Pleinement engagée pour sa ville, la maire de Calais veut définitivement tourner la page de la crise migratoire, afin de rendre au territoire son attractivité à la fois économique et culturelle.

Décideurs. Cela fait presque deux ans que la jungle de Calais a été démantelée. La situation est-elle revenue à la normale ?

Natacha Bouchart. La situation n’a plus rien à voir avec celle que nous avons vécue il y a deux ans, surtout lorsque l’on se souvient du nombre et de l’intensité des difficultés auxquelles nous avons dû faire face. La page n’est pas totalement tournée pour autant. Entre 400 et 600 migrants sont encore présents sur Calais et son agglomération. Il faut bien comprendre que ces personnes ne sont pas demandeurs d’asile et ne souhaitent pas rester sur le territoire. La sécurité est toutefois garantie grâce aux 400 représentants des forces de l’ordre déployées sur le périmètre de la ville.

Vous avez, au début de l’année, dénoncé la violence de certains migrants. Est-ce toujours le cas ?

Non, nous ne relevons pratiquement plus aucune provocation de la part des migrants. Ces derniers restent toutefois très agressifs et dans l’affrontement vis-à-vis des forces de l’ordre. Plusieurs associations se placent, elles, toujours dans la provocation. Je crois qu’elles veulent voir les migrants rester sur le territoire, car elles vivent à travers leur présence.

C’est-à-dire ?

Lorsque la crise était à son paroxysme, elles ont constitué des réseaux et, grâce à eux, reçu un grand nombre de dons. Elles disposent donc de moyens importants. Plutôt que de convaincre les migrants de rejoindre des structures légales où ils seront hébergés et nourris dans des conditions sanitaires confortables et d’aider l’État à mettre en place des dispositifs pour éviter qu’apparaissent de nouveaux regroupements, ces associations préfèrent entretenir ces personnes sur le territoire.

« Entre 400 et 600 migrants sont encore présents sur Calais et son agglomération »

L’écrivain et réalisateur Yann Moix dénonce, vidéos à l’appui, le traitement violent réservé aux migrants de la part des forces de l’ordre….

Ces images sont humiliantes. Les forces de l’ordre assurent leur mission de façon exemplaire et remarquable. Je crois d’ailleurs que, si une faute avait été commise, plusieurs plaintes auraient déjà été déposées. Ces accusations ne tiennent pas la route. Les images qui ont pu être diffusées sont totalement extraites de leur contexte.

Êtes-vous en contact avec les responsables publics britanniques ?

Bien sûr. Nous avons des échanges constructifs entre élus locaux de part et d’autre de la Manche. Dès le lendemain du Brexit, j’ai mis en place un dispositif pour multiplier ces prises de contact. Nos deux destins sont totalement liés. Le port de Calais et le tunnel représentent une vraie richesse en termes de partage. En décembre, une délégation britannique viendra à Calais pour discuter, imaginer des passerelles entre nos deux collectivités. Les relations entre nous sont très bonnes.

Vous n’hésitez toutefois pas à vous opposer à la politique gouvernementale du Royaume-Uni… 

Je différencie les acteurs locaux qui ont la même vision que nous et qui veulent que nous travaillions ensemble des gouvernants. Ces derniers prennent des dispositions financières pour assurer la sécurité et répondent toujours présents, comme le veut l’accord passé en janvier dernier avec le président Emmanuel Macron. En revanche, sls refusent de nous verser des compensations économiques.

Quel regard portez-vous justement sur l’action menée par Emmanuel Macron à Calais ?

Je constate que l’effectif des forces de l’ordre reste maintenu et qu’une attention toute particulière est portée à ce qu’un nouveau regroupement ne s’installe pas. Ce n’est pas tous les jours faciles, mais le Président a pris le temps de venir à Calais pour se faire une vision globale de la situation. Il affiche ses positions et celles-ci sont claires. Aujourd’hui encore, je discute avec les services de l’État et j’entretiens des rapports constructifs avec le ministre de l’Intérieur ou la garde des Sceaux.

Qu’attendez-vous d’eux ? 

La concrétisation d’un avenant au contrat de territoire pour mobiliser des crédits en faveur de nos projets phares en matière culturelle ou encore en termes d’aménagement urbain. Ces ressources nous permettront de bâtir une nouvelle image.

