Réunissant les profils d’enseignant-chercheur et de professionnel expérimenté, singularité commune à l’ensemble du corps professoral d’HEC, Denis Gromb et Marc Vermeulen, professeurs de finance reviennent sur l’enseignement du M&A dans le monde académique.

Décideurs. Qu’est ce qui fait la qualité d’un enseignement en fusion-acquisition ? En quoi HEC se distingue-t-elle ?

Marc Vermeulen. Le M&A est par essence une matière multidisciplinaire qui fait appel à de multiples compétences non exclusivement financières. Nos étudiants suivent ainsi un parcours académique progressif avec des briques de formations dans des domaines très variés, qu’ils auront ensuite besoin d’assembler pour faire du M&A. Par exemple, après avoir posé les bases en première année, comme en comptabilité, en finance de marché ou bien en droit, nos étudiants de seconde année consolident et approfondissent ces bases en abordant la finance d’entreprise, véritable ciment des premières briques (enseignement formalisé d’ailleurs en son temps à HEC par le très regretté Pierre Vernimmen). Viennent ensuite, en année de spécialisation, des enseignements plus pointus tournés vers les fusions-­acquisitions, « l’investment banking » et le private equity. Enfin, et c’est un peu un « chapeau » qui conforte l’édifice, HEC a développé depuis quelques années le « Certificat M&A, » qui offre à nos étudiants en toute fin de scolarité, une formation multidisciplinaire de plus de cent heures concentrées sur un mois. On y enseigne la pratique des fusions-acquisitions sous tous ses aspects. Les intervenants sont des praticiens ou d’anciens praticiens du M&A tels que vous les retrouvez sur le terrain : banquiers d’affaires, avocats, fiscalistes, partners de private equity, responsables M&A au sein de groupes industriels, spécialistes du transaction services  et même des experts en « négociation » ! L’ambition est de faire de notre « Certificat M&A » une référence incontournable en matière de formation « pré-expérience » dans le domaine des fusions-acquisitions.

Denis Gromb. L’initiation au M&A est également un prétexte pour l’acquisition d’outils plus généraux comme ceux reliés aux problématiques de financement, l’analyse financière ou encore les techniques d’évaluation de l’entreprise. En effet, l’enseignement n’est pas destiné qu’aux banquiers mais aussi aux futurs cadres dirigeants ou DAF, qui seront impliqués dans des acquisitions. Ce qui est assez unique à HEC, c’est le mélange entre des professeurs chercheurs et des professionnels expérimentés. En général, cette particularité est appréciée des étudiants. Notre objectif est donc de les former autant pour le court terme que pour le long terme. Il faut qu’ils aient des idées bien organisées qui leur permettent de s’adapter dans un monde que l’on ne peut pas prévoir.

Comment expliquer que la matière soit autant plébiscitée par les étudiants des grandes écoles ?

M.V. Ce qui est certain, c’est que le M&A ne laisse jamais indifférent nos étudiants. Soit vous adorez, soit vous détestez. Beaucoup d’étudiants, parmi les plus brillants, vous diront : le M&A, jamais de la vie ! C’est une carrière trop exigeante dans un métier trop cyclique. D’autres en revanche seront toujours séduits, voire fascinés, par une matière intense, stratégique et qui touche à énormément de domaines, finance en tête mais pas seulement. S’il y a naturellement des cycles dans la perception, je ne perçois pas de désaffection chronique du M&A chez nos jeunes. Les rapprochements d’entreprise demeurent une valeur sûre. Reste à adapter constamment l’enseignement aux impératifs du monde moderne et à cultiver la flamme M&A chez nos jeunes. Savoir bien expliquer et donner du sens à la pratique des fusions-acquisitions est au cœur de notre démarche pédagogique.

