretenir le 13 août avec Erdogan pour lui rappeler notamment l’importance des liens économiques entre le pays qu’il dirige et l’UE. L’Allemagne, qui entretient des liens historiquement étroits avec la Turquie, est devenue le médiateur de ce conflit puisque c’est le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas qui s’est rendu à Ankara pour discuter directement de la situation avec son homologue Mevlüt Çavuşoğlu.

Pour le moment, le gouvernement turc ne compte rien céder. Un bon moyen, selon lui, de se placer en position de force lorsque d’éventuelles négociations internationales auront lieu. D’après les experts en relation internationales, il faudra pour cela attendre novembre et l’issue des élections américaines. Même en Méditerranée orientale, l’oncle Sam continue à jouer un rôle central, faute d’une position commune de l’Union européenne.

Lucas Jakubowicz

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