Le projet de loi « asile et immigration » va-t-il dans le bon sens, selon vous ? 

Je pense que toute évolution positive est bénéfique pour le territoire. Je me bats pour sortir Calais et son agglomération de cette problématique. J’ai émis plusieurs propositions à intégrer dans cette loi, notamment sur la question de l’interprétariat qui est vraiment problématique. Lorsqu’un migrant commet une infraction et qu’il est interpellé, il faut trouver un interprète connaissant son dialecte. Et c’est très compliqué. Sur ces sujets, j’ai un devoir de responsabilité. Je dois témoigner, expliquer, apporter des solutions concrètes.

« Nous avons subi un retour d’image tellement négatif qu’il est difficile de mettre en valeur les initiatives positives »

Certains, notamment à gauche, vous ont parfois reproché de manquer d’humanité. Cela vous a-t-il blessé ? 

Je crois avoir prouvé, à travers mon discours, que mes positions sont équilibrées entre humanité et fermeté. Et j’en suis fière. J’ai toutefois été parfois blessée par les accusations de certaines associations. D’autant que j’ai mis en place un grand nombre d’actions humanitaires. J’ai fait construire des douches, des airs de repas. J’ai créé le conseil des migrants, mis à l’abris les femmes et les enfants, créé des dispositifs alternatifs lorsque l’État n’arrivait plus à apporter de solutions…

Le développement économique de Calais reprend-il progressivement ? 

Le problème est très profond. Le démantèlement ne peut pas suffire. Depuis deux ans, la ville investit dans l’accompagnement aux entreprises, imagine des plans de relance économique et des solutions pour préserver les emplois. Les projets sont nombreux. Notre stratégie est forte, mais nous sommes encore faibles. Nous avons subi un retour d’image tellement négatif qu’il est difficile de mettre en valeur les initiatives positives. Mon rôle, c’est justement de les mettre en lumière. 

La dynamique est donc positive …

Certains indicateurs montrent que la population touristique revient. Les restaurateurs, notamment, témoignent de l’amélioration de la situation. Les investisseurs s’intéressent de plus en plus au territoire sur des questions de logistique ou d’aménagements privés. Tout cela reste très fragile. Nous avons besoin du soutien de chacun pour écrire une nouvelle page et permettre à Calais de rebondir sur le plan économique et touristique, sans pour autant effacer ce que nous avons vécu. 

Au moment le plus difficile de la crise, avez-vous été soutenue par votre famille politique ? 

J’ai été très soutenue par Xavier Bertrand, qui s’est largement investi aux côtés de Calais pendant les années difficiles. Quant au parti, j’ai reçu beaucoup de messages mais, dans ces moments, nous avions besoin d’un soutien plus concret.

Les Républicains connaissent une crise très profonde…

La situation est effectivement très difficile. Les clivages sont importants. Ce que je souhaite pour ma famille politique, c’est l’union, le rassemblement. Ma ligne est proche de celle de Valérie Pécresse. Je souhaite travailler avec tous les membres du parti. Nous sommes en période de construction et pour que celle-ci aboutisse, il faut accompagner et respecter les différences. Se réunir autour d’un projet commun au sein duquel chacun est libre de ses opinions.

Avez-vous envisagé de quitter le parti ? 
L’idée m’a effleurée et j’y pense encore de temps en temps. Mais je suis très attachée à ma famille. Je souhaite y rester parce que je pense que j’ai quelque chose à lui apporter. J’ai autour de moi des personnes investies personnellement et je ne veux pas les décevoir. Je trouve la démarche de La République en marche très sympathique, même si je ne suis pas sûre qu’il existe une réelle solidarité entre les élus de la majorité présidentielle. Je préfère travailler avec eux, de loin. Je suis un électron libre attaché à ses convictions. Je me suis toujours autorisée à dire ce que je pense. Les membres de mon parti le savent, tout comme ils savent aussi que la situation de Calais n’est comparable à aucune autre et que mon choix est celui des Calaisiens. J’ai néanmoins apporté mon soutien à Xavier Bertrand lors des régionales et je continue par ailleurs à soutenir Nicolas Sarkozy.  

 

Propos recueillis par Capucine Coquand 

@CapucineCoquand

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