Emmanuel Macron a sollicité l’expertise d’une société de stratégie électorale unique en Europe pour établir un grand « diagnostic » du pays.

La start-up à laquelle le ministre de l’Économie a fait appel pour orchestrer son opération de porte-à-porte n’est pas franchement novice en la matière. Bénévoles pour la campagne de Barack Obama en 2008, et recrutés pour celle de François Hollande en 2012, les trois fondateurs -- Guillaume Liegey, Arthur Muller et Vincent Pons -- ont choisi de monter leur propre affaire en 2013. D’inspiration nord-américaine, celle-ci organise des enquêtes ciblées et analyse les données recueillies grâce à une technologie de pointe.

 

Décideurs. Pouvez-vous revenir sur l’historique de la start-up ?

Arthur Muller.  Nous nous sommes lancés après la victoire de François Hollande à la présidentielle. Celui-ci nous avait chargés d’organiser une vaste campagne porte-à-porte, un peu comme celle de Barack Obama en 2008. Une stratégie qui s’est avérée payante pour le candidat socialiste, puisque 80 000 volontaires sont allés frapper à cinq millions de portes, lui permettant de gagner 0,6 point sur son concurrent au second tour. C’était un véritable pari. Nous voulions convaincre de l’efficacité de la méthode « à l’américaine ». Suite à ce succès, nous avons lancé notre propre start-up visant à monter de telles enquêtes pour le monde politique et pour les entreprises, en utilisant des outils technologiques hyperperformants d’analyse de données.

 

Décideurs. Emmanuel Macron n'est, lui, pas officiellement candidat. Pourquoi fait-il appel à vos services ?

A. M. Il faut bien comprendre que nous n'avons pas un rôle politique. Le ministre de l’Économie nous a demandé d’organiser l’événement dont l’objectif est de rencontrer 100 000 personnes avant la fin de l’été. Notre mission consiste seulement à mettre en œuvre cette campagne, à former les volontaires puis à analyser les données recueillies.

 

Décideurs. Ne serait-ce pas un moyen pour lui de se diriger vers la présidentielle ?

A. M.  S’il sollicite les Français, c’est pour élaborer le meilleur programme possible et faire des propositions. Je ne connais pas ses ambitions électorales. Ce n’est pas notre sujet.

 

Décideurs. Pourquoi ne pas avoir choisi une méthode plus moderne ?

A. M. Pour que l’initiative fonctionne, Emmanuel Macron doit solliciter ceux qui ne lui sont ni favorables, ni défavorables, et qui, spontanément, ne seraient pas allés sur un site pour répondre à ce grande sondage. Les outils technologiques que nous avons mis en place nous permettent de déterminer précisément les zones représentatives de toute la société.

 

 « Emmanuel Macron doit solliciter ceux qui ne lui sont ni favorables, ni défavorables »

 

Décideurs. Votre activité est donc très scientifique…

A. M. Bien sûr ! Depuis plusieurs années, nous analysons les données fournies par le gouvernement dans sa politique d’open data, et notamment les résultats de chaque bureau de vote. Nous utilisons par ailleurs toutes les données du recensement fournies par l'Insee. En croisant toute cette data, nous arrivons à prédire le comportement électoral des Français. Une expertise unique en Europe.

 

Décideurs. Travaillez-vous aussi pour d’autres personnalités politiques ?

A. M. Nous avons déjà réalisé plus de 300 campagnes de porte-à-porte, avec un degré plus ou plus élevé d’implication. Nous avons travaillé pour Anne Hidalgo en 2014, pour plusieurs élus à l’occasion des dernières régionales, pour des députés britanniques, pour un patron italien qui voulait conquérir la mairie de Milan…

 

Décideurs. Seriez-vous prêts à travailler pour n’importe quel parti ?

A. M. Non, pas les extrêmes.

 

Décideurs. Vous réalisez également ce type de sondage pour le compte d’entreprises…

A. M. Oui. Nous sommes persuadés que cette alliance entre le contact humain et la technologie peut s’appliquer dans plusieurs secteurs, y compris l’entreprise. Nous organisons par exemple le porte-à-porte pour recueillir l’avis des riverains sur des projets industriels locaux. Une technique qui permet d’éviter certaines situations de blocage comme celle de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

 

Décideurs. Un engagement citoyen ?

A. M. C’est essentiel. Nous n’aurions pas lancé l’entreprise sans cette part citoyenne. À Paris, nous pourrions par exemple identifier les quartiers dans lesquels le tri sélectif n’est pas optimum, et inciter les citoyens à plus de vigilance. La technique permet de pallier le dysfonctionnement des concertations locales en sollicitant ceux qu’on n’entend jamais, ceux qui ne sont pas prêts à passer trois heures de leur temps à manifester place de la République.

 

Décideurs. Quels sont vos autres objectifs ?

A. M. Nous voulons concurrencer les instituts de sondage et les agences de communication, car notre approche nous permet à la fois de comprendre et de convaincre. Pour remplir cet objectif, nous devons continuer à doubler chaque année notre effectif, principalement composé de data scientists et de développeurs.

 

Propos recueillis par Capucine Coquand

@CapucineCoquand

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