Avant de quitter la présidence du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré lance un pavé dans la mare. Pour lui, l’institution devrait effectuer un contrôle de conventionnalité des lois en plus de celui de constitutionnalité à moyens constants.

« Passer d’un contrôle de constitutionnalité à un contrôle de conventionnalité. » C’est avec ces mots publiés dans Le Monde daté du 5 janvier dernier que le président sortant signe son départ. Ou comment une petite question de vocabulaire juridique - passée inaperçue dans le monde politique - remettrait en cause l’ordonnancement juridictionnel français. Le contrôle de conventionnalité consiste à vérifier la conformité de la loi par rapport aux engagements internationaux ratifiés par la France. Or, le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour cette mission dans sa décision IVG de 1975.

 

Multiplier les chances de contestation d’une loi

Si le Conseil constitutionnel devenait compétent pour examiner la loi par rapport aux conventions internationales, cette mission viendrait s’ajouter au contrôle de constitutionnalité qui permet l’abrogation des dispositions de la loi contraires à la Constitution. Dès lors, l’institution aurait le monopole du contrôle de la loi à tous égards.

Vu l’importance du nombre de conventions internationales ratifiées par la France (plus de quatre mille), certains juristes soutiennent que cette nouvelle compétence lui prendrait beaucoup de temps. Il est incontestable que cette faculté multiplierait les chances de remise en cause d’une disposition législative, et donc les saisines : il y aura toujours une convention internationale quelque part contredisant la loi… Or, Jean-Louis Debré l’a dit et répété : il recommande à son successeur de refuser toute augmentation de budget et de moyen. L’institution devrait tout de même modifier son fonctionnement interne afin d’être capable de respecter les délais raisonnables de traitement qu’elle s’est elle-même imposée. Pour le moment, elle se contraint à un délai de trois mois pour rendre ses décisions après avoir été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

 

Des droits fondamentaux plus attractifs

L’affaire EADS est une bonne illustration de ce que serait la force du contrôle de conventionnalité. Le Conseil constitutionnel - restreint alors par sa mission de contrôle de constitutionnalité - a rendu une décision depuis bien longtemps tranchée par la CEDH. En décidant en mars 2015 que les délits boursiers ne pouvaient pas être poursuivis à la fois par le parquet et par une autorité de régulation (l’AMF) sur le principe du non bis in idem, il s’aligne bien sur la jurisprudence rendue par la CEDH en 2014, mais avec l’exercice d’un contrôle de conventionnalité, les Sages n’auraient pas eu à chercher dans la Constitution.

Autre argument phare : le contrôle de conventionnalité lors de l’examen de la loi rendrait les droits fondamentaux plus attractifs. C’est notamment l’avis du professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, Guillaume Drago : « Si le Conseil constitutionnel devenait compétent pour le contrôle de conventionnalité, ce serait sûrement une avancée pour les droits fondamentaux. Et en ce sens j’y suis favorable ».

 

Une Cour suprême à la française

Pour le moment, Laurent Fabius ne s’est pas prononcé sur cette évolution du statut de l’institution. Et actuellement, ce sont bien les juges judiciaires et administratifs qui sont compétents, en qualité de juges du droit, en matière de contrôle de conventionnalité. Si demain le Conseil constitutionnel exerçait cette mission, elle deviendrait une Cour suprême à la française. Or, il n’est pas sûr que les hauts magistrats acceptent de se la voir retirer. « L’harmonisation des deux contrôles pose un problème de concurrence des institutions mais également de concurrence des textes », déclare Michel Verpeaux, professeur à l’université Panthéon-Sorbonne. Une réelle rivalité entre les juridictions s’opère dans l’ombre. La Cour de cassation ne compte pas abandonner sa compétence aussi facilement. Si elle ne communique pas sur ce point, cela n’est pas un secret.

 

Pascale D’Amore et Estelle Mastinu

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