Encore peu connu du grand public, Damien Abad, député de l’Ain, est le nouveau patron du groupe LR, première force d’opposition à l’Assemblée nationale. Un poste qui pourrait devenir un tremplin pour cet homme discret et travailleur qui avance loin des projecteurs.

Prendre des responsabilités dans un microparti, profiter des stratégies d’alliance pour obtenir des mandats importants et s’imposer comme leader en jouant collectif. C’est la recette gagnante appliquée par Damien Abad, élu président du groupe LR à l’Assemblée nationale le 6 novembre. Il succède à Christian Jacob, qui prend la présidence du grand parti de droite.

Centriste précoce

Son parcours politique est à l’opposé de celui d’autres ambitieux de son camp, qui, à l’instar de Julien Aubert, Guillaume Larrivé, Guillaume Peltier ou Geoffroy Didier, organisent leur carrière en misant sur les propositions chocs et la création de courants. Le natif de Nîmes, âgé de 39 ans, présente un profil plus besogneux, mais précoce.

Major de Sciences Po Bordeaux, diplômé de Sciences Po Paris et spécialisé dans les services publics, il commence sa carrière comme chargé d’études sur les questions budgétaires et fiscales au groupe UDF, puis au groupe Nouveau Centre. Damien Abad se met au service d’Hervé Morin, alors ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy et président de ce mouvement centriste confidentiel pour le grand public. Sans compter ses heures, il lance en 2008 le mouvement des Jeunes du Nouveau Centre qui, logiquement, ne devient pas une organisation de masse, mais lui permet d’être bien vu du « patron » qui le remercie d’un cadeau qui ne se refuse pas : une place éligible lors des élections européennes de 2009, année où il fait son entrée au Parlement européen à moins de trente ans. Présent, investi, Damien Abad se spécialise dans les questions liées au budget et au droit des consommateurs.

Travailleur de l’ombre

En échange de ce poste prestigieux, Hervé Morin, désireux de se présenter à la présidentielle de 2012, espère un soutien de son protégé. Mais celui-ci opte pour un autre prétendant, Nicolas Sarkozy, qui lui confie l’investiture UMP dans la cinquième circonscription de l’Ain, nouvellement créée sur une terre favorable à la droite. Un fief en or pour un homme ambitieux. En 2012, voici le Gardois implanté dans un département dont il prendra la tête du conseil général en 2015.

À l’Assemblée nationale, il siège dans la commission des finances où il s’impose rapidement malgré sa jeunesse. « Dans les différentes instances de décision de l'Assemblée nationale, il est très rapidement considéré comme au-dessus de la moyenne en matière de connaissances techniques et de force de travail, ce qui lui donne énormément de crédibilité auprès des députés de tout bord », témoigne Christophe Bellon, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université catholique de Lille.

Surtout, dans un groupe déchiré entre une multitude de factions parfois hostiles, les copéistes, les fillonistes, les juppéistes, les sarkozystes… il ne prend pas position et reste loyal à la direction du parti. Une ligne habile qui va lui rapporter gros le moment venu.

Rassembleur

Le 13 octobre 2019, lorsque Christian Jacob, inamovible président du groupe depuis 2007, quitte son poste pour prendre la direction du parti, le député s’engouffre dans la brèche et présente sa candidature. Après avoir tenté sa chance en 2017, il se représente avec une profession de foi dont le titre lui correspond très bien : « La force du collectif ». Par 67 voix contre 37, l’élu de l’Ain remporte largement la mise au second tour contre Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir que les observateurs plaçaient comme favori et choix officieux de Christian Jacob. Le voici à la tête du premier groupe d’opposition.

"Damien Abad a bénéficié du fait de n'être rattaché à aucune écurie"

« Durant la campagne interne, c’est lui qui a le plus travaillé sa candidature. Il est allé persuader ses pairs un par un, ce que n’ont pas forcément fait ses concurrents », souligne Émilien Houard-Vial, spécialiste de la droite et doctorant à Sciences Po Paris qui note qu’il a également « bénéficié du fait de n’être rattaché à aucune écurie et de n’avoir jamais attaqué un courant ». Contrairement à ses autres rivaux, Michèle Tabarot, trop associée à la droite dure et à Jean-François Copé, ou Daniel Fasquelle estampillé juppéiste.

Renouveau

Surtout, son jeune âge lui permet de montrer que la droite entend les préoccupations de son électorat qui demande un véritable renouvellement des têtes et supporte de moins en moins les Hortefeux, Morano et autres barons issus de la période Sarkozy. Christophe Bellon estime que son âge et son expérience lui permettront d’être un « chef d’orchestre » capable de faire émerger de nouvelles têtes dans un groupe où « la moitié des députés ont été élus lors des législatives de 2017 ». Même avis du côté d’Émilien Houard-Vial qui estime qu’il pourra servir de « charnière » entre les membres du groupe issus de la génération Sarkozy et les plus novices.

Avec cette élection, Les Républicains se retrouvent unis sur le plan idéologique. Christian Jacob à la tête du parti, Gérard Larcher à la présidence du Sénat, Damien Abad à celle des députés LR à l’Assemblée, François Baroin de retour aux responsabilités, Agnès Evren à la tête de la fédération de Paris, Christian Estrosi revenu dans le rang : les principaux responsables sont sur la même ligne politique à savoir une droite qui s’oppose à Emmanuel Macron mais de manière constructive et qui se refuse à aller braconner ouvertement sur les terres du Rassemblement national.

Encore plus haut ?

Bien que peu connue du grand public, cette fonction de président de groupe offre des leviers qui permettent de devenir incontournable dans le champ politique. Outre des invitations récurrentes dans les médias grand public, le titulaire du poste « fait partie, depuis 1911 de la conférence des présidents qui se réunit chaque mardi », explique Christophe Bellon. Cette instance prépare l’ordre du jour. Désormais, c’est donc Damien Abad qui décide quels députés prendront la parole lors des questions au gouvernement. Sa tâche consiste à faire émerger les meilleurs orateurs et les meilleurs spécialistes de son groupe. De quoi le placer au centre d’un réseau d’élus qui auront de bonnes raisons de lui être fidèles et reconnaissants…

Les trois derniers présidents de groupe ont fini par présider le parti

Cette fonction lui permet également d’influencer la vie quotidienne d’un parti où le président de groupe est membre de droit d’instances clés telles que le bureau politique ou la commission d’investiture. Désormais, la parole de Damien Abad pèsera auprès du président du parti et des militants. Ces derniers apprécient la fidélité de cet élu qui, lors de la primaire de 2017 a soutenu Bruno Le Maire et aurait pu, comme d’autres responsables de sa génération, tels que Gérald Darmanin ou Sébastien Lecornu, rallier la Macronie.

Si Damien Abad souhaite devenir un pilier du parti, il lui faudra peut-être améliorer sa notoriété et travailler son image pour devenir «plus flamboyant » estime Emilien Houard-Vial qui estime que cela ne l'empêchera pas de «faire parfaitement le boulot».

Malgré tout, l’essentiel est atteint. Pour Damien Abad, cette élection constitue un véritable coup politique qui devrait lui permettre de monter encore plus haut au sein de la droite républicaine où, selon Christophe Bellon, « le poste de président de groupe constitue un véritable tremplin ». Jean-François Copé, Bernard Accoyer et Christian Jacob, les trois prédécesseurs du député de l’Ain ont fini par présider le parti…

Lucas Jakubowicz

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