Spécialiste du droit pénal des affaires et de la prévention des risques, William Feugère, fondateur du cabinet Feugère Avocats, a créé ethicorp.org, une plateforme destinée aux entreprises et dédiée à la réception et au traitement des alertes conformément à la loi Sapin 2, et intégralement gérée par des avocats.

Décideurs. Quel est le concept de la plateforme ethicorp.org ?

William Feugère. Ethicorp.org est une plateforme spécialisée dans la réception et la gestion des alertes, avec comme particularité que toutes les alertes sont analysées et hiérarchisées par des avocats, qui apportent ainsi leur expertise et la garantie de leur secret absolu. L’environnement législatif a beaucoup évolué ces dernières années. Limité au départ aux cas d’harcèlement moral et sexuel, le champ des alertes professionnelles s’est étendu avec la loi sur la fraude fiscale de 2013 à tous les crimes et délits. La loi Sapin 2 de 2016 a été plus loin encore en l'élargissant à tous les manquements graves à la loi et au règlement, et surtout en imposant la mise en place de dispositifs d’alertes à toutes les entreprises de plus de 50 salariés, les plus grandes (500 salariés et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) devant même mettre en place un dispositif complet anticorruption (cartographie, code de conduite, formations). Sont également concernées les entités publiques, EPIC, administrations de l’État, régions, départements et communes de plus de 10 000 habitants.

Ce nouveau cadre législatif étant perçu comme une contrainte, j’ai voulu un outil qui le transforme en un vecteur de performance économique. C’est une démarche d’intelligence économique. Les alertes sont des informations essentielles : l’entreprise ignore le plus souvent que des actes délictuels, illicites, ont été commis en son sein. Or, un harcèlement, un détournements ou une corruption… portent atteinte aux entreprises et à leurs collaborateurs. En recevant l’information, en assurant son analyse et son traitement en toute confidentialité, ethicorp.org permet à l’entreprise d’enquêter sur les faits et de prendre elle-même toutes les mesures nécessaires pour y mettre fin, sanctionner leur auteur, éventuellement déposer plainte elle-même. Au lieu de subir, l’entreprise devient proactive. Elle démontre sa démarche éthique, elle protège ses salariés, et son image, sa réputation, elle améliore ses process internes, évite des contentieux longs et coûteux,… Tout cela favorise sa croissance.

Quelles garanties offre votre plateforme ?

Ethicorp.org repose sur l’intervention d’avocats expérimentés, professionnels réglementés apportant la garantie de leur expertise et de leur secret professionnel, qui est absolu. La loi Sapin 2 a créé un nouveau délit de violation de confidentialité, puni de deux ans d’emprisonnement, portant précisément sur l’auteur de l’alerte, les faits révélés et la personne visée. La confidentialité est donc un enjeu plus fondamental que jamais. Nous garantissons la confidentialité du lanceur d’alerte, nous ne divulguons pas son nom. Cela lui permet de s’exprimer librement et de révéler des faits qui, sinon, resteraient inconnus de l’entreprise. Notre intervention protège aussi la confidentialité des faits eux-mêmes et de la personne visée par l’alerte, qui a droit au respect de sa présomption d’innocence. L’idée est d’éviter de subir, de devoir réagir en gestion de crise qui découlerait d’une divulgation dans la presse ou devant les tribunaux d’un fait que l’entreprise ignorait, alors qu’elle n’a encore rien pu vérifier et n’a pas pu réagir. Grâce à notre intervention, et à la confidentialité que nous apportons, l’entreprise aura le temps d’enquêter, de vérifier les faits et de proposer des solutions adaptées. Notre rôle est de l’accompagner avec notre expérience dans la mise en place de mesures nécessaires. Grâce à l’expérience de nos avocats, nous ne transmettons pas des alertes brutes à nos clients, qui se trouveraient démunis. Nous analysons l’alerte et faisons des préconisations concrètes en fonction des faits sur les mesures à prendre d’urgence. On ne réagit pas de la même manière selon qu’il y a harcèlement, détournement de fonds ou intrusion informatique. Les premières mesures sont fondamentales pour toute la suite de l’enquête et de la procédure.

