La puissance du mouvement extrémiste n’est plus à démontrer. Avec un budget estimé entre 1,5 et 2 milliards de dollars pour la seule année 2015, l’organisation terroriste la plus riche du monde et ses 30 000 djihadistes de toutes origines contrôlent près de dix millions d’habitants. 15 000 photos de propagande, huit cents vidéos traduites en onze langues, une vingtaine de magazines : un pouvoir d’une forme inédite.

Samedi 5 juillet 2014. Une date clé dont l’histoire se souviendra comme le jour où Abou Bakr Al-Baghdadi a officiellement restauré le califat, une semaine après la proclamation de l’État islamique. Devant une foule de fidèles présents à la mosquée de Mossoul, quarante minutes lui auront suffi pour passer du statut d’imam à celui de calife. En choisissant un samedi (le jour de prêche étant réservé au vendredi), le calife autoproclamé opère un tour de force symbolique et calculé. Pour Philippe-Joseph Salazar, rhétoricien et philosophe, « l’effet rhétorique de cette apparition est magistral. La dignité de l’effet oratoire est celle d’une intronisation ». Un sacre donc, marquant le premier temps d’une stratégie d’actions emblématiques, ciment institutionnel, socle de celui qui voudrait être nommé « État islamique ». Dorénavant appelé le calife Ibrahim, celui-ci commande à la fois le pouvoir religieux (il dirige la prière), politique et militaire. Une fonction étrangère au mode occidental, reposant sur une exigence d’obéissance et d’allégeance : le guide agit en successeur de Mahomet dans la poursuite de l’extension de la communauté des croyants qui passe par le djihad. Un sacre autoritaire, résonnant comme un appel, frontalement opposé à la notion de dialogue ancrée dans les sociétés occidentales. « Un appel qui balaie de côté les transactions, les accommodements, les compromis et les tractations (…), selon Philippe-Joseph Salazar, et qui dans sa stupéfiante nouveauté, tranche avec la monotonie de notre culture du dialogue où tout se vaut.» La force de l’EI résiderait ici.

 

Financement

 

 

 

1. La vente d’antiquités : 100 M$*. L’EI exploiterait méthodiquement plus de 4 500 sites archéologiques, soit un tiers de ceux répertoriés en Irak et en Syrie, afin d'organiser un trafic lucratif passant par des contrebandiers turcs notamment.

2. Les taxes et extorsions : 360 M$*. Des taxes sont imposées aux populations locales, en particulier aux fonctionnaires (retraités) encore payés par les autorités de Bagdad ou de Damas, ce qui représente 300 millions de dollars par an. L’EI taxe par ailleurs les commerçants, ainsi que tout passage aux frontières qu’il contrôle.

3. Le pillage des banques : en pillant les banques, et notamment la banque centrale de Mossoul en juin 2014, l’EI aurait dérobé environ 450 millions de dollars.

4. Les ressources pétrolières : 60 % de la production pétrolière syrienne est extraite, raffinée et revendue au marché noir par l’EI. Une ressource en chute mais estimée à 290 M$*.

 

• Agriculture : 200 MS*

• Dons : 40 M$

 

Sans oublier, pour ces hommes pieux, le rançonnement et le kidnapping (40 M$*), la traite des femmes, les trafics d’organes et de drogues, le vol…

 

*  : Estimations chiffrées pour 2015 dans un rapport du Congrès américain, avril 2015.

 

Glossaire

 

Chiisme : le terme « chi’at Ali » renvoie à un groupe des partisans d’Ali, gendre et cousin de Mahomet, et qui voit en lui son successeur au nom des liens du sang. Les chiites, à l’inverse des sunnites, prônent une séparation claire entre les autorités politiques et religieuses. L’Iran, l’Irak, l’Azerbaïdjan et le Bahreïn sont les principaux pays d’influence chiite.

Djihad : de l’arabe « Jihâd », il consiste à protéger la foi d’un individu et ses droits mais implique aussi la lutte pour accomplir le bien et éradiquer l’injustice, l’oppression et le mal. Terme employé à 33 reprises dans le Coran.

Salafisme :de l’arabe « Al salaf al salih » (« les pieux devanciers ») : mouvement sunnite revendiquant un retour à un islam rigoriste et rejetant toute innovation.

Sunnisme : le terme « sunna » (« cheminement » ou « pratiques »), renvoie à la ligne de conduite de Mahomet. Il est employé dans le Coran pour désigner la « loi immuable ». À la mort du prophète, en 632, les sunnites désignent son compagnon de toujours Abou Bakr comme son successeur et prônent un retour aux traditions tribales. Les sunnites sont majoritaires et représentent 85 % des musulmans du monde actuel.

Takfirisme : le terme « takfi ri » désigne l’excommunication. Sousbranche du salafi sme, le takfi risme est un mouvement sectaire fondé en 1971 qui prône une idéologie violente et qualifie d’hérétiques les musulmans ne partageant par leur point de vue. L’appel perpétuel aux armes est une de ses principales caractéristiques.

 

 

? Philippe-Jospeh Salazar.(philosophe et rhétoricien) :« Sans ses canaux de persuasion, le califat serait resté une rébellion comme les autres »

 

? Denis Bertrand (Sémiologue) :« Une lecture hystérisée d'une histoire qui n'a pas été vécue »

 

?Michael Rinn (professeur en sciences du langage) : « Le discours de Daech vise à la fois à éliminer l’adversaire et à écraser l’auditoire »

 

Capucine Coquand et Quentin Lepoutre

 

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