Le président du syndicat des urgentistes ne partage pas la satisfaction de ceux qui se félicitent de voir le Ségur de la Santé déboucher sur un accord. Pour lui, il s'agit d'une occasion ratée qui entérine "la culture de castes" à l’origine de nombre de dysfonctionnements et fait prendre "trente ans de retard" à l’institution hospitalière.

13 juillet 2020 : après des semaines de négociations, le Ségur de la santé vient de s’achever sur un accord de dernière minute, obtenu à l’arrachée et sur intervention du Premier ministre. D’un côté comme de l’autre, l’impression est mitigée mais la séquence est désormais refermée, le pays tout entier a maintenant les yeux rivés vers les célébrations du lendemain au cours desquelles le chef de l’État a prévu de rendre un hommage public au personnel soignant…

Partout, l’heure est au soulagement et à la satisfaction affichée. Patrick Pelloux, lui, ne décolère pas. Pour le Président du syndicat des urgentistes, le Ségur de la santé se résume à "une occasion manquée" et le soi-disant "accord majoritaire" sur lequel il débouche, "à des négociations de couloirs" entérinant la culture de classes qui, répète-t-il, mine l’hôpital et sa gouvernance. Alors célébrer l’émergence du "monde d’après" promise à l’ouverture des négociations, très peu pour lui.

Occasion manquée

"On nous avait promis une refonte complète de l’hôpital, alors oui, on s’attendait à une volonté de réforme en profondeur, à une remise à plat des dysfonctionnements pour se donner, enfin, les moyens de tout remettre en place, de repenser la gouvernance, de renouer avec le principe de démocratie… et rien !", tempête l’urgentiste et ex-Charlie Hebdo qui se dit "déçu et en colère".

"Pour l'hôpital public, c'est le monde d'avant mais en pire"

Déçu parce que la promesse de moderniser l’institution n’a pas été tenue, que "rien n’a été décidé sur les gardes, sur la permanence des soins, sur les heures supplémentaires" - en colère parce que, pour lui, "les jeux de corporatismes" qui cadenassent l’institution continuent à prévaloir, au point que, selon lui, "Le Ségur qui devait déboucher sur le monde d’après pour l’univers hospitalier a entériné celui d’avant, en pire"

"On nous avait promis un nouveau monde, une institution remise à plat et une organisation modernisée… c’est l’ancien monde qui a été entériné, résume Patrick Pelloux. Celui des castes et des clans".

Absence de moratoire

Autre sujet d’indignation : le fait que l’événement n’ait déclenché aucun moratoire sur la fermeture d’hôpitaux, laquelle se poursuit en dépit du contexte sanitaire instable. Résultat, s’inquiète l’urgentiste : "Des centaines de lits vont disparaître, avec tous les risques de saturation que cela comporte en cas de sursaut de l’épidémie."

"C'est l'ancien monde, celui des castes et des clans qui est entériné"

Quant à l’augmentation âprement négociée de 180 euros nets, il estime que, sur ce plan comme sur les autres, le Ségur n’a pas tenu sa promesse de faire entrer l’hôpital "dans la modernité", et encore moins dans "le monde d’après Covid", plus équitable et plus transparent, partout invoqué.

"Trente ans de retard"

Pour cela, explique-t-il, il fallait augmenter les salaires de manière à rattraper le retard accumulé sur les trois dernières décennies, non seulement dans un souci de justice sociale pour les salariés du secteur, mais aussi pour restaurer l’attractivité du secteur et se donner les moyens d’attirer les médecins vers l’hôpital. "On attendait l’égalité de salaires entre les universitaires et les médecins, on attendait le retour de la démocratie dans les instances de gouvernance et la fin de cette culture de l’entre-soi qui bloque toute transformation, on attendait la réforme de la loi de 1958 pour permettre de sortir de la tarification à l’activité… énonce Patrick Pelloux. Rien n’a changé. Pire, le Ségur est allé à rebours de ce qu’il fallait faire". Au point, estime le médecin, qu’au lieu d’enclencher sa transformation l’événement a fait prendre 'trente ans de retard' au secteur, le plaçant 'au cœur du monde financier'"et actant, au passage, le processus de privatisation de l’hôpital public déjà en marche.

Caroline Castets

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