Européennes, relations avec Éric Drouet, violences, rapports avec le gouvernement… L’un des trois cofondateurs des Gilets jaunes libres se confie à Décideurs Magazine.

Vous avez rencontré Édouard Philippe, êtes très présent dans les médias… Votre visage commence à être familier du grand public. Quel est votre parcours ?

J’ai 51 ans, j’habite dans le Val-de-Marne et je travaille comme cadre dans le secteur des transports. Je suis également père d’un fils qui est étudiant. Je suis engagé dans le monde associatif via des activités liées au rugby. Au niveau politique, je me situe à droite. Entre 2008 et 2014, j’ai d’ailleurs occupé un poste de conseiller municipal sur une liste centre-droit dans la ville d’Ablon-sur-Seine.

Comment êtes-vous devenu un gilet jaune libre ?

Le projet de taxe sur les produits pétroliers a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Cette énième ponction de pouvoir d’achat a montré que les Français, spécialement les automobilistes, étaient devenus des vaches à lait. Le 17 novembre, j’étais à l’origine du premier rassemblement de Gilets jaunes dans le Val-de-Marne à Bonneuil-sur-Marne. Deux jours plus tard, j’ai été convié sur LCI. Ce sont les premiers manifestants qui m’ont désigné. De fil en aiguille, je me suis retrouvé invité sur tous les plateaux. J’y ai rencontré Benjamin Cauchy et Jacline Mouraud. Nous avions un point commun : éviter que le mouvement ne sombre dans la violence. C’est ainsi que nous avons monté le mouvement des Gilets jaunes libres.

Aujourd’hui, avez-vous le sentiment que les Gilets jaunes libres constituent la majorité des gilets jaunes ? Sur le terrain, votre représentativité commence-t-elle à être reconnue ?

Nous représentons la frange modérée du mouvement. Malheureusement, plus le temps passe plus les manifestants sont radicalisés. Lors des premiers rassemblements, nous étions la majorité.

Les choses ont changé après l’allocution du président de la République le 10 décembre. Emmanuel Macron a fait des concessions minimes, mais s’était montré à l’écoute. En échange, nous avons appelé à ne plus défiler dans les grandes métropoles. À partir de là, la situation s’est envenimée sur le terrain. Les plus pacifiques se sont peu à peu retirés. Désormais, sur les ronds-points, il y a 80% de manifestants radicalisés. Ils sont dans l’invective, le discours anti-élites, anti-corps intermédiaires. Certains sont politisés, d’autres non.

Auprès de ces jusqu’au-boutistes, les représentants des Gilets jaunes modérés sont reconnus mais rejetés. Nous sommes accusés de nous laisser corrompre par le système, d’être carriéristes… D’une certaine manière nous sommes mis sur le même plan que les élites politiques et médiatiques. La semaine dernière, j’en ai fait l’amère expérience à Tours où j’ai été insulté.

Quelles sont vos relations avec les Gilets jaunes radicaux et leurs meneurs comme Éric Drouet ou encore Maxime Nicolle alias Fly Rider ?

Nous portons des gilets jaunes mais c’est notre seul point commun. Lorsque l’on se croise nous nous saluons mais les choses ne vont pas plus loin. Il s’est très vite avéré impossible de travailler avec les Gilets jaunes radicaux qui sont dans une stratégie d’actions éclairs, de coups médiatiques, d’intimidation permanente et de refus de discuter.

S’agit-il d’un mouvement discipliné ?

Oui. Bien plus qu’on l’imagine. Éric Drouet et ses lieutenants sont écoutés de leur base et tiennent le mouvement. Rien n’est spontané, tout est calculé et prévu avec beaucoup de professionnalisme. De la mise en scène de l’arrestation d’Éric Drouet au vocabulaire utilisé sur les réseaux sociaux des radicaux.

Pour être honnête, je pense qu’ils sont manipulés et aidés par des professionnels de la politique. Par qui ? Des puissances étrangères ? Des partis politiques ? Le gouvernement ? Impossible de le savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’ils bénéficient d’appuis.

Les Gilets jaunes libres sont devenus très vite des interlocuteurs privilégiés pour le gouvernement. Celui-ci vous donne-il l’impression d’être à l’écoute ?

Il y a eu deux phases. Avant le discours d’Emmanuel Macron, le gouvernement m’a semblé ouvert à la discussion, notamment Edouard Philippe que j’ai rencontré une heure et demie. Depuis il me semble que l’exécutif se concentre sur son grand débat, qui selon lui, résoudra tout. Ce sera surtout une montagne qui accouchera d’une souris.

"Le gouvernement encourage le pourrissement de la situation"

En réalité, je pense que la majorité encourage le pourrissement de la situation. Certains manifestants deviennent de plus en plus virulents. Et les débordements sont sur médiatisés et sur exploités par la majorité. L’opinion publique soutient de moins en moins le mouvement. Impossible de prédire ce qu’il adviendra à moyen terme.

Envisagez-vous une candidature de Gilets jaunes libres aux élections européennes ?

Nous n’avons aucune intention de présenter une liste de Gilets jaunes modérés aux élections européennes. La question de l’organisation, du financement est trop complexe. Mais nous voulons peser. Notre stratégie est simple et assumée. Elle tient en un mot : l’entrisme.

"Nous devons investir les partis de droite et du centre"

Pour les élections européennes, nous voudrions présenter des candidats à des postes éligibles sur toutes les listes de centre et de droite : UDI, LR, Debout la France, Rassemblement national. Et continuer à être présent pour les scrutins nationaux. Nous pourrions ainsi davantage peser dans le débat politique. Nos idées sont de toute manière transpartisanes : défense du pouvoir d’achat, des petits commerces, introduction de la proportionnelle, du référendum d’initiative citoyenne…

Les partis politiques traditionnels sont-ils prêts à investir des Gilets jaunes en position éligible ?

C’est dans leur intérêt car ils veulent montrer qu’ils entendent les préoccupations des Français. Je peux vous certifier que j’ai été contacté par plusieurs partis politiques. Même si pour l’instant j’ai refusé toutes leurs avances. Mais les Gilets jaunes libres sont vivement incités à s’engager en politique et à voter.

L’objectif n’est donc pas de devenir un parti politique à part entière…

Non ce serait impossible. Nous avons des dénominateurs communs sur certains points précis et nous défendons tous la Ve République. Mais le mouvement est constitué de personnes qui ont toutes des idées politiques différentes. C’est ce qui fait sa force.

Lucas Jakubowicz (@lucas_jaku)

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