Un bilan dramatique approchant les 30 000 morts, un Premier ministre lui-même atteint par la maladie et passé par la case soins intensifs il y a un mois… Le Royaume-Uni paye cher la lenteur de réaction de son gouvernement, dernier d’Europe à adopter des mesures restrictives contre la propagation de la pandémie.

Pour les Britanniques, aucun doute, le choc aura été violent. Après avoir entendu des mois durant leur gouvernement vanter les mérites d’une riposte souple et "mesurée" à la pandémie qui, partout ailleurs dans le monde, affolait les États et les citoyens, voilà qu’ils apprenaient le 6 avril dernier le transfert de leur Premier ministre en soins intensifs.

Certes, on savait Boris Johnson atteint du virus et déjà hospitalisé pour des "tests supplémentaires", mais la détérioration brutale de son état assortie de la passation soudaine de pouvoirs qu’elle aura entraîné vers son ministre des Affaires étrangères, Dominic Raab, appelé à le remplacer "là ou nécessaire" fera l’effet d’une bombe, arrachant l’opinion britannique à son flegme historique et faisant souffler un vent de panique sur l’ensemble du pays.

D’abord la barre des 5000 morts du virus passée quelques jours plus tôt, puis l’allocution de la reine Elizabeth, exceptionnellement sortie de son silence le 5 avril pour adresser à son peuple un message de résilience et d’espoir, et maintenant cette soudaine dégradation de l’état de santé du chef du gouvernement (seul dirigeant d’une grande puissance à être atteint de la maladie à ce jour) même pour un pays réputé aussi imperturbable que le Royaume-Uni, cela commençait à faire beaucoup.

D’autant plus, peut-être, qu’il était depuis des semaines implicitement incité à relativiser la gravité de la crise par un gouvernement qui, à force de vouloir se garder de "sur-réactions", en était arrivé à frôler le déni.

Rapidité de réaction et capacité d'anticipation

À la mi-mars, alors que la France décrétait son entrée en confinement, le gouvernement britannique n’avait encore adopté aucune mesure significative. Ceci alors même que la barre symbolique du millier de personnes testées positives au virus venait d’être passée et que celui-ci avait déjà fait 21 morts. Pour Boris Johnson, la stratégie à privilégier était claire et consistait à laisser le virus se répandre au sein de la population afin qu’après en avoir contaminé une partie importante, il permette au pays de se doter d’une "immunité collective" et limite les cas de contaminations futures à des versions bénignes de la maladie. Sur le papier, il est vrai que ça sonne bien. Mais, une fois mis à l’épreuve du terrain, le concept montre rapidement ses limites… Et quelles limites ! 

Pour Boris Johnson, la stratégie à privilégier était claire et consistait à laisser le virus se répandre dans la population

Réponse économique vs réponse sanitaire

Outre un bilan s’élevant aujourd’hui à plus de 28 700 morts et près de 200 000 contaminations recensées, la crise sanitaire coûterait chaque jour 2,4 milliards de livres au pays. Et ceci alors même que, cédant à la pression domestique comme internationale, Boris Johnson changeait son fusil d’épaule à la mi-mars en annonçant une batterie de mesures destinées à circonscrire la contamination.

Réponse sanitaire

Trop tard, regrettent nombre d’experts et scientifiques, pour faire oublier les dégâts causés par un choix initial de gestion de la crise qui, à en croire le docteur Seema Yasmin, aurait pu causer la mort de 277 000 personnes… Un avis partagé par la quasi-totalité de la communauté scientifique qui, il y a quelques semaines, adressait une lettre ouverte au gouvernement de Boris Johnson dans laquelle elle dénonçait l’absence de mesures de distanciation sociale pourtant de nature à ralentir considérablement la croissance du virus et à épargner "des milliers de vies".

Capacité à apporter des solutions innovantes

"Nous considérons que les mesures prises à ce jour sont insuffisantes et nous pensons que des mesures complémentaires et plus restrictives devraient être prises immédiatement comme c'est déjà le cas dans d'autres pays du monde", assénait ainsi un collectif de 140 scientifiques dans un courrier commun. Une incompréhension qui avait fini par gagner la population elle-même d’où des voix de plus en plus nombreuses et de plus en plus audibles s’élevaient pour dénoncer l’insuffisance et la lenteur de la réponse politique face à la gravité de la situation et ce qui, pour beaucoup, évoquait désormais une forme de désinvolture coupable de la part du gouvernement.

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Le Royaume-Uni a pris très tardivement des mesures de confinement.

Leadership et capacité à inspirer

Dans un premier temps, Boris Johnson aura bien tenté de défendre ses décisions, affirmant pour cela les fonder sur des critères scientifiques et rationnels. Comprenez : "Alors que le reste du monde cède à la panique…". Mais, loin de calmer les esprits et de susciter l’adhésion, cette ligne de défense lui avait valu un regain de scepticisme au sein de l’opinion assortie d’une volée de bois vert de la part de sa communauté scientifique qui, après l’avoir mis au défi de produire les fameux éléments "scientifiques" censés étayer ses choix, l’avait accusé de "jouer à la roulette russe" avec la santé de ses concitoyens. Face à l’ampleur de la fronde et au nombre de victimes en hausse constante, le gouvernement avait finalement dû se résoudre à modifier radicalement sa stratégie en adoptant, le 16 mars, une législation d’urgence destinée à lutter plus efficacement contre l’épidémie avec interdiction des rassemblements, fermeture des écoles ou encore autorisation exceptionnelle donnée à la police d’arrêter et détenir des personnes infectées, de contrôler tout type de véhicules et même, en cas de nécessité, de fermer les ports…

Capacité à sauver des vies

Des décisions qui, qu’elles relèvent de l’authentique prise de conscience ou du simple pragmatisme politique, n’auront pas suffi à redorer entièrement le blason terni du flamboyant Premier ministre lequel, aujourd’hui, se voit malheureusement rattrapé par la gravité d’une situation qu’il aura trop longtemps choisi d’ignorer avec un bilan qui désormais frôle celui de l’Italie en termes de victimes.

Caroline Castets

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