Après les médecins et les avocats, place aux « inspecteurs des impôts sans frontières » : une nouvelle aide au développement visant à responsabiliser et soutenir les États. Enquête au cœur du dispositif.

Il s’appelle Raynald Vial, il est chef de brigade de contrôle fiscal à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et a passé une semaine par mois pendant un an au Sénégal. Sa mission : l’assistance au contrôle fiscal. Cette charge hors norme, il l’a réalisée dans le cadre de la mise en place d’un arsenal inédit d’outils de coopération fiscale internationale. L’objectif : lutter contre l’optimisation fiscale agressive des multinationales dans les pays en voie de développement.

 

La continuité du projet Beps

Évalué à près de cent milliards d’euros selon l’Organisation des Nations unies, le manque à gagner des recettes fiscales dans ces pays dépasse très largement le montant de l’aide publique au développement (APD). Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE depuis 2011, explique à ce titre que « les recettes fiscales représentent une ressource domestique plus stable que les financements externes, permettant de responsabiliser les peuples, de stimuler la croissance économique à long terme et de réduire durablement la pauvreté ». Leur recouvrement apparaît donc primordial. Le programme Inspecteur des impôts sans frontières vise ainsi principalement à équilibrer les conditions de concurrence entre les entreprises nationales et internationales et à accroître la capacité de lutte contre les mécanismes complexes de fraude fiscale, tout en renforçant la discipline fiscale mondiale. L’initiative s’inscrit dans la continuité du plan d’action Érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices (Beps) qui impose aux multinationales plus de transparence sur la répartition mondiale de leurs revenus et impositions et organise la communication d’informations concernant leurs territoires d’implantation et leurs opérations.

L’augmentation des recettes fiscales

Au Kenya: de 46,7 M€ en 2012 à 96,2 M€ en 2014

Au Sénégal: de 11 M€ entre 2014 et 2015

Au Vietnam: de 3,5 M€ en 2012 à 36 M€ en 2014

En Zambie: de 3 M€ en 2012 à 7,1 M€ en 2013

Au Zimbabwe :  de 46 M€ entre 2014 et 2015

Le total collecté par les experts déployés: 278 M€ à ce jour

 

Cinq projets pilotes

La mise au point et la concrétisation de ce projet se sont faites par étapes successives. L’OCDE lance dans un premier temps une étude de faisabilité en 2012, financée par la France en partenariat avec la Norvège. Approuvé par les dirigeants du G8 et du G20 en 2013, ce programme entre ensuite dans une phase expérimentale de dix-huit mois au cours desquelles cinq projets pilotes sont lancés.  Ils vont permettre à plusieurs pays de voir leurs recettes fiscales augmenter considérablement, légitimant ainsi l’initiative. Celles de la Colombie passent par exemple de 2,96 millions d’euros en 2011 à 29,8 millions en 2014. En juillet 2015, lors de la troisième conférence sur le financement du développement à Addis-Abeba, l’initiative Inspecteurs des impôts sans frontières (IISF) est officiellement lancée par la signature d’un partenariat entre l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). La mise en œuvre opérationnelle est ainsi facilitée grâce aux antennes locales de l’ONU dans la plupart des pays en voie de développement.

 

« Un vivier d’experts »

