Né en marge de la manifestation contre la loi El Khomri, le mouvement « Nuit debout » réunit des milliers de noctambules chaque nuit depuis le 31 mars.

« Nuit debout n’est pas un mouvement spontané, né comme par miracle de la somme de désirs communs. » Considéré comme un des pères du mouvement, François Ruffin, le réalisateur du film Merci Patron ! et rédacteur en chef du journal Fakir, est un homme pragmatique. « Il a fallu organiser tout ça, canaliser les aspirations disparates et ce besoin d’action. Il a fallu communiquer, distribuer des centaines de tracts lors de la manif du 31 mars, créer un site internet, monter des barnums… », explique-t-il dans une interview à Télérama. Une logistique importante, mise en place en moins d’un mois. 

 

Merci Patron !

 

Tout commence le 23 février. Suite au succès de l’avant-première de Merci Patron !, François Ruffin organise une réunion publique à la Bourse du travail réunissant syndicalistes, militants et intellectuels. « L’une des leçons du film, c’est de se dire que si on n’a pas la jonction de la petite bourgeoisie et des classes populaires, on n’arrive pas à perturber Bernard Arnault », lance-t-il en préambule. La référence au patron du groupe LVMH n’est pas choisie au hasard. Car le film, à mi-chemin entre documentaire et thriller comique, met en scène Jocelyne et Serge Klur, deux ex-ouvriers d’une usine Kenzo, chômeurs, endettés, et menacés d’expulsion, à qui le journaliste décide de venir en aide. Portés par le message du film, ils seront plusieurs à rester spontanément dans la rue la nuit du 23 février. L’idée de manifestations nocturnes prend forme.

 

Une manifestation citoyenne 

 

C’est du 31 mars au 1er avril que la première Nuit debout s’est tenue, place de la République. Difficile de calculer le nombre exact de participants, même si le mouvement – qui mise sur ses propres médias – est déjà suivi par 80 000 personnes sur l’application Périscope. Difficile aussi de mettre un nom sur un éventuel porte-parole. Un choix stratégique : « Il n’y a pas de leader car ce n’est pas un mouvement politique. Il exprime une contestation sociale », analyse Gaël Brustier, chercheur en sciences politiques interrogé par L’Obs. François Ruffin reconnaît d’ailleurs que les revendications — qui dépassent largement la réforme du travail —  sont un peu floues, « ce qui fédère, c’est l’absence totale de perspective politique ». Quoi qu’il en soit, en l’espace d’une semaine, le mouvement a déjà atteint près d’une vingtaine de villes de province. Il a même dépassé les frontières en gagnant la capitale belge. Des manifestations qui se veulent citoyennes : la nuit commence par une assemblée générale où chacun dispose de deux minutes pour s’exprimer : bilan, propositions d’actions et pistes de réflexion sont mis sur le tapis. Et pour réagir, la foule use de méthodes silencieuses : les mains levées et agitées en guise d’applaudissements et les bras en croix en signe de refus. Des gestes directement inspirés du mouvement des Indignés espagnols de la Puerta Del Sol en 2011.

 

Vers un Podemos à la française ?

 

« Il faut rester prudent avec les comparaisons hâtives, mais il est vrai que le mouvement des Indignés ibériques reste présent dans beaucoup d’esprits place de la République », reconnaît Gaël Brustier, pour qui le mouvement peut prendre de l’ampleur, à condition de trouver « un point de convergence qui puisse permettre de dépasser la simple rhétorique sociologique militante ». Une réalité dont François Ruffin a bien conscience : « L'Espagne a connu une crise terrible, bien plus grave que celle que traverse la France... On ne peut pas dupliquer une mobilisation, il faut trouver autre chose. »  Quant à la question d’un Podemos à la française, Gaël Brustier reste prudent : « Parler d’envergure politique est prématuré. Les membres du mouvement doivent d’abord fonctionner correctement entre eux. » Pour l’instant, Nuit debout ne mobiliserait que la « petite bourgeoisie intellectuelle, à précarité variable », selon François Ruffin. S’il veut espérer durer, le mouvement devra donc réussir à embarquer avec lui les milieux les plus populaires. Affaire à suivre.


Capucine Coquand

 

Crédit photo : @nuitdebout

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