Bruno Lasserre, en poste depuis douze ans, retourne au Conseil d’État. Qui pour le remplacer ?

Une tentative de départ avait déjà eu lieu en 2014. Cette fois c’est la bonne. Bruno Lasserre quittera l’Autorité de la concurrence début octobre pour retourner au Conseil d’État, où il présidera la section de l’intérieur. Il avait été nommé président par Jacques Chirac en 2004, puis par Nicolas Sarkozy en 2009. François Hollande avait finalement renouvelé son mandat une deuxième fois le 10 mars 2014, notamment en raison de la difficulté à lui trouver un successeur. Mais cette fois, il le faudra bien.

 

De techniciens à politiques

Le nouveau président de l’Autorité de la concurrence devrait être très prochainement annoncé par décret du président de la République et son nom sera validé par le Parlement. La durée du mandat ne change pas : cinq ans. Instinctivement, les regards se tournent à l’intérieur même de l’institution. Déjà pressenti pour succéder à Bruno Lasserre en 2014, le vice-président Thierry Dahan est par ailleurs conseiller-maître à la Cour des comptes. Il a par le passé occupé plusieurs postes dans des ministères de gouvernement socialiste. Mais ce dernier a subi de violentes critiques pour sa communication lorsque l’Autorité a été ébranlée par le décès d’Alain Mouzon, adjoint du service juridique. Son homologue, Emmanuel Combe, est quant à lui un spécialiste des questions d’anti-trust et un ancien conseiller ministériel sous la présidence de Nicolas Sarkozy au profil très universitaire. Les discrètes Elisabeth Flüry-Hérard et Claire Favre, également vice-présidentes, sont, elles aussi, d’excellentes techniciennes rarement projetées sur le devant de la scène. Et au-delà de la présidence, Virginie Beaumenier, rapporteure générale, est certainement trop utile à son poste pour être désignée à la tête de l’Autorité.

Peut-être faut-il aller chercher des noms plus politiques,  hors des murs de l’Autorité, pour remplacer Bruno Lasserre. La candidature de Sylvie Hubac est impossible puisque, déjà examinée en 2014, elle nécessiterait sa démission de la présidence de la société du Grand Paris qu’elle occupe depuis janvier. En revanche, proche de François Hollande, Jean-Pierre Jouyet pourrait ne pas aller jusqu’au terme de son mandat au poste de secrétaire général de l’Elysée. Enfin, Pascal Lamy pourrait bien trouver ici une mission à la hauteur de sa carrière politique : ancien commissaire européen et président de l’Organisation mondiale du commerce, il est chargé de la candidature de Paris pour l’Exposition universelle depuis son départ de l’OMC en août 2014. En revanche, aucun nom ne ressort du côté de la Commission européenne puisqu’aucun Français ne siège à la Direction générale de la concurrence.

 

Trois fois plus que la Commission européenne

Si ce départ surprend par son timing, il va faire des heureux parmi les patrons d’entreprise dont plusieurs se sont sentis dans l’œil du cyclone. Bruno Lasserre avait en effet la main lourde sur les sanctions : rien qu’en 2015, il a distribué 1,25 milliard d’euros d’amende, soit trois fois plus que la Commission européenne. Dans son domaine de prédilection, les télécoms, on se souvient de l’amende record de 534 millions d’euros qu’il a infligée à Orange, Bouygues Telecom et SFR en 2005, reconnus coupables d’entente. Plus récemment, Bruno Lasserre a condamnée Orange pour abus de position dominante à payer une amende de 350 millions d’euros, la plus importante jamais prononcée par l’Autorité de la concurrence. Et si on examine l’intégralité de son mandat (2004-2016), Bruno Lasserre a imposé un total de 5,8 milliards d’euros de sanction.

Au-delà des amendes, Bruno Lasserre a fait évoluer l’institution en elle-même grâce à son indépendance et sa ténacité. Il a par exemple réduit les délais d’instruction des plaintes qui lui avaient été soumises. Il a fait preuve d’audace sur le plan juridique lors de l’annulation du rachat de TPS par Canal Plus six ans après l’opération. Ce qui n’a pas été sans poser des questions de procédures aux juristes. Bruno Lasserre a aussi réussi à s’immiscer dans la loi Macron : c’est notamment à lui que l’on doit la disposition sur le contrôle de l’implantation des offices notariaux, validé par le gouvernement le 20 septembre contre l’avis des intéressés. L’Autorité de la concurrence est par ailleurs très appréciée de la Commission européenne, qui lui a renvoyé vingt et un rachats en 2009, faveur réservée aux autorités les plus sérieuses et indépendantes.

Plus personnellement, Bruno Lasserre est reconnu pour son inflexibilité et son engagement dans la défense des consommateurs contre les oligopoles et des nouveaux entrants contre les anciens monopoles. Son éternel sourire et sa bonhomie savaient séduire ses interlocuteurs, tout en se faisant craindre des plus grands dirigeants français. La relève s’annonce être un vrai défi.

 

Emilie Smelten et Pascale D’Amore

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