Disposant d’un budget d’un demi-million d’euros, une équipe est alors chargée de coordonner les missions et de mettre en relation les administrations d’accueil, les experts et les organismes de financement. « Nous avons commencé par créer un vivier de volontaires, raconte Samia Abdelghani, conseillère en prix de transfert au centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. Face à la pénurie de tax officers, un appel à candidatures a été lancé. Sur deux cents postulants, quarante agents en exercice ou retraités justifiant d’une expérience certaine au sein d’une administration fiscale ou d’un service vérificateur ont été retenus. » Et pour le bon déroulement de la mission, tout sera réglé en amont. Un questionnaire est mis à disposition du pays demandeur qui cadre la mission en déterminant ses besoins. « Y sont précisées toutes les modalités pratiques et juridiques (confidentialité, conflits d’intérêts, langue, coûts, etc.) », détaille Samia Abdelghani. Par souci de confidentialité, l’administration d’accueil peut supprimer l’ensemble des informations permettant d’identifier le contribuable et refuser l’accès à la documentation de l’entreprise (factures, contrats, etc.). Quant aux coûts des missions, impliquant les frais de déplacement et la rémunération des experts, il est en principe à la charge des États volontaires, mais des mécanismes d’entraide permettent un cofinancement par des partenaires. Le secrétariat d’IISF, basé à Paris, répond ensuite à la requête au vu de tous des différents éléments présentés et identifie la personne la plus apte à remplir la mission en question. Une fois les termes de référence déterminés, l’inspecteur est envoyé dans le cadre de missions à temps plein ou échelonnées qui peuvent durer entre douze, dix-huit ou même vingt-quatre mois pour les dossiers les plus complexes. Leur rôle ? Apporter leurs compétences techniques en matière d’audit sur des opérations transfrontalières dans des domaines tels que les prix de transfert, la sous-capitalisation, les accords préalables, les dispositifs d’évasion ou de fraude fiscales et les taxes sur la consommation. « Pour autant, il ne s’agit pas de se substituer aux administrations locales mais de les épauler sur des aspects techniques internationaux », précise James Karanja, le directeur du secrétariat.

 

Retour sur expérience

C’est en 2014 que Raynald Vial a été sollicité par le service de coopération internationale de la DGFiP pour partir au Sénégal. C’est donc en qualité de haut fonctionnaire humanitaire qu’il débarque en Afrique pour traquer l’évasion fiscale. En charge de deux dossiers mettant en cause les plus grosses entreprises internationales implantées localement, il travaille durant une année auprès des vérificateurs sénégalais en effectuant des missions ponctuelles tous les deux mois. « J’ai été surpris par le professionnalisme et la pédagogie de mes interlocuteurs qui maîtrisaient parfaitement le sujet ainsi que par la richesse et la technicité du droit local en fiscalité, confie le Français. Nous avons ainsi pu être confrontés à des problématiques de fiscalité internationale, notamment en matière d’échange de renseignements et de prix de transfert. » Financée par le ministère des Affaires étrangères à hauteur de quinze mille euros, leur collaboration a permis au Sénégal de récupérer 13,4 millions d’euros d’impôts. Pour le volontaire, trois leçons sont à retenir de cette expérience. Tout d’abord, l’importance de développer le réseau conventionnel en matière fiscale dans les pays en voie de développement afin d’améliorer la transparence et la coopération. Le Sénégal a d’ailleurs récemment signé la convention multilatérale de l’OCDE avec une centaine de pays, facilitant ainsi le travail de l’administration fiscale. Deuxième enseignement, au regard du cadre juridique national, la nécessité de prendre en compte et de tirer profit de toutes les dispositions existantes dans le cadre juridique local, une optimisation des outils légaux pouvant parfois suffire. Enfin, l’informatisation des procédures de contrôle fiscal et le développement des bases de données sont essentiels pour gagner en efficacité. Raynald Vial est aujourd’hui encore inscrit sur la liste des inspecteurs des impôts sans frontières : « Je ressignerais sans hésiter », conclut-il.

 

Sud-Sud

Dix-sept projets sont en cours d’exécution dans différentes régions du globe : Amérique latine, Afrique, Asie et Europe de l’Est. Pour son fondateur, Pascal Saint-Amans, l’objectif ultime de cette initiative est d’armer suffisamment les pays du Sud pour leur permettre de s’entraider. Un premier projet de coopération Sud-Sud a d’ailleurs été lancé en janvier 2017 avec l’envoi de vérificateurs kényans au Botswana. « L’ambition est de couvrir tous les pays en développement qui en feront la demande et de porter à plus de cent le nombre d’experts déployés sur la période 2016-2019 », ambitionne James Karanja. Avec les 278 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires récoltés depuis le début de cette initiative, le nouvel outil de coopération internationale n’est pas seulement visible, il est à présent sans conteste efficient.

 

Nour Bensalah

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