Qu’ont en commun Jean-François Copé, Christophe Caresche, Frédéric Lefebvre, Noël Mamère, Dominique de Villepin ou François Baroin ? Ce sont tous des hommes politiques. Ce sont également tous des avocats. Business, exteion du domaine du pouvoir, lobbying, confusion des genres, péché de vanité ou d'orgueil …

Qu’ont en commun Jean-François Copé, Christophe Caresche, Frédéric Lefebvre, Noël Mamère, Dominique de Villepin ou François Baroin ? Ce sont tous des hommes politiques. Ce sont également tous des avocats. Business, extension du domaine du pouvoir, lobbying, confusion des genres, péché de vanité ou d'orgueil …

«Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Le 9 janvier 2008, dans les locaux de la première chambre de la cour d'appel de Paris, la toque C1203 prête serment. Entouré des jeunes fraîchement sortis de l’École française du barreau (EFB), Dominique de Villepin, ancien Premier ministre, a revêtu l’épitoge herminée et le nœud papillon. Le 22 octobre dernier, c’était au tour de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, de prononcer ses vœux. Ancien journaliste, Noël Mamère est aujourd’hui maire de Bègles et député de Gironde. Depuis le 7 mai 2008, il ajoute à ses casquettes l’avocature.

Cumul
Frédéric Salat-Baroux, Patrick Devedjian, Christophe Caresche, François Baroin, Robert Badinter, Roland Dumas, Ségolène Royal, Pascal Clément, Dominique Strauss-Kahn, Arnaud Montebourg, ont également embrassé la carrière d’avocat. Certains ont mené les deux de front. D’autres ont préféré se concentrer sur leur mandat. Tout en haut déjà, Raymond Poincaré, François Mitterrand ou Nicolas Sarkozy sont d’anciens hommes de robe. Aujourd’hui, une quarantaine de députés exerce en parallèle la profession d'avocat. C'est d’ailleurs l'une des plus représentées dans l’Hémicycle.

Travailler plus pour gagner plus
Légalement, rien à redire. Un système de passerelle réglementaire existe.
Depuis la loi constitutionnelle du 4 août 1995 instituant une session parlementaire ordinaire unique (du premier jour ouvrable d’octobre au dernier jour ouvrable de juin, dans la limite de 120 jours de session par an), être parlementaire est un travail à temps plein.  Qu’il plaide, conseille, transige ou étudie dans l’ombre, l’homme de robe – profession libérale oblige – ne compte pas non plus ses heures.

Pour le commun des mortels, la profession d’avocat constitue le terminal d’un long chemin. Le candidat doit être titulaire d’une maîtrise en droit et s’inscrire dans un Institut d’études judiciaires (IEJ) qui a vocation à préparer à l’examen d’accès au centre régional de formation à la profession d’avocat (CRFPA). Une fois passé cet examen, l’élève avocat suit une formation professionnelle théorique et pratique de 18 mois, couronnée par l’obtention d’un examen : le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). L’élève avocat peut enfin prêter serment et plaider devant les juridictions.

Le décret du 27 novembre 1991 permet de devenir avocat en fonction de son expérience professionnelle. La qualité de parlementaire (8 ans minimum) ou la qualité d'ancien ministre permet de demander l’inscription au Barreau.
Lorsque François Baroin, député et maire, annonce qu’il se limite à seulement trois dossiers par an, nombreux sont les avocats qui rappellent « qu’être avocat est un travail quotidien, ne serait-ce que pour être à jour de la législation et de la jurisprudence ! ». Nul ne consulterait un chirurgien qui n’opérerait que trois fois par an.
Pour Jean-François Copé, (qui n'a pas souhaité répondre à nos questions) à l’agenda déjà bien rempli, tout n’est pourtant qu’une « question d'organisation ». L’avocature est une activité qui lui permet « d'avoir de temps en temps les pieds sur terre » (à Jean-Michel Aphatie, RTL, le 25 septembre 2009).

Le Conseil de l'Ordre des avocats, présidé par le Bâtonnier, a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession. Il veille à l'observation des devoirs des avocats, ainsi qu'à la protection de leurs droits. Toutefois, il n’est pas amené à effectuer un contrôle sur le nombre d'heures de travail que l'avocat peut être conduit à assurer en dehors de l'exercice proprement dit de sa profession. Quant aux députés inscrits au Barreau de Paris, Hervé Robert,  responsable du service de l'exercice professionnel, précise que « la seule incompatibilité est de ne pas plaider contre l'État. Aucun contrôle sur le  rythme des affaires ou sur un minimum d’heures n’est effectué ».

Antichambre et turpitude
Reste que pour le grand public, la double casquette est difficile à saisir et le doute demeure. Comment servir l’État, la collectivité et les citoyens, tout en représentant les intérêts d’une cause privée, d’entrepreneurs ou de groupes ? La confusion des pouvoirs est fréquemment dénoncée. On sait depuis Locke et Montesquieu que les différentes fonctions de l’État doivent être séparées, notamment pour limiter l’arbitraire et prévenir les abus que pourrait entraîner l’exercice de missions souveraines. Pourtant, les avocats sont indépendants. Ils constituent des auxiliaires de justice qui n’appartiennent ni au pouvoir exécutif, ni au judiciaire, ni au législatif. Point de mélange des genres.

