M.Julienne (Ifri) : "En Chine, le contrôle de l'information passe par le contrôle de la vérité"
Décideurs. Aux États-Unis mais aussi au Royaume-Uni et en Allemagne, les mises en accusation contre Pékin s’accumulent. Pourquoi maintenant ?
Marc Julienne. Parce que c’était impossible avant. Dans un premier temps, l’épidémie est apparue comme un événement national, voire local. Le monde l’observait à distance en pensant qu’elle ne sortirait pas du pays. Dans cette phase, on n’a pas ou peu douté des informations données par la Chine parce que l’OMS les validait, qu’on ne disposait pas du recul temporel pour investiguer et que, en comparaison de l’épisode du Sras, Pékin semblait faire preuve de transparence.
Dans un second temps, l’Europe est devenue l’épicentre de l’épidémie, les dirigeants se sont trouvés à la fois totalement absorbés par la gestion de la crise et fascinés par l’efficacité de la riposte chinoise. Depuis début avril, la crise est entrée dans sa troisième phase : l’Europe commence à sortir la tête de l’eau, des informations en provenance de Chine nous parviennent… On sort d’un état de sidération pour renouer avec un esprit critique. Résultat, la parole internationale se libère.
Pensez-vous comme beaucoup que les dissimulations de Pékin aient des causes politiques ?
Bien sûr. En Chine, tout est politique. La priorité de Pékin étant la sauvegarde et la perpétuation du régime, ce qui est susceptible de la menacer doit être endigué. C’est le cas de toute crise, par nature apte à créer de l’instabilité. La crise sanitaire que nous connaissons actuellement a eu un impact sur l’économie, donc sur le social ; il peut en découler de la contestation et, par conséquent, une mise en danger du parti. La crainte de l’instabilité étant déterminante, voilà pourquoi, dès le début de la crise, la Chine va verrouiller l’information : pour éviter de s’exposer à des troubles internes et à des attaques externes.
"Il y a eu des mensonges, c'est certain"
Peut-on parler de mensonges délibérés et organisés ?
Le parti avait connaissance d’informations clés liées au virus et les a classées, c’est certain. Mais à cela se sont sans aucun doute ajoutées des failles dans la circulation de l’information entre directions des hôpitaux, autorités médicales et parti. Dans ce système où chacun est surveillé, contrôlé et évalué, les cadres préfèrent faire remonter à Pékin les bons résultats et maquiller ce qui pose problème. Cette réalité a nécessairement joué dans la mauvaise gestion de la crise à ses débuts. Il y a eu des mensonges (de Pékin ou de fonctionnaires locaux), mais aussi un mélange de fonctionnements structurels du régime et de responsabilités individuelles à l’échelon local.
Tout s’expliquerait donc par un souci de contrôle de l’information
Absolument. En Chine, le contrôle absolu de l’information est une priorité et il passe par le contrôle de la vérité. Aujourd’hui, le pays promeut de façon agressive un récit totalement univoque : sa gestion de crise a été exemplaire et c’est à cause de l’Occident qui, lui, a mal géré, que la crise sanitaire s’est muée en pandémie mondiale. Cette attitude s’inscrit dans un nouvel activisme diplomatique déployé par Xi Jinping depuis 2012 : la diplomatie dite du wolf warrior.
En quoi consiste cette forme d’activisme diplomatique ?
L'objectif est d'affirmer la puissance chinoise sur le plan intérieur comme extérieur en combattant toute position qui irait à l’encontre de ses intérêts, parfois de façon très agressive, ce qui nuit considérablement à l’image du pays dans l’opinion et au sein des gouvernements. Cette diplomatie existait avant la pandémie, mais l’émergence de celle-ci lui a donné une dimension autre. Elle a constitué une sorte de test grandeur planétaire de cette nouvelle méthode.
Propos recueillis par Caroline Castets