Président de la fondation « Énergies pour l’Afrique », Jean-Louis Borloo promeut un « plan Marshall » pour l’électrification de l’Afrique. Entretien.

Décideurs. Quelle est votre principale motivation dans la création de la fondation pour les énergies en Afrique ?

Jean-Louis Borloo. La fondation n’est qu’un outil au service d’un projet d’avenir, notre avenir. Le sujet fondamental c’est que l’Afrique, l’Europe et tout le bassin méditerranéen sont à la croisée des chemins. Voilà un continent jeune dont la population va doubler d’ici 2040 pour atteindre deux milliards d’individus, un choc démographique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Or, ce continent dont le taux d’accès à l’électricité se situe autour de 25 % vit une exception absolue. Le consensus récent qui se dégage consiste à dire que l’énergie est un préalable à tout processus de développement. Elle est indispensable à l’agriculture, à l’éducation, à la santé, à l’accès à l’eau potable - première cause de mortalité en Afrique - et à l’emploi.

Les chiffres de la croissance africaine cachent une réalité chaotique et dangereuse qui menace tout aussi bien la paix et la stabilité en Afrique, en Europe, aux Proche et Moyen-Orient. Cette situation n’est pas tenable si l’on n’y apporte pas une réponse vigoureuse, méthodique et appropriée. D’où la mise en place d’un plan d’urgence, assimilable à un « plan Marshall », sur dix ans, pour financer le déficit d’énergie en mobilisant l’ingénierie publique et les subventions nécessaires autour d’une organisation gérée par et pour les Africains.

Décideurs. Quels sont les intérêts de la France et de l’Europe à soutenir ce projet ?

J.-L. B. Il en va de l’intérêt vital de la France et de l’Europe de soutenir ce projet. La France et l’Europe ont leur destin lié au continent africain, si proche. Tous les économistes sont formels : dans les vingt à trente années à venir, la croissance africaine oscillera probablement entre 10 % et 15 % par an et son impact sur la croissance européenne serait de l’ordre de 3 %. L’Afrique est un relais de croissance pour l’Europe, qui a besoin d’un supplément d’âme, et ce projet y contribuerait.

L’électrification est enfant de vieilles nations où la subvention et l’administration publique ont porté à bout de bras son démarrage en Occident. Une ingénierie publique dont la France et l’Europe possèdent le savoir-faire. Le marché ne pouvant financer à lui seul un tel investissement. Il faut mettre en place un fonds de soutien de 250 milliards de dollars que vont abonder l’Europe et la communauté internationale.

650 millions d’Africains ont un portable, et si l’énergie fait défaut, ils iront là où se trouve la lumière. Cette migration est déjà en marche vers les pôles urbains africains et vers l’Europe. Et il y a chaque année dix millions d’Africains en plus sans accès à l’énergie. Si nous ne faisons rien, la situation pourrait avoir des conséquences incalculables.

Décideurs. Quelles solutions préconisez-vous pour passer de 25 % à 100 % d’électrification en l’Afrique d’ici 2025 ?

J.-L. B. Les pays africains n’ont ni l’ingénierie publique, ni le niveau de subventions requis pour combler ce vide. Ce que je propose, c’est d’abord de changer le regard de l’Europe sur ce continent frère et celui des opinions publiques européennes et internationales. Cette agence pour l’électrification en Afrique serait le réceptacle de tous les financements privés et publics garantis. La Bad, avec le soutien de son président Donald Kaberuka, mettrait son expertise à profit pour aider à préfigurer cet outil. Il faudra mobiliser quatre milliards de dollars de subventions sur dix ans, complétés par 200 milliards de prêts sous forme de financements privés.

La mise en œuvre de ce plan d’urgence pour l’énergie qui devrait permettre à l’Afrique de lutter contre le dérèglement climatique et de réduire sensiblement la déforestation. Le lancement de cette agence devrait s’effectuer au plus tard au mois de juin prochain et devrait être consacré par la conférence de Paris sur le climat (COP 21) de décembre 2015.

Décideurs. Divers instruments internationaux existent déjà, comme « Power Africa » et le Fonds vert des Nations unies. Comment rationaliser ces dispositifs d’aide pour une meilleure efficacité ?

J.-L. B. Trop de promesses ont été faites et n’ont pas été tenues concernant l’Afrique. Mon combat consiste à mettre en place cette agence pour l’électrification de l’Afrique et d’en faire un réceptacle des initiatives existantes. Car six ans après la mise en place du Fonds vert qui additionne au multilatéralisme, le multifonction et le multi-objectif, force est de reconnaître qu’il n’y a eu aucun résultat tangible. Il faut, me semble-t-il, un outil unique et opérationnel sur ce sujet central. Nous vivons une course contre la montre. On ne peut plus se disperser !

Décideurs. L’Afrique est confrontée à une triple problématique : relever le niveau de ses infrastructures, atténuer son impact sur les changements climatiques et améliorer son bilan carbone. Comment peut-elle y parvenir ? Quels sont les clés pour assurer cette transition énergétique ?

J.-L. B. Commençons par rétablir la vérité ! Contrairement aux différentes assertions, l’Afrique ne produit que très peu de CO2 (300 kilos par habitant), à la différence des États-Unis, qui en produisent 24 tonnes par habitant. Mais l’urbanisation africaine, qui augmente de 35 % par an, a un impact négatif sur le climat. 80 % de l’énergie est produite par le bois de chauffe, ce qui aggrave la déforestation et entraîne la sècheresse. Pour enrayer le cercle vicieux de la pauvreté, il faut mettre en place des programmes adaptés et un mix énergétique.

Propos recueillis par André-Franck Ahoyo et Élodie Sigaux
 

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