Pacifique et rétive à toute forme de récupération politique, la contestation algérienne tire les leçons de son histoire mais aussi du Printemps arabe. Un modèle vers une transition démocratique réussie ?

Décideurs. Pourquoi la contestation explose-t-elle et maintenant et non pas, par exemple, lors du « Printemps arabe » entre 2010 et 2012 ?

Brahim Oumansour. Cette mobilisation s’inscrit dans une continuité, celle de 1988 qui a certes dégénéré en émeutes mais a aussi permis l’ouverture des médias et la fin du régime de parti unique. Ce fut une première phase de transition même si elle a débouché sur la violence des années 1990. En 2010-2011, certains observateurs ont pu parler d’exception algérienne, mais ce n’est pas tout à fait juste. Il y a eu des manifestations. La prudence des Algériens, malgré une colère bien présente, s’explique d’abord par le traumatisme des années noires puis par la dérive rapide du « Printemps arabe » vers la guerre civile, notamment en Syrie et en Libye. Cette dérive a marqué les jeunes générations. Abdelaziz Bouteflika a capitalisé sur la sortie de la violence après la décennie noire tandis que la hausse des prix du pétrole dans les années 2000 lui a permis d’acheter la paix sociale. De nombreux investissements ont été réalisés, dans les infrastructures, l’éducation ou le logement, et ces efforts ont prolongé la patience des Algériens.

Ce mouvement de revendication ne semble pas avoir de leaders… Est-il spontané ?

Effectivement, il n’y a pas de leader car la crise de confiance ne se limite pas à Bouteflika et à la coalition à la tête du pays mais à toute la classe politique. Le pouvoir a su affaiblir l’opposition, soit par le clientélisme, soit en l’intégrant à sa coalition. Cette stratégie a participé au discrédit de la classe politique en général. La mobilisation échappe donc à la politisation, elle est spontanée mais, ce qui peut paraître paradoxal, est très organisée, en particulier grâce aux réseaux sociaux.

Quel rôle ont joué ces réseaux sociaux dans cette mobilisation ?

Internet a permis aux Algériens de s’informer dans un pays où une partie des médias, surtout les chaînes de télévision, sont sous contrôle du pouvoir. Il autorise une nouvelle forme de mobilisation, moins risquée. La mobilisation en ligne sur les réseaux sociaux, et en premier lieu sur Facebook, a pris de l’importance depuis cinq ou six ans en relayant des parodies politiques mas aussi des affaires de corruption ou des mouvements de contestation. Elle a déjà débouché sur le limogeage de plusieurs préfets ou responsables administratifs après des campagnes de dénonciation.

La mobilisation va-t-elle se poursuivre ?

La réponse du gouvernement – report des élections et prolongation du cinquième mandat – est sourde et je doute que cette mobilisation s’affaiblisse. La pression populaire pourrait pousser d’autres dirigeants à se désolidariser du gouvernement. L’armée sort progressivement de son silence, même si elle ne veut pas répéter l’erreur de 1991 en intervenant directement. Si la contestation ne change pas de nature et reste pacifique, la transition la plus sage consisterait à intégrer un maximum de nouvelles figures et de formations dans le processus de réforme. Mais, pour l’instant, le mouvement est trop jeune pour qu’aient eu le temps d’émerger des représentants de l’opposition crédibles et légitimes auprès de la population. Ce mouvement illustre la maturité politique du peuple algérien qui a tiré les leçons de son histoire et de celle de la région. Un effet de contagion est possible, en particulier aux pays voisins en proposant un modèle de mobilisation pacifique et aboutissant à un véritable changement.

Un risque de récupération par les partis islamistes est-il possible ?

Pour le moment, non. Le pourvoir algérien a eu recours à la stratégie de « domestication » des islamistes, en les faisant participer à la coalition au pouvoir. Si la situation se dégrade et débouche sur des émeutes, certains leaders islamiques pourraient gagner en visibilité mais pas au point de devenir une force politique importante. Cependant, toute dérive du mouvement pourrait conduire à une répression par le pouvoir, et justifierait l’arrêt du processus de transition.

Propos recueillis par Cécile Chevré

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