Régulièrement citée en exemple pour sa capacité à concilier libéralisme économique et État-providence, pour son sens du dialogue et son souci de l’équité, le modèle scandinave n’en finit pas d’inspirer les démocraties européennes. Dommage que son efficacité repose sur des spécificités culturelles difficiles à exporter.

Souvenez-vous, c’était le 29 août. Au cours d’un déplacement au Danemark, le Président Macron, en plein exercice de flatterie diplomatique, avait vanté l’adaptabilité de ce « peuple luthérien » avant d’ironiser sur les « Gaulois réfractaires au changement ». Sans surprise, l’affaire avait suscité un tollé de  protestations patriotes. Il faut dire qu’entre l’affaire Benalla et le départ de Nicolas Hulot, le moment était mal choisi pour se livrer à une autocritique du peuple français. Surtout en terre étrangère. Et surtout au Danemark, cette démocratie modèle qui, depuis toujours, caracole en tête de tous les classements mondiaux, que ceux-ci portent sur la transparence politique, la performance des institutions ou le BNB  – cet indice de « Bonheur National Brut » basé à la fois sur la croissance économique, la culture, la sauvegarde de l’environnement et la gouvernance responsable. Un côté premier de la classe qui finirait par agacer s’il ne fascinait pas autant.

Libéralisme et État-providence

En tête des ingrédients clés de la recette danoise, une capacité à mixer libéralisme performant et exigence élevée de protection sociale, conformément à une culture scandinave voulant que l’État ne soit pas uniquement responsable de la sécurité de ses citoyens, mais également de leur « bien-être ».  « La grande force du Danemark comme de l’ensemble des pays nordiques est d’avoir su trouver un remarquable équilibre entre compétitivité économique et État-providence », indique Philippe Moreau-Defarges, spécialiste des questions européennes à l’Ifri, qui voit dans cette capacité à libérer les entreprises tout en protégeant les salariés la clé de la flexisécurité que leur envient nombre de démocraties d’Europe, à commencer par la France.

« Les démocraties scandinaves sont des sociétés disciplinées, très marquées par le souci de l’intérêt collectif et le sens de la responsabilité »

Enseignant chercheur spécialisé dans les civilisations scandinaves, Virgile Reiter confirme. « Le système est tel qu’il permet à la fois aux entreprises de licencier plus facilement et aux salariés de se sentir pris en charge par un État qui leur assure de la formation continue – extrêmement développée dans ces pays – et une assurance chômage généreuse ». Idéal.

Équité et consensus

Autre point fort du modèle scandinave : la place qui y est accordée au dialogue et à la recherche de consensus à tous les échelons de la société  – entre politiques et syndicats, entre citoyens et politiques, entre entreprises et environnement… – dans un souci d’équité et de préservation des équilibres entre les différents écosystèmes qui, souligne Virgile Reiter, peut facilement passer pour une adaptabilité naturelle… « Le fait qu’il existe dans ces pays une très forte culture de la concertation explique que les changements y soient mieux acceptés puisque, indique-t-il, au lieu d’être imposée, toute décision est d’abord longuement discutée. » Et que la recherche du compromis l’emporte toujours sur la tentation – bien française celle-ci… – du passage en force.

Rigueur et responsabilité

Dernier ingrédient essentiel de cette recette nordique : la tradition protestante sur laquelle elle est bâtie et qui, rappelle Philippe Moreau-Defarges, lui insuffle une dose de rigueur difficilement compatible avec l’esprit latin…  « Les démocraties scandinaves sont des sociétés disciplinées, souligne-t-il, très marquées par le souci de l’intérêt collectif, le sens de la responsabilité et l’idée de respect de la norme sociale ». Ce qui explique que lorsque des efforts lui sont demandés, ceux-ci sont généralement acceptés. « Il y existe une forme de rigidité et même de rigorisme à l’égard de l’individu à qui la société  donne beaucoup et  dont elle attend beaucoup », conclut l’expert pour qui ces spécificités culturelles confèrent toute son efficacité au modèle tout en le rendant clairement inexportable… surtout en territoire gaulois.  

Caroline Castets

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