Mardi 5 avril, l’Assemblée nationale a définitivement adopté les deux propositions de loi relatives à l’élection présidentielle qui bouleversent le temps de parole des candidats.

Le législateur a troqué l’égalité pour l’équité. Dorénavant, dès le dépôt des listes  — soit cinq semaines avant l’élection — le temps de parole des candidats sera déterminé en fonction de leur degré de représentativité dans le pays. Le principe d’égalité ne s’appliquera que pour les deux dernières semaines de la campagne. Selon la rapporteure du texte, Élisabeth Pochon, le texte élaboré par les députés PS Bruno Leroux et Jean-Jacques Urvoas en novembre 2015, aurait vocation à simplifier les modalités de temps de passage des candidats. « Ces règles sont un casse-tête pour les médias. Résultat : la couverture de l’élection de 2012 avait été divisée par deux par rapport à 2007 sur les grands chaînes de télé généralistes », explique-t-elle au journal La Croix. Si la plupart des députés de la majorité se font discrets sur cette question, certains se montrent moins réservés : « Une dizaine, ou une quinzaine de candidats, ça ne me paraît pas indispensable à la vie démocratique d’un grand pays comme le nôtre », déclare le député socialiste François Loncle interrogé sur France Inter. Le texte, plébiscité par 266 députés PS, verrouille ainsi ouvertement l’élection au bénéfice des « grandes » familles politiques. Seuls 22 députés LR ont pourtant choisi de voter pour (et 67 contre). Gilbert Collard et Marion Maréchal Le Pen, les deux seuls représentants du FN, se sont eux aussi opposés au texte qui inquiète le reste de la classe politique.   

 

« C’est un crime contre la démocratie »

 

« À un an de l’élection présidentielle, alors que 78 % des Français se disent prêts à voter pour un candidat qui ne serait ni issu ni soutenu par un parti politique, onze députés, missionnés pour préserver les intérêts de leur caste, ont voté en catimini le changement des règles d’accès à l’élection présidentielle », s’insurgent plusieurs partis citoyens (Génération citoyen, Nous citoyens, Pacte civique, Nouvelle Donne…) dans une tribune publiée par Le Monde, le 1er avril. Décidés à défendre leurs couleurs politiques, les petits partis haussent le ton. « Trois partis dominants vont monopoliser le temps de parole. Ils veulent faire disparaître le premier tour. C'est un crime contre la démocratie », s'est emporté Nicolas Dupont-Aignan. « Avec cette règle, plus vous avez de notoriété, plus vous êtes installé dans le paysage et plus vous êtes favorisé », s’inquiète Jean-Luc Laurent, le président du mouvement des républicains et citoyens. Du côté des intellectuels, on tire la sonnette d’alarme : « Cette réforme fait faire un grand bond en arrière au pluralisme dans notre régime politique et au renouvellement des idées dans le débat », signale le politologue Thomas Guénolé dans une tribune publiée par L’Obs. Il rappelle au passage, que « l’équité – la vraie – ne consiste pas à donner à chacun selon sa force : elle consiste à compenser les handicaps au départ des plus faibles. »

 

Des questions en suspens

 

Au-delà du désaccord manifeste, la proposition de loi laisse en suspens une question majeure : comment déterminer la représentativité de chaque candidat ? Le texte prévoit un calcul proportionnel aux dernières élections, mais quid des cas ou deux candidats se présentent pour un même parti (comme Jacques Chirac et Édouard Balladur en 1995) ? Comment gérer les cas de coalition ? Doit-on prendre en compte l’abstentionnisme ? Quant aux sondages, « là aussi le bât blesse, selon Thomas Guénolé. Les premiers pointages de la campagne répartissent le gâteau du temps de parole, donc les candidats encore inconnus ou "petits" se retrouvent à 0 % de temps de parole jusqu’à quinze jours avant le vote, et c’est fini ; la messe est dite. » Un contrôle de la régularité de ces sondages par une autorité indépendante devra par ailleurs être mis en place pour éviter toute fausse note. Des questions auxquelles l’exécutif devra apporter des réponses, sans quoi les petits partis risquent d’user de la force pour se faire entendre… 2017 pourraît bien tourner à l’anarchie médiatique. 

 

 

Détail du scrutin :

Groupe socialiste, républicain et citoyen -  pour : 266 / contre : 7

Groupe Les Républicains - pour : 22 / contre : 67

Groupe UDI – contre : 28

Group radical, républicain, démocrate et progressiste - pour : 2 / contre : 8

Groupe écologiste - pour : 6 / contre : 10

 

 

Capucine Coquand

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