La réorganisation de l’État, de bas en haut et de haut en bas, est l’un des chantiers majeurs auquel le Président de la République veut s’atteler. Une réforme non sans risques, mais non sans bénéfices politiques

En France, sacro-saint pays jacobin, se lancer dans une révolution girondine, c’est s’attaquer à une montagne sacrée où même de fameux premiers de cordée ont fini par dévisser. Girondins contre Montagnards, les premiers placés en bas de l’hémicycle, les seconds en haut, les provinciaux face aux parisiens, les fédéralistes contre les centralistes : dès les prémices de la révolution française, la manière d’envisager l’organisation de l’État césurait déjà l’Hexagone. Si dès 2017, devant le Congrès réuni à Versailles, Emmanuel Macron proposait de conclure "de vrais pactes girondins" avec les territoires, il savait pertinemment les étapes à franchir et les chemins à gravir.

Trois ans plus tard, il n’est encore qu’au pied de l’obstacle mais, comme il l’a annoncé dans son allocution de dimanche, il ne désarme pas. "Décentralisation, Déconcentration, Différenciation" sont au programme.

La déconcentration : attention à la « bureaucratie »

Lorsque dimanche, le Président de la République présente le troisième axe de son "nouveau chemin" : "bâtir de nouveaux équilibres dans les pouvoirs et les responsabilités", il associe deux phrases : "l’organisation de l’État et de notre action doit profondément changer" suivi de "Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris". En reliant la nécessité du changement dans l’action publique avec une dénonciation de la place trop grande occupée par les centres de décision de la capitale, Emmanuel Macron reprend le flambeau qu’il s’était adressé après le grand débat où il avait promis "un nouvel acte de décentralisation"

"Tout ne peut pas être décidé si souvent à Paris"

Mais si peu ou prou, chacun connait la définition de ce concept initié en son temps par François Mitterrand, il en est autrement pour les mots "déconcentration" et "différenciation", lequel complète le triptyque du projet de loi "3D" qu’Emmanuel Macron compte bien voir adopté d’ici la fin de l’année. Ainsi, la "déconcentration" est définie par le site institutionnel vie-publique comme étant "un processus d’aménagement de l’État unitaire qui consiste à implanter dans des circonscriptions locales administratives des autorités administratives représentant l’État".

Concrètement on peut trouver une incarnation de cette "déconcentration" dans le projet des Maisons France Services, ces structures regroupant les services publics, dont 2 000 devraient être déployées sur le territoire d’ici 2022 comme le chef de l’État s’y était engagé le 25 avril 2019, une décision accueillie plutôt très favorablement par les territoires.

Mais d’autres préfèrent se référer à un autre symbole de la "déconcentration", les Agences Régionales de Santé, ces fameuses ARS fortement critiquées pour leurs actions pendant la crise sanitaire. Elles furent d’ailleurs qualifiées le mois dernier, dans une table ronde du Sénat présidée par Jean-Marie Bockel le mois dernier, comme des parangons de "bureaucratie" et de "fragilité". On sait aussi que la volonté de "déconcentrer" ministères et autres agences gouvernementales, si elle part d’un noble sentiment de "rapprochement" en direction des citoyens, peut créer à la fois des tensions sociales chez les fonctionnaires concernés et des doublons administratifs parfois coûteux, en témoigne la vraie/fausse délocalisation de l’ENA entre Strasbourg et Paris…

La différenciation : la vraie révolution

On voit que "la simplification du millefeuille de notre organisation selon un modèle adapté à chaque région" tel que le souhaite Emmanuel Macron, s’il peut s’incarner par la décentralisation ou la déconcentration n’est pas exempte de risques. Le concept de "différenciation", ce troisième D du projet de loi éponyme et véritable "bras armé" de cette fameuse décentralisation, peut-il en revanche rassembler et les responsables nationaux et les responsables locaux ?

Encore faut-il s’entendre sur la définition, la voici, (longuement) explicitée, encore une fois par vie-publique, et elle est double : tout d’abord "une différenciation des compétences : certaines collectivités pourront exercer des compétences dont ne disposeront pas toutes les collectivités de leur catégorie ( Cette différenciation concerne déjà l’ensemble des outre-mer, les collectivités à statut particulier (Paris, Lyon, la Corse, etc.)", mais aussi "une différenciation des normes : les collectivités pourront “déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences”. (Cette différenciation bénéficie déjà, depuis la révision constitutionnelle de 2003, aux départements et régions d’outre-mer"

Ouf…C’est un peu long et indéniablement, on a connu des langues plus chaleureuses mais c’est bel et bien là que s’inscrit la révolution girondine évoquée précédemment. Des "adversaires" politiques d’Emmanuel Macron le reconnaissent d’ailleurs aisément, et en premier lieu, un personnage d’importance pour le chef de l’État, Gérard Larcher, président du Sénat, qui fait de la différenciation "l’un des axes majeurs de sa réflexion" et "l’un des sujets de dialogue sur lesquels nous pouvons converger". Mieux, ce dernier, conscient des critiques suscitées par ce thème, ajoutait en janvier dernier : "La différenciation ne remet pas en cause le principe d’égalité, au contraire".

Preuve supplémentaire que l’option différenciation peut être payante politiquement pour le Président, le point de vue du président de l’Association des maires de France , François Baroin, qui assure que "la différenciation est un moyen constitutionnel puissant pour corriger les inégalités". De quoi enfoncer un coin, voire plusieurs, chez les Républicains qui portent eux aussi en leur sein les stigmates des divergences entre Girondins et Jacobins.

Emmanuel Macron n'a toujours pas digéré le blocage de la réforme constitutionnelle par Gérard Larcher

La Constitution comme prochaine révolution ?

Il faut dire que le Président de la République n’a toujours pas digéré le blocage de sa réforme constitutionnelle par Gérard Larcher. S’il veut planifier et faire ratifier son grand œuvre institutionnel, il doit donc assurer un rabibochage avec l’encombrant mais indispensable troisième personnage de l’État. Et le plus rapidement possible.

Car dimanche soir, "la convention citoyenne pour le climat" rendra publique ses conclusions parmi lesquelles figurera la proposition d’inscrire dans l’article premier de la Constitution, l’obligation d’agir pour la préservation de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Une proposition qui sied totalement au Président (c’était l’un de ses engagements), mais qui doit, évidemment, passer par une réforme constitutionnelle, adoptée soit par voie référendaire, soit par la voie du congrès. En réussissant à faire passer ce texte, Emmanuel Macron ferait coup double : une re-légitimation écologiste additionnée d’une préemption de la "règle verte" chère à Jean-Luc Mélenchon.

Comme souvent les ambitions réformatrices peuvent, et parfois doivent, s’accompagner de considérations politiques plus prosaïques, même dans des domaines parfois aussi pointus que la réforme de l’État et de l’ensemble de ses mosaïques. Emmanuel Macron le sait : en s’attaquant à cette Montagne Sacrée, si difficile à bouger, il devra mener de front l’ascension d’un autre Everest de complexité : l’Europe et ses traités. Rendez-vous le 18 juin, au prochain…sommet.

Sébastien Petitot

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