À la fois médecin urgentiste et militante politique, actrice de terrain et lanceuse d’alerte, Françoise Sivignon préside depuis plus de deux ans aux destinées de Médecins du monde, l’ONG de l’action et non « du plaidoyer » qui, depuis toujours, s’attaque aux pathologies autant qu’à « l’indignité » qui les alimente. Porte-parole de cette « médecine de combat », engagée auprès des prostituées birmanes comme des mineurs de Calais, celle qui défend pour tous l’accès aux soins et à la justice sociale revendique pour elle-même un « droit à l’utopie », comme un moteur d’action nécessaire pour dépasser le stade de l’indignation. Rencontre.

Depuis l’enfance, Françoise Sivignon préfère l’action à la contemplation. Le risque du terrain au confort de l’indignation. La présidente de Médecin du monde le reconnaît volontiers : le danger ne l’a jamais effrayée. « Forcer les portes n’a jamais été un problème » ; pas plus que s’aventurer en territoire inconnu. C’est pourquoi, après un bac obtenu à 16 ans, celle qui avait un temps envisagé Sciences Po opte, à la fois par mimétisme filial et par authentique goût des autres, pour des études de médecine loin de Nevers, sa ville d’origine à l’horizon étroit ; « trop sécurisant » pour être stimulant. À Paris, où elle s’oriente vers la radiologie et où, dès le début des années 1980, elle rejoint des associations de lutte contre le sida, elle découvre un univers à sa mesure : tourné vers l’action et ancré dans le terrain. Instable, même, depuis que cette pathologie nouvelle y a fait irruption, privant le corps médical de réponse thérapeutique, bousculant le rapport patient-soignant et, pour la jeune médecin, laissant entrevoir un champ des possibles aux contours élargis qui, une fois encore, va lui donner envie de pousser les murs.

Géopolitique de la maladie

Cette fois, ce seront ceux de l’hôpital Rothschild où, désormais, elle exerce. « Avec le virus du VIH, on n’était plus dans la toute-puissance du soignant mais face à des patients qui multipliaient les questions auxquelles, au début, nous ne savions pas  répondre…,  se souvient-elle. Cela a suscité chez moi un questionnement qui m’a mise en mouvement. » Jusqu’à l’emmener à s’engager plus avant dans le monde des associations. En Écosse d’abord, où elle a suivi son mari expatrié, puis à Londres, New York, Amsterdam…  jusqu’à la rencontre, fortuite et décisive, avec un ancien président de Médecins du monde.

« Chez Médecins du monde, on ne se contente pas de traiter les pathologies, on dénonce les situations inadmissibles »

Lorsque celui-ci lui parle de l’association, de son engagement à la fois terrain et militant, de son approche de la maladie aussi thérapeutique que politique, elle s’y reconnaît immédiatement et, dès 2002, la voilà responsable de missions liées à la lutte contre le VIH. Un statut sur mesure pour celle qui, depuis toujours, rêve d’action, puisqu’il implique de se rendre sur le terrain « non seulement pour traiter les pathologies mais aussi pour comprendre le contexte géo-politique qui les alimente »; conformément à cette approche propre à Médecins du monde qui consiste à combattre, au-delà de la maladie, ses facteurs  socioculturels. À ne pas envisager la médecine uniquement en termes de soins, mais aussi en termes de droits.

Médecine de combat

« Chez Médecins du monde, on ne se contente pas de traiter les pathologies, on dénonce les situations inadmissibles », explique Françoise Sivignon, avant de rappeler le leitmotiv de l’association : « Soigner, témoigner et accompagner le changement social. » Œuvrer pour faire appliquer la loi lorsque celle-ci existe, pour la faire évoluer lorsque ce n’est pas le cas. Partout où elle intervient, appliquer cette approche humaniste et globale qui, résume sa présidente, fait de Médecins du monde non pas « une ONG du plaidoyer » mais le porte-drapeau d’une « médecine de combat », et de ses membres « des soignants dotés d’une vision politique ». Des guetteurs aussi et, chaque fois, que les réalités du terrain l’imposent, des lanceurs d’alerte prêts à témoigner « du caractère inacceptable des conditions de vie des malades pour influer sur les politiques publiques de leur pays… ». Ce qu’elle fera en Birmanie, pour les travailleuses du sexe porteuses du VIH, et au Pakistan, pour les femmes victimes de violences domestiques dont elle fera valoir le droit à être protégées  ̶  « un droit inscrit dans la loi mais non appliqué… » . Fidèle à cette logique de « médecine militante » qui caractérise l’association et requiert, plus que de l’empathie, ce que Françoise Sivignon revendique comme une « certaine dose d’utopie » à préserver pour dépasser le stade, vertueux et statique, de l’indignation.

« Dénoncer l’indignité »

Pour, explique-t-elle, « mobiliser l’énergie nécessaire à entreprendre des actions susceptibles de faire bouger les lignes ». En interpellant les pouvoirs publics, les instances territoriales, nationales, l’ONU même et, chaque fois que c’est nécessaire, en les poursuivant pour non-respect du droit. « Dès que nous constatons que la loi n’est pas respectée, nous attaquons », assène Françoise Sivignon qui évoque notamment la Jungle de Calais. Ce territoire de non-droit où la présence de milliers d’enfants livrés à eux-mêmes l’emmènera à saisir le Conseil d’État pour rappeler à la France son devoir d’accompagnement et de protection des mineurs non accompagnés. Une action en justice qui débouchera sur la création d’un centre d’accueil dédié, confortant l’association dans son modus operandi fondé sur cet humanisme militant qui, rappelle sa présidente, consiste à « s’appuyer sur des textes de loi pour dénoncer l’indignité ». Que ce soit celle qui caractérise le quotidien des prostituées du Penjad ou celle qui frappe les conditions d’accueil des migrants en France, ce pays des droits de l’Homme qui, selon elle, applique face à ces populations vulnérables une politique indigne des valeurs qui le caractérisent. Et tant pis si ce discours dérange. « Quels que soient la population et le territoire, on ne déforme pas la réalité, on la dit dans tout ce qu’elle a de cru, mais également de prometteur », résume celle qui parle des migrants non pas comme d’une crise à endiguer mais comme d’une opportunité à considérer avec une « humanité assumée ». À l’image de la sienne : militante.

Caroline Castets

 

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