Quelles est la procédure concernant une alerte au sein de l’entreprise 

La plateforme a été conçue pour être la plus intuitive et la plus accessible possible de sorte qu’un lanceur d’alerte puisse s’en servir de chez lui avec son ordinateur ou son smartphone. Le format de l’alerte est en texte libre. N’étant pas juriste, il ne faut pas demander au lanceur d’alerte de qualifier lui-même l’infraction ; la peur d’une erreur de qualification pourrait même le freiner. Les alertes sont réceptionnées et traitées par nos avocats. Notre travail est alors d’analyser les faits pour leur donner leurs qualifications exactes. Nous nous positionnons ainsi en tant qu’interface sécurisée entre l’entreprise et le lanceur d’alerte, aucune interaction directe entre eux ne soit possible, ce qui les sécurise mutuellement. La plateforme nous permet en cours d’enquête de revenir à tout moment vers le lanceur d’alerte. Nous pouvons ainsi lui demander des éléments complémentaires pour justifier son signalement ou ajouter de nouvelles pièces, toujours en toute confidentialité.

L’externalisation du système d’alerte est-il un facteur d’anticipation des risques dans l’entreprise ?

Avec l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), nous avons mené en 2017 une enquête en matière de compliance auprès de 7 500 juristes. C’est la plus grande enquête jamais réalisée sur le sujet. Nous leur avons demandé notamment s’ils avaient un système d’alerte, s’il était interne ou externe, et quelle en avait été son efficacité pour annoncer les procédures connues par l’entreprise. Le résultat révèle que lorsque le dispositif est internalisé (type email ou téléphone interne), seules 20 % des procédures subies par l’entreprise avaient été annoncées en amont par le système. L’entreprise a donc pris la « vague » de plein fouet dans 80 % des cas, sans avoir pu s’y préparer parce que les lanceurs d’alerte n’ont pas confiance, pensent qu’on va les identifier et prendre des mesures de rétorsion contre eux, ou que l’entreprise va enterrer l’affaire. A contrario, si le système est externalisé, que les lanceurs d’alerte ont confiance dans le mécanisme mis en place, que l’information est vraiment sécurisée et protégée, les directeurs juridiques indiquent que 100 % des procédures ont été annoncées en amont. Il n’y a pas eu de surprise. L’entreprise a pu se préparer, voire être elle-même souvent à l’initiative de la procédure contre un harceleur ou un corrompu. C’est la force d’ethicorp.org.

Après deux ans sur le marché, quel bilan tirez-vous ?

Nous sommes actuellement dans une période de renouvellement de nos contrats de prestation et les premiers retours clients sont très positifs concernant les services que nous proposons. Ils apprécient l’accompagnement et l’expertise des avocats qui utilisent leur expérience du contentieux pour anticiper les risques, qui fait là aussi la différence. Nos services couvrent d’ailleurs l’ensemble de la compliance, au-delà du seul dispositif d’alerte : cartographie des risques, code de conduite, formations des dirigeants et salariés,… Notre secret absolu les rassure également, alors que d’autres prestataires n’en bénéficient pas, voire ont un devoir de révélation de faits délictueux… Nous sommes d’ailleurs recommandés par d’autres avocats, qui se refusent eux-mêmes à recevoir des alertes pour les entreprises qu’ils conseillent, car ils pourraient se trouver rapidement en conflit d’intérêt. Nous travaillons alors en complémentarité avec eux.

Transformer la compliance en levier de performance, voilà notre rôle 

Sur les alertes elles-mêmes, nous constatons qu’il y en a de deux types. Beaucoup n’entrent en fait pas dans le cadre strict de Sapin 2, ce ne sont ni des crimes ni des délits. Mais les salariés utilisent la plateforme comme un outil d’interrogation, d’expression d’une incompréhension sur une politique interne, ou d’un mal être, par exemple après une fusion. Notre plateforme est alors un outil de pilotage, pour améliorer la communication, la pédagogie. Les alertes portant sur des crimes ou délits, quant à elles, touchent principalement aux questions sociales et RH : harcèlements, discriminations,… Les autres cas (détournements, corruption,…) sont beaucoup plus rares, ce qui n’est pas surprenant.

Il y a finalement, un vrai effort de pédagogie à faire auprès des entreprises sur leurs obligations. Les grandes entreprises (plus de 500 salariés et plus de 100 millions d’euros de CA) savent qu’elles doivent mettre en place un système complet anticorruption, comprenant un dispositif d’alertes. C’est en cours, pour un certain nombre. Beaucoup se sont concentrées d’abord sur le « dossier » RGPD, Sapin 2 venant qu’en second plan. L’annonce par l’Agence française anticorruption de ses premiers contrôles a accéléré le mouvement. Mais les entreprises de plus de 50 salariés et les entités publiques ne savent pas qu’elles sont aussi concernées. Elles n’ont aucune conscience qu’elles ne sont pas en conformité, et qu’elles perdent du coup un moyen de se protéger elles-mêmes et de protéger leurs équipes. Il est essentiel de les informer, et de les accompagner dans ce changement, ce que fait ethicorp.org.

Propos recueillis par Alexandre Lauret

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