Le dossier Brexit, que l’on aurait pu croire en voie de résolution, s’enlise dans la crise au point que l’option du no deal, un temps écartée, semble à nouveau la plus crédible.

« Une insulte envers le poste qu’il a occupé ». C’est en ces termes que Theresa May a accueilli l’appel de Tony Blair à organiser un second référendum sur le divorce – pourtant acté il y a plus de deux ans –  du Royaume-Uni avec l’Union européenne. Militant activement au sein de la classe politique britannique et auprès du Parlement européen pour que cette option soit adoptée, l’ancien Premier  ministre travailliste ne ménage pas sa peine pour qu’un accord « qu’ils jugent franchement mauvais » ne soit pas imposé aux députés. De quoi  avoir raison de la patience de Theresa May qui l’a accusé de chercher à « saper » les négociations sur la sortie du Royaume-Uni et traité, en substance, d’ « irresponsable ». Réponse de l’ancien chef de file des Travaillistes : « Ce qui est irresponsable, c’est d’essayer de contraindre les députés à accepter un accord qu’ils considèrent comme mauvais en menaçant de quitter l’UE sans accord s’ils ne suivent pas la ligne. » Un résumé un peu abrupt, certes, mais qui donne un aperçu assez fidèle, force est de le reconnaître, des derniers rebondissements en date du dossier Brexit.

Guerre de positions

« L’accord négocié par Theresa May a très peu de chance de passer, estime Olivier de France, directeur de recherche à l’Iris, spécialiste de la Grande-Bretagne et des questions européennes. L’ennui, c’est qu’aucune forme d’accord n’a de majorité. Raison pour laquelle Theresa May travaille à une sortie sans accord : elle y voit un moyen de pression vis-à-vis des partenaires européens comme des parlementaires britanniques et espère que cela conduira chacun à des compromis. » Pour les uns et les autres, le choix est donc clair : un accord qui ne satisfait personne ou le no deal dont personne ne veut…  En langage béotien, on appelle cela la peste ou le choléra. Sauf, effectivement, à opter pour l’alternative réclamée, entre autres, par un nombre croissant de parlementaires de l’opposition : celle d’un nouveau référendum. Une solution à haut risque démocratique (qui reviendrait à passer outre le résultat du précédent) et constitutionnel, puisqu’elle minerait nécessairement la confiance du peuple britannique dans ses institutions, mais dans laquelle beaucoup voient l’unique porte de sortie envisageable à ce qui s’apparente désormais, estime Olivier de France, à « une guerre de positions ». Inextricable parce qu’inadaptée au fonctionnement traditionnel des institutions britanniques.

« Paralysie totale »

«La situation actuelle au sein de la classe politique britannique, un peu hystérique et marquée par des oppositions extrêmement fortes, est totalement inédite », explique-t-il en rappelant son point de départ : le jour où David Cameron, en 2015, « a choisi de régler un problème extrêmement complexe, celui de l’appartenance du Royaume-Uni à l’Europe, d’une façon simpliste et en totale rupture avec les pratiques institutionnelles et culturelles de son pays : en contournant les institutions pour s’adresser directement au peuple via un référendum, alors que le pays n’y avait jamais recours, avec une question binaire qui ne reflétait en rien la complexité des interactions entre le Royaume-Uni et l’Europe

"Theresa May travaille à une sortie sans accord car elle y voit un moyen de pression vis-à-vis des parlementaires européens et britanniques"

De quoi créer, deux ans et demi plus tard, une situation que les institutions britanniques ne sont pas en capacité de gérer et encore moins de résoudre. « Une situation de paralysie totale » dans laquelle politiques et citoyens mesurent enfin pleinement les effets concrets de ce divorce longtemps perçu comme une simple formalité – pour les entreprises qui ne seront plus en capacité de commercer avec les pays membres, pour les acteurs de la City qui ne disposeront plus de passeport financier… – et les risques qui les accompagnent.

Blocage idéaologique

Une soudaine lucidité qui, poursuit Olivier de France, exerce une pression considérable sur le gouvernement qui doit désormais tout faire pour que le pire soit évité. « Raison pour laquelle, explique-il, Theresa May s’efforce aujourd’hui de montrer les dangers d’un blocage idéologique. Pour les inciter à des concessions, elle brandit la perspective d’un no deal qui serait tellement chaotique que la classe politique ne peut que lui préférer un accord. » Même aussi imparfait que celui qu’elle a mis dix-sept mois à négocier avec les partenaires européens et que, selon toute probabilité, elle ne pourra faire évoluer qu’à la marge d’ici à sa présentation au Parlement, mi-janvier. « Elle peut espérer d’infimes ajustement, histoire de ne pas perdre la face en le présentant, concède l’expert, mais sur les points essentiels, il est clair que l’Europe ne bougera plus. »  À moins de trois mois de l’échéance ultime, il faudra donc trancher.

Caroline Castets

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