Le Cercle Montesquieu alerte sur les risques encourus en matière de manquement aux droits de l'homme.
La commission affaires internationales du Cercle Montesquieu et le cabinet Herbert Smith Freehills ont organisé le 17 septembre dernier une conférence intitulée « Entreprises et droits de l’homme », avec la participation de la Chambre de commerce internationale (CCI). L’objectif affiché était d’alerter les directions juridiques sur cette problématique de plus en plus présente.

Les principes directeurs des Nations unies
L’intitulé de la conférence fait référence aux principes directeurs sur les droits de l’homme et les entreprises adoptés par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies le 17 juin 2011, sur la base des principes dégagés par le professeur John Ruggie (photo) en 2008. Il reprend également le nom du projet du Centre des droits de l’homme de l’American Bar Association (ABA), particulièrement impliquée sur cette question. Ces principes reposent sur trois lignes directrices : d’abord, la responsabilité des États qui doivent respecter, protéger et mettre en œuvre les droits de l’homme et les libertés fondamentales ; ensuite, la responsabilité des entreprises, qui doivent se conformer aux législations et respecter ces principes ; enfin, le droit à une indemnisation des victimes en cas de violation de leurs droits. Il est précisé que ces règles s’appliquent « à toutes les entreprises commerciales, transnationales ou autres, indépendamment de leur taille, de leur secteur, de leur lieu d’implantation, de leur régime de propriété et de leur structure ».

Quelles différences avec la RSE ?
Ces principes directeurs, encore peu connus du grand public, se distinguent de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). En effet, la RSE consiste pour les entreprises à intégrer des préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et leurs relations avec les tiers sur la base du volontariat. Au contraire, les droits de l’homme s’imposent aux entreprises et les principes directeurs encadrent leur respect par les sociétés. « L’entreprise ne doit pas raisonner par rapport aux risques pour elle-même mais par rapport aux risques pour les personnes qui les entourent. Il s’agit du risque que ses activités provoquent des incidences négatives sur les droits de l’homme et les gens qui participent à l’activité », explique Stéphane Brabant, associé chez Herbert Smith Freehills et membre du conseil consultatif du projet du centre des droits de l’homme de l’ABA.

La marée monte
La montée en puissance de cette référence dans le cadre de l’entreprise se confirme depuis quelques années avec l’accroissement des référentiels internationaux, des exigences sociétales et du rôle dévolu aux entreprises dans le contexte de la mondialisation. « La marée des droits de l’homme monte mais elle ne redescendra pas », précise Christopher Baker, avocat, également membre du conseil consultatif du projet. Dans ce contexte, les directions juridiques doivent prendre conscience de l’importance de ces questions et des évolutions déjà à l’œuvre. Au-delà de l’atteinte à l’image et à la réputation de l’entreprise, les risques pénaux existent déjà dans certains pays et peuvent dépasser la responsabilité des fournisseurs ou des filiales pour atteindre également les maisons mères. « Les entreprises ont encore le temps de réagir car il n’y a pas encore de flic mondial des droits de l’homme. Mais on murmure que la Cour pénale internationale souhaiterait s’attribuer ce rôle et chercherait à faire un exemple qui capterait l’attention des directions juridiques sur ces sujets », prévient encore Christopher Baker. Le 26 juin dernier, le conseil des droits de l’homme des Nations unies a voté en faveur d’un projet de résolution déposé par l’Équateur et l’Afrique du Sud visant l’élaboration de nouvelles normes contraignantes pour les entreprises, malgré l’opposition de la France, de l’Allemagne et des États-Unis. Un groupe de travail intergouvernemental devrait être mis en place d’ici fin 2015 pour faire des propositions précises.

Trois recommandations de la CCI
La CCI se montre très impliquée sur la question des droits de l’homme au sein de l’entreprise, à laquelle elle a d’ailleurs été associée auprès des institutions intergouvernementales. L’un de ses principaux objectifs est de faire de ce respect un avantage concurrentiel et compétitif pour les entreprises. Concrètement, la CCI recommande aux entreprises d’y faire explicitement référence ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme dans leurs documents internes (charte de l’entreprise, règlement intérieur, code de conduite, etc.). Elles doivent ensuite identifier les droits auxquels elles sont susceptibles de porter atteinte au travers de leurs activités (« due diligence »), selon le secteur dans lequel elles évoluent. François Georges, délégué général de la CCI pour la France, conseille de faire appel à des sociétés d’audit externe pour cette étape. Enfin, il est indispensable que les entreprises associent leurs fournisseurs et leurs autres partenaires à cette démarche en les encourageant à souscrire des engagements similaires et en contractualisant ces obligations respectives. À nouveau, il est possible de recourir à des audits externes pour s’assurer du respect effectif de leurs engagements.

Total : l’exemple à suivre
Certaines sociétés françaises semblent avoir anticipé cette évolution, à l’image de Total, saluée par Stéphane Brabant et François Georges pour son exemplarité dans le suivi et la mise en œuvre des principes directeurs depuis plusieurs années déjà. « Le respect des droits de l’homme est un impératif pour toute entreprise responsable », avait indiqué Christophe de Margerie, P-DG de Total, dans un discours du 5 octobre 2010. « Nous tenons à souligner que les droits de l’homme sont un ensemble de principes qui contribuent à améliorer notre “acceptabilité” sociale, en particulier auprès des communautés des pays pauvres avec lesquelles nous sommes en rapport », avait-il précisé. De même, le secteur bancaire n’est pas en reste puisqu’il dispose de ses propres principes directeurs appliqués au domaine financier pour les opérations de financements de projets (principes de l’Équateur de 2003). « Les questions environnementales et sociales qui pèsent sur nos clients peuvent également avoir des répercussions sur la réputation de la banque qui a contribué au projet », explique Cécile Rechatin, responsable politiques environnementales et sociales de la Société générale. Cependant, beaucoup de directions juridiques n’ont pas encore conscience de l’importance des droits de l’homme dans les activités de la société. Éric Gardner de Béville, coprésident de la commission affaires internationales du Cercle Montesquieu, relève ainsi que « les entreprises se sentent souvent victimes des droits de l’homme et ne comprennent pas toujours pourquoi elles devraient s’y intéresser, considérant que ce n’est pas leur rôle mais celui des États ». Et son coprésident Vincent Mercier de s’interroger : « Les bonnes intentions que l’on nourrit aujourd’hui ne seraient-elles pas en train de paver le prochain enfer ? » Une conclusion certainement contredite dans l’avenir grâce à l’engagement des juristes dans l’entreprise.

Pauline Carmel

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