D.G. Ce genre de transaction est effectivement très intéressant intellectuellement. Il touche aussi à beaucoup d’aspects différents de l’entreprise, d’abord celui de la finance d’entreprise, mais aussi d’autres plus stratégiques. C’est aussi le cas dans le private equity, autre matière « plébiscitée » que nous enseignons et qui, aujourd’hui, fait partie de toute bonne formation. Ce genre de sujets demande de continuer à se former afn de garder des portes ouvertes sur d’autres matières, d’accumuler des outils, des expériences, des connaissances sur différentes industries. Je coordonne d’ailleurs la chaire « ­Private Equity and Infrastructure » avec Antin ­Infrastructure Partners dont le contenu est transversal à l’ensemble des programmes de l’école. Près de 700 élèves ont d’ailleurs planché sur l’étude de cas que nous avons réalisée avec le fonds.

Peut-on percevoir la répercussion et la portée des travaux de recherche sur le M&A ? De nouveaux éléments tels que l’ESG pourraient-ils changer la valorisation ?

D.G. La connexion la plus directe avec le M&A se fait au travers de l’enseignement des outils et des concepts de la finance d’entreprise, en mélangeant la recherche, ses applications dans l’industrie et inversement. La recherche, en particulier en finance, ne sort pas de nulle part : elle est directement issue des problèmes rencontrés par l’industrie, les régulateurs, ou les institutions politiques. Et la recherche ne se limite pas non plus à la théorie, même si développer un cadre théorique est crucial pour comprendre les phénomènes : en finance, 80 % de la recherche sont des études statistiques sophistiquées. Ainsi, par exemple, une étude conduite à HEC portant sur des centaines d’acquisitions interindustries montre qu’en moyenne les valorisations ont été biaisées parce que les acquéreurs utilisent leur propre coût du capital pour valoriser des cibles opérant parfois dans des industries très différentes. Concernant l’ESG, si le champ de recherche est très important, il n’y a pas encore de modèle théorique bien établi puisqu’il n’y a pas (encore) de statistiques précises dans ce domaine. Est-ce une grille de lecture additionnelle pour évaluer les risques et inciter les dirigeants à penser au long terme ? Le passage de l’évaluation des risques à la valorisation est encore difficile à établir de façon précise.

M.V. Une opération de rapprochement doit nécessairement intégrer de très nombreux paramètres, avec en particulier des facteurs de risque parfois difficiles à quantifier au départ, voire à identifier. Plusieurs opérations cross border récentes, qui vacillent ou qui se sont révélées défaillantes, sont édifiantes à ce sujet. Les considérations ESG, sur lesquelles les opérateurs sont beaucoup plus attentifs, sont assez récentes dans la pratique du M&A mais deviennent incontournables. Elles donneront forcément lieu à des avancées à la fois conceptuelles et pratiques.

Quelles sont les évolutions, ou les voies d’amélioration, en M&A ?

D.G. Grâce aux études statistiques, nous savons que les entreprises qui font beaucoup d’acquisitions et qui possèdent des équipes dédiées à planifier la transaction mais aussi l’intégration ont plus de chances de réussir. En outre, parmi les grands drivers du M&A on retrouve souvent les mêmes déterminants : le « ­Business ­Cycle », la réglementation, qui inclut notamment l’antitrust et le commerce international, les changements technologiques et les taux d’intérêt.

M.V. Comme le mentionne Denis, les considérations autour du « PMI » (Post Merger Integration) constituent sans doute l’un des grands domaines de réflexion en matière de fusions-acquisitions. Du point de vue de la formalisation théorique comme pratique, il reste beaucoup à faire. De nombreuses entreprises qui pratiquent régulièrement la croissance externe réfléchissent en ce moment même à mieux formaliser leur approche. Car les conséquences d’un rapprochement ne sont pas toujours faciles à suivre, et encore moins à piloter, une fois que les entreprises concernées ont été fusionnées dans un seul et même ensemble. La recherche et l’enseignement auront nécessairement un rôle à jouer. Dans notre enseignement du M&A, nous souhaitons par exemple mettre plus l’accent sur le PMI. Un autre exemple, où il y a je pense encore beaucoup de chemin conceptuel à parcourir, c’est la valorisation des start-up. Conceptuellement, les méthodes traditionnelles d’évaluation ne fonctionnent pas et je ne pense pas que chercheurs comme praticiens soient encore parvenus à établir des modèles d’évaluation totalement convaincants.

Propos recueillis par Sandy Andrianabiby et Firmin Sylla.

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