Dimanche 25 novembre, l'UE a approuvé le traité de retrait du Royaume-Uni. Des points restent à régler et le no deal n'est toujours pas évité.

Le Brexit avance. Dimanche, les 27 membres de l'UE et le gouvernement britannique ont accepté un "traité de retrait". Celui-ci doit encore être accepté par le Parlement britannique. Pas garanti. L’éventualité de voir le divorce entre Royaume-Uni et Union européenne déboucher sur un no deal se fait de plus en plus précise, la politologue et spécialiste du Brexit Elvire Fabry revient sur les circonstances susceptibles de déboucher sur un tel scénario et sur les effets désastreux que celui-ci produirait.

Décideurs : La question irlandaise apparaît comme un point de blocage majeur. Comment expliquer qu'elle n'emerge que maintenant ?

Elvire Fabry. Il est clair que la question s’est trouvée totalement éludée du débat public au moment du vote, la campagne des pro-Brexit était essentiellement orientée sur la plus-value Brexit pour le Royaume-Uni. On était alors sur le registre des projections, pas du tout sur celui des conséquences, auxquelles ils n’ont commencé à s’intéresser qu’après le vote. Résultat, la réalité du Brexit n’apparaît que maintenant.

Pourquoi un tel blocage autour de cette notion de frontière ?

Cela tient à l’héritage historique de la région et au fait qu’en 1998, l’accord du Vendredi Saint est venu mettre un terme à trois décennies de conflit sanglant en garantissant notamment une absence de frontière et de contrôles entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Rétablir ces contrôles risquerait donc de raviver un conflit encore très présent dans les esprits.

Quel scénario permettrait d'éviter ce risque d'instabilité en Irlande ?

Il faudrait maintenir l’Irlande du Nord dans le Marché unique et l’Union douanière – qui garantirait notamment l’alignement réglementaire et la libre circulation – et déplacer la frontière à la mer, entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Cette proposition de l’Europe est celle de l’ultime recours ; le « back-stop ». L’enjeu est crucial car, pour l’heure, la question bloque toute amorce d’accord sur les relations post-Brexit. Or, sans cela, l’accord de sortie sera annulé et le Brexit s’achèvera sur un no deal.  C’est pour éviter cela que Michel Barnier s’efforce de dédramatiser les contrôles.

Pourquoi pourrait-on s'acheminer vers un no deal ?

Les Européens sont pris en otage par l’incapacité des Britanniques à se décider sur leurs futures relations avec l’UE. Pour Bruxelles, le Royaume-Uni doit opter pour un des modèles existants – notamment le modèle norvégien, qui lui permettrait de rester dans le marché unique tout en sortant de l’Union douanière mais impliquerait qu’il accepte la libre circulation des personnes - ou un accord de libre-échange de type Ceta. De son côté, le Royaume-Uni souhaite un accord sur mesure, aux modalités aménagées. C’est cette formule « à la carte » que refuse Bruxelles, par peur de créer un précédent qui pourrait tenter d’autres États membres. Sans compromis, le scénario le plus violent l’emportera, celui d’un retour strict aux conditions de l’OMC, avec rétablissement des frontières et de tarifs douaniers de l’ordre de 5 % en moyenne. Sur quinze ans, cela coûterait 8 % de PIB au Royaume-Uni. C’est cela le no deal.

Le no deal serait donc le pire scénario ?

Sans aucun doute. Il créerait un risque d’instabilité en rétablissant la frontière entre Irlande du Nord et République d’Irlande, aurait un coût financier élevé et se traduirait par une baisse de la compétitivité britannique en soumettant les entreprises à un surcroît de paperasserie et à des délais de livraison accrus. L’engorgement des frontières créerait des problèmes d’approvisionnement en produits alimentaires et médicaments – deux domaines dans lesquels le Royaume-Uni est très dépendant des importations européennes – , les avions britanniques n’ayant plus librement accès à l’espace aérien européen ne pourraient plus décoller... L’impact serait considérable, surtout pour les 145 000 PME britanniques qui n’exportaient encore que dans l’UE. Un no deal serait donc équivalent à un saut de la falaise : dramatique. Surtout à une époque où l’on assiste à la résurgence d’un unilatéralisme agressif. Les entreprises européennes ne seraient d’ailleurs pas à l’abri. Voilà pourquoi Michel Barnier les appelle depuis plus d’un an à s’y préparer activement.

Propos recueillis par Caroline Castets

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