Le monde, la France, l’économie, la croissance, les forces et les faiblesses du pays, les réformes… et le projet de loi Macron : quand Jacques Attali est invité par le Sénat à donner son avis.
« Ce n’est pas parce que l’on n’a pas supprimé le service des pigeons voyageurs en 1934, qu’il a ensuite été trop tard pour le faire », prévient Jacques Attali dans un propos liminaire. Autrement dit, la loi Macron, même si elle ne suffit pas, doit s’imposer aux parlementaires.

« Je ne suis pas un conseiller du gouvernement actuel »
Alors que l’Assemblée entame la deuxième semaine de débats – une semaine supplémentaire est concédée, reculant la sortie du texte de la Chambre basse au 13 février 2015 –, le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, porté par le ministre de l’Économie Emmanuel Macron, n’en finit pas de faire parler. Auditionné début février par Vincent Capo-Canellas, sénateur UDI de la Seine-Saint-Denis, Jacques Attali est entendu par le groupe de travail du Sénat préfigurant la commission spéciale.
Il prévient : « Je suis là à titre personnel et n’engage que moi. Je ne suis pas un conseiller du gouvernement actuel. » Le président de Planet Finance a piloté en 2008, à la demande de Nicolas Sarkozy et François Fillon, la commission bipartisane qui a rendu son rapport pour la libéralisation de la croissance française. À l’époque, le rapporteur était un certain… Emmanuel Macron.

Un projet de loi utile
Sans note et en quelques mots à chaque reprise, Jacques Attali répond.
« Il ne faut pas attendre les 20 % de croissance », lance Jacques Attali. Ne rien attendre donc, comme en 1945, 1958 ou 1981. « Les Français sont-ils prêts ?», interroge Catherine Deroche, sénatrice UMP de Maine-et-Loire et rapporteur de la loi à la Chambre haute. Après tout, les réformes de l'armée, des postes et télécommunications et des régions, si elles ont été brutales, n’en ont pas moins été réussies. « On peut le faire si on en a la volonté », plaide l’invité.
Mais pour l’économiste et écrivain, la question est dépassée par le programme de campagne, où tout est dit. « Le Président Hollande a été élu sur un programme dont il a appliqué la quasi-totalité », si bien que le projet de loi Macron « doit être voté, non pour son contenu, mais parce qu’il pourrait annoncer d'autres lois sur des sujets de fond et un processus de réformes plus important. ». En somme, le texte serait comme une sorte de « démarreur dans une voiture ».
Mesure par mesure, le projet de loi est utile car, non seulement il déverrouille les secteurs, mais il les rend davantage fluides, tout en protégeant la justice sociale. Pourquoi ne va-t-il pas plus loin en matière de baisse des charges et de suppression des seuils, interroge un autre membre du groupe de travail. La loi Macron est « une première loi et je vous encourage à la voter, répète Jacques Attali, mais il serait déraisonnable, injuste et inefficace de développer la flexibilité, sans renforcer la sécurité de la formation des chômeurs. » Rappelant que le monde entier scrute la réaction de la France, l’auteur de Devenir soi (Fayard) explique alors que la loi Macron est aussi le signe apparent que l’Hexagone « n’a pas tout essayé », « contrairement à ce que disent les extrêmes qui critiquent la gauche et la droite. »

L’école, la formation professionnelle et la gouvernance des collectivités territoriales
Les faiblesses françaises sont à ses yeux triples. Premier problème structurel : « Nous n'avons pas accepté d'être une nation à la richesse urbaine. » Ironique, lorsque l’on s’adresse au Sénat ! Ensuite, la France est une nation terrestre et non maritime, qui ne dispose pas de place littorale importante. Enfin, l’enseignement préscolaire et primaire est sous-investi et sous-dépensier, au contraire du secondaire. Sans oublier, « notre orientation scolaire en fonction de l'origine sociale qui est catastrophique. »
Résigné Jacques Attali ? Aux parlementaires et membres du groupe de travail, il lance : « Faites ce que vous avez à faire avec cette loi et les suivantes, mais l'essentiel n'est pas là. » Un essentiel qui tient selon lui en trois réformes : l’école, la formation professionnelle et la gouvernance des collectivités territoriales. Pour la première, il s’agit de revoir de fond en comble les programmes et la structure de désignation des maîtres. Pour la deuxième, les partenaires sociaux ne représentant pas l'intérêt général, il s’agit de ne plus voter « selon leurs consignes ». Enfin, si la réforme régionale n’est pas une priorité, il aurait mieux fallu faire primer la métropole sur le département.

Une reprise américaine factice
« La situation de l’économie mondiale est pire qu’en 2008. » La phrase claque et résonne dans la grande salle Clemenceau du Sénat. « Sans réformer, la France et le monde ont seulement pris une dose supplémentaire de dopant à base de dette publique. » D’autant plus qu’elle laisse craindre que si un choc advient, cette variable d’ajustement sera beaucoup moins disponible. Avec une inflation qui s’effondre et des signes persistants de dépression, le monde pâtit d'une insuffisance de la demande.
Ailleurs, même son de cloche : la reprise américaine est factice et financée par de nouveaux subprimes, la croissance de l’économie chinoise ne dépasse pas réellement 5 %, les reprises portugaise et italienne sont bloquées par la dette et un chômage « apocalyptique ». Seul bémol, la Grèce, qui a fait d'énormes efforts et qui est parvenue à dégager un excédent budgétaire indépendamment de sa dette.
Quant à la croissance française, elle pourrait atteindre 1,5 %, en dépit d’une place abandonnée au « Royaume-Uni qui a retrouvé son niveau d'avant crise ». Perdu pour perdu, ne serait-on pas au moment idoine pour lancer une grande réforme fiscale ? « Nous sommes dans une situation idéale pour augmenter la TVA. La désinflation actuelle nous protège de l’impact inflationniste et est idéale pour favoriser les exportations. D’ailleurs, en Allemagne, ils appellent cela, à juste titre, une dévaluation fiscale et non, comme nous, une TVA sociale. »
