Le cofondateur de ce nouveau mouvement de gauche revient sur la démocratie directe dont il est un spécialiste. Grand débat, futur des partis politiques, civictech sont aussi au menu.

Selon vous, la Ve République est un système malade et à bout de souffle. Pourquoi ?

Son organisation ne permet plus de répondre aux grands défis de notre temps. Elle est basée sur le concept suivant : nous élisons un gouvernement qui se dit qu’il va tout résoudre grâce à son expertise et la légitimité des urnes. En somme, c’est dormez braves gens, nous nous occupons de tout.

Cela ne fonctionne plus. Nous vivons dans une société de plus en plus complexe et les solutions ne peuvent être prises unilatéralement d’en haut et imposées partout sans dialogue. Pourtant, c’est le cas. Résultat, il existe une énorme défiance envers les élus jugés comme omniscients et éloignés du quotidien des habitants. C’est un vrai risque pour la démocratie. La démocratie participative est une vraie piste pour améliorer les choses ; d’autant plus que les citoyens sont demandeurs et que cela fonctionne.

Pour faire davantage participer les citoyens, le gouvernement a lancé un grand débat. Est-ce un bon exemple de démocratie participative ?

Le grand débat est une initiative bienvenue, mais il ne s’agit pas de démocratie participative. Il est mené dans un but politique : rendre Emmanuel Macron plus populaire. Et il risque de décevoir les participants car tout va remonter vers le gouvernement et vers des technocrates qui vont trancher en dernier ressort. Surtout, ce grand débat a une date de début et une date de fin. Or, en démocratie, le débat et la codécision doivent être permanents. Il faudrait peut-être créer une nouvelle institution : un collège citoyen qui regrouperait deux-cents citoyens tirés au sort qui serait souvent renouvelé et qui représenterait toute la population.

"Le grand débat est bienvenu, mais ce n'est pas de la démocratie participative"

Les nouvelles technologies peuvent-elles se mettre au service de la démocratie participative ?

Oui, tout à fait. Pour analyser une grande masse de données, il est possible d’utiliser des logiciels de civictech. Et bien entendu, l’intelligence artificielle peut aider les décideurs politiques à prendre les meilleures mesures. Mais cela doit être un simple outil d’aide à la décision. En d’autres termes, il faudra toujours des hommes pour analyser, mettre en perspective.

Débat permanent, codécision… Les partis politiques ont-ils encore un rôle à jouer dans le modèle démocratique que vous défendez ?

Absolument. Il est nécessaire d’avoir des élus pour lancer le mouvement et l’élection est le plus beau passeport démocratique. Pour le moment, il est très difficile d’être élu hors d’un parti. En revanche, il faudrait qu’ils changent d’état d’esprit. Pour le moment, ils sont un outil de conquête de pouvoir avec des militants qui sont parfois plus intéressés par un « retour sur investissement » (place éligible, subvention, réseau professionnel…) que par l’intérêt général. Tous sont concernés, y compris le PS dans lequel j’ai été encarté des années. En revanche, dans les partis, la question de la démocratie participative ne se pose pas. Nous sommes encore dans le cas de figure où le gagnant s’estime en droit de tout décider et où les majorités ont globalement une sainte horreur du compromis. Tous les partis politiques doivent changer leur logiciel car il ne suffit pas à répondre aux aspirations de la population.

Vous êtes l’un des fondateurs du mouvement Place publique. Quelle plus-value peut-il apporter à la démocratie ?

Place publique se veut un parti politique, certes, mais aussi un mouvement, un think tank, un centre d’éducation populaire. Comme notre nom l’indique, nous souhaitons placer le débat au centre de la vie démocratique. Nous avons pour le moment 30 000 militants qui réfléchissent ensemble pour trouver des améliorations concrètes à trois problèmes urgents liés les uns aux autres : la crise écologique, la crise démocratique et la justice sociale. Nous plaidons également pour une vaste décentralisation, un pacte girondin. C’est en réfléchissant ensemble, en mettant en avant l’intelligence collective à tous les échelons administratifs que l’on peut trouver la meilleure solution possible à des problèmes concrets. C’est ce que prouve la gestion municipale de Kingersheim, commune de plus de 15 000 habitants dont je suis maire depuis 1989.

Certes, la démocratie participative fonctionne dans votre commune. Mais est-elle suffisante pour gérer un territoire plus vaste comme une région, un pays ?

Techniquement oui. Il faut simplement disposer des institutions adaptées, d’élus qui changent leur mode de pensée et de personnes formées à organiser des débats publics. J’ajoute également qu’elle peut être adaptée pour des élus de gauche ou de droite. Ce n’est pas de l’utopie, la démocratie participative commence maintenant à essaimer dans l’agglomération de Mulhouse. Et j’espère que ce n’est qu’un début.

Propos receuillis par Lucas Jakubowicz

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