À condition que « l’avocat investi d’un mandat public, électif ou non, veille à ce qu’aucune confusion ne puisse s’établir entre l’exercice de sa profession et l’accomplissement de son mandat » (article P.41.2 du règlement intérieur du barreau de Paris). C’est le cas par exemple d’un Robert Badinter, auteur de la loi du 5 juillet 1985 sur l'indemnisation des victimes d'accident de la route.
Il n’aurait pu plaider dans une affaire d’accident de la circulation. Pour éviter tout conflit d’intérêt ou toute pression sur les magistrats, la loi encadre strictement la position de l’avocat. « Si l’avocat est probe et si sa parole est crédible, c’est bien parce qu’il est indépendant. Si un désaccord sur le fond d’une défense intervient, libre à l’avocat de s’en libérer ! », rappelle Me Eolas, pseudonyme d'un avocat au barreau de Paris, auteur d'un blog juridique à succès (journal d'un avocat : www.maitre-eolas.fr).

En droit, une partie civile ne peut pas faire appel d'une condamnation ou d'un acquittement. Elle doit se tourner vers le parquet général. Dans l’affaire du procès de Youssouf Fofana (le gang des barbares, d’avril à juillet dernier), Francis Szpiner, avocat de la partie civile, a dû viser plus haut. Un appel a ainsi été formulé par le parquet à la demande de la garde des Sceaux, notamment sous son impulsion. Me Szpiner souhaite que le procès d'appel soit public : « le procès qui a eu lieu à huis clos en première instance n'a pas eu les vertus pédagogiques souhaitables. Il faut que tout le monde sache ce qu'il se dit dans les débats et prenne la mesure de l'ignominie du crime qui a été commis. » (L’Express, 22 juillet 2009). Pour ce faire, il demande à deux parlementaires, François Baroin et Jack Lang, de changer la loi, afin de permettre aux cours d'assises de choisir entre un procès public et le huis clos si des accusés, mineurs au moment des faits, sont en cause. « François Baroin a rendu service à son ex-patron pour peser sur l’action publique. On est en présence même d’un exemple de dérive, mise à disposition de l'entregent pour contourner l'indépendance du parquet à l'égard des autres parties du procès », estime l’avocat blogueur.

Carnet d’adresses
Qu’un homme politique devienne homme de loi pose également la question de savoir ce qui empêche désormais l’élu d’entretenir des relations d’affaires ? Son seul carnet d’adresses ferait rêver bon nombre de cabinets de conseil, de lobbying et de médiation. La frontière avec le clientélisme est proche.
Le cas Jean-François Copé a défrayé la chronique. Député de la 6e circonscription de Seine-et-Marne, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, maire de Meaux et à la tête du think tank « Génération France.fr », Jean-François Copé a fait son entrée dans le monde des cabinets d’avocats. Et pas des moindres. Chez Gide Loyrette Nouel, l’un des plus gros de la place de Paris, en qualité de conseil-médiateur à temps partiel.
Le cabinet a été chargé de conseiller l'État dans le projet de fusion GDF-Suez. Et Me Copé a été pointé du doigt. Député, il ne peut pourtant travailler sur des dossiers dans lesquels l'État est impliqué. L’article LO 149 du code électoral interdit aux parlementaires-avocats de plaider contre l’État ou d’être le conseil d’entreprises publiques.
De son côté, l’article P.41.2 du règlement intérieur du barreau de Paris dispose que « l’avocat investi d’un mandat parlementaire ne peut accomplir aucun acte de sa profession, ni intervenir à aucun titre et sous quelque forme que ce soit : pour ou contre l’État, ses administrations et ses services, les sociétés nationales, les collectivités et établissements publics ». L’ancien ministre délégué au Budget assure néanmoins que « cette activité d’avocat ne concernera en aucun cas ni l’État, ni les dossiers traités en tant que ministre ».

Aussi bons juristes soient-ils, le carnet d’adresses reste bien sûr l’outil majeur des hommes politiques. Sa monétisation redéfinit la véritable activité de ces avocats. « Ils conseillent bien plus qu’ils ne plaident », admet Me Eolas, avant d’ajouter : « dès lors que l’avocat facture ses conseils (ce qui donne d'ailleurs lieu à TVA…), et qu'il en reste au stade du conseil ou de la négociation, tout est légal. Aucune corruption ou trafic d’influence ».

Puisque les parlementaires ne peuvent facturer leurs conseils, autant qu’ils passent la robe. Reste l’obligation de compétence du professionnel.
La crédibilité d'un métier, fût-il avocat ou politique, tient à la technique, au respect de ses codes et à la connaissance de ses usages. Comme le rappelait Honoré de Balzac, « la gloire d'un avocat consiste à gagner de mauvais procès ».

À l’unanimité, les avocats avouent que « c’est le client qui fait l’avocat ». Professionnels et techniciens du droit doivent être disponibles pour leurs clients. « Au politique de ne pas trahir ses électeurs. À l’avocat de ne pas trahir ses clients », plaide Me Eolas.
 

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