L’Association française des juristes d’entreprise (AFJE) a étudié leur niveau de rémunération en France. Ses conclusions : des salaires en hausse pour une profession de plus en plus valorisée.

Légende : Anne-Laure Paulet, secrétaire générale de l’AFJE, Stéphanie Fougou, présidente de l’AFJE, Jonathan Diebolt, Square Metric et Coralie Tsatsanis, responsable de la communication de l’AFJE

 

Les juristes d’entreprise sont majoritairement satisfaits de leur poste. C’est ce qui ressort de l’étude commanditée par l’AFJE et réalisée par le cabinet Square Metric fin 2015 sur un échantillon représentatif de la profession. Sur les quatorze mille juristes d’entreprise recensés par l’association, ils étaient plus de mille à répondre. Les notions de parité, de stratégie et de bien-être au travail entourent l’analyse de leur rémunération. Loin de l’image de l’avocat entré en entreprise par dépit, les juristes français sont entièrement reconnus comme un maillon stratégique.

 

Une rémunération en hausse

Qu’ils soient juristes (+ 7 %), responsables (+ 9 %) ou directeurs (+ 12 %), tous les spécialistes du droit dans l’entreprise ont vu leur salaire augmenter. « Cette augmentation de la rémunération, qui suit les indices nationaux, est aussi la preuve de la reconnaissance par les directions générales de l’importance de la fonction », commente Stéphanie Fougou, présidente de l’association. C’est aussi le sentiment général qui règne dans les rangs des participants à l’étude : la plupart pensent que leur fonction est de plus en plus reconnue en interne, mieux mise en avant dans l’organisation interne. L’importante augmentation de la part de variable profite aux responsables juridiques (entre + 6 % et + 10 %). Pour la présidente de l’AFJE, cet indice reflète bien la stratégie de l’entreprise qui mise de plus en plus sur les performances de leurs managers d’équipes juridiques.

 

  • 1007 réponses sur 14 000 juristes d’entreprise
  • Salaire moyen d’un juriste d’entreprise : 50 113 euros (+ 7 %)
  • Salaire moyen d’un responsable juridique : 67 791 euros  (+ 9 %)
  • Salaire moyen d’un directeur juridique : 110 261 euros (+ 12 %)

 

Environ 30 % des juristes travaillent en anglais

Un autre élément explicatif de l’augmentation de leur rémunération est l’élargissement de leur champ d’intervention. À une action en France s’ajoute souvent une responsabilité dans d’autres zones géographiques : l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient, etc. Environ 30 % des juristes travaillent uniquement en anglais, et 90 % d’entre eux pratiquent la langue. Une extension de l’intervention juridique qui s’accompagne nécessairement d’une hausse de la rémunération. Les juristes qui assurent la responsabilité géographique des dossiers à l’échelle mondiale perçoivent en moyenne 12 % de plus que le salaire de référence en 2015.

La taille de l’entreprise dans laquelle les responsables juridiques évoluent donne également des indices sur leur niveau de rémunération. Leurs salaires n’augmentent pas proportionnellement au nombre de salariés, la logique est autre. Pour les managers d’équipes restreintes (entre deux et cinq juristes), le salaire augmente crescendo. En revanche, lorsque l’équipe dépasse cinq salariés et que des strates de hiérarchie s’ajoutent, le responsable juridique tombe sous l’autorité d’un directeur, et son salaire chute alors. C’est ce qui s’observe dans des sociétés qui comptent entre six et cinquante juristes. Il faut passer la barre des cinquante professionnels pour que le salaire de leur responsable dépasse celui du manager d’une équipe de cinq personnes (84 304 euros). La même chute se produit pour les responsables d’équipes de plus de cent juristes (80 000 euros), moins bien payés que ceux qui dirigent des équipes de cinquante à cent juristes (88 782 euros).

 

Les moins de 30 ans gagnent trois fois moins

Pour les directeurs juridiques, les plus faibles salaires sont ceux qui dépendent de la direction financière. « Être rattaché au directeur financier est le pire des positionnements, quelle que soit la taille de l’entreprise », insiste Stéphanie Fougou, pour qui la fonction doit être liée à la direction générale. Autre évidence : l’âge compte beaucoup. Les moins de 30 ans gagnent trois fois moins (47 150 euros) que les plus de 55 ans (153 752 euros). Un critère encore fondamental dans les mentalités. Le profil de l’entreprise est également un critère de disparité puisque les juristes qui exercent dans des sociétés cotées gagnent en moyenne 13 % de plus que les autres. Cela est directement lié à la typologie des candidats retenus par les grands groupes. Les anciens avocats, qui souvent se sont spécialisés, voire hyperspécialisés, ont les meilleures chances d’être embauchés dans les entreprises internationales. Ce sont ces dernières qui ont les moyens de les embaucher : les juristes titulaires du diplôme d’avocat perçoivent en moyenne 25 % de plus que le salaire moyen de référence.

Ce sujet de la spécialisation est particulièrement sensible. « C’est une question qui revient fréquemment chez les plus jeunes », explique Coralie Tsatsanis, responsable de la communication de l’AFJE. La stratégie : se spécialiser dans les premières années d’exercice, puisque ce sont les profils les plus recherchés, tout en gardant un pied dans les autres matières. En effet, « les directeurs juridiques ne sont généralement pas des spécialistes », note Stéphanie Fougou. Être trop spécialisé peut constituer un frein à sa carrière. D’autant plus qu’une matière en vogue aujourd’hui n’est pas forcément celle de demain.

 

Parité : les différences demeurent

Comme toutes les fonctions de l’entreprise, les juristes souffrent des disparités de rémunérations en fonction du sexe. Si la différence à l’embauche n’est que de 2 % (ce qui peut s’expliquer par le taux d’erreur de toute enquête), elle monte à 10 % vers 35 ans, à l’âge de la maternité, et s’élève à 25 % à partir de 45 ans. Ces écarts de salaire vont de pair avec l’appréhension de la performance comme critère d’évolution. Les hommes sont plus nombreux à déclarer que le dépassement des objectifs est un critère d’augmentation de salaire lorsque les femmes semblent justifier leur progression par une politique générale de l’entreprise ou des critères discrétionnaires. Il semblerait que cette dernière mise plus sur les hommes pour performer.

De la même manière, les femmes sont 40 % à avoir autorité hiérarchique sur leur service, contre 60 % des hommes. Une situation qui n’a pas évolué depuis la dernière enquête alors même que la profession continue de se féminiser. Les juristes femmes représentaient 56 % en 2008, elles sont aujourd’hui 67 %, majoritaires dans toutes les tranches d’âge. En revanche, la profession se séniorise, passant de 36 à 39 ans.

 

Évolution : se créer un plan de carrière

« Pour évoluer, mieux vaut se constituer son propre plan de carrière. » Un constat fort que Jonathan Diebolt, qui a dirigé l’étude, tire de ses entretiens. En effet, questionnés sur les actions à envisager pour améliorer leur rémunération, les juristes sont près de 60 % à privilégier le changement de poste. « Rien de mieux pour un saut de salaire et de responsabilité », confirme Stéphanie Fougou, qui souligne tout de même l’attachement des juristes à leur société. « C’est la raison pour laquelle nous connaissons une forte croissance des demandes de formation internes en soft kills, en management de projet, etc. » Plus de 70 % d’entre eux ont plus de trois ans d’ancienneté. Une stabilité beaucoup plus forte que chez les avocats. D’autant plus que les possibilités de faire évoluer son poste en entreprise sont nombreuses.

 

Concurrence

Reste que les salaires des juristes français sont encore bien inférieurs à ceux de leurs homologues étrangers. Aucun chiffre pour le moment, mais l’AFJE promet de se pencher rapidement sur la question. En attendant, l’association se positionne en vecteur d’évolution. Face à des nouveaux concurrents sur le marché de la prestation juridique comme Captain Contrat, qui vient d’annoncer son offre d’externalisation de la direction juridique pour les PME, Stéphanie Fougou veut faire du juriste un partenaire : « Ces nouveaux acteurs permettent de faire bouger les lignes. Nous sommes favorables à leur démarche pour la diffusion du droit dans l’entreprise, et irons jusqu’à collaborer avec ces legal start-up si l’occasion nous est offerte. » Un autre indice pour que les juristes appréhendent au mieux leur position sur le marché des services juridiques.

 

Pascale D’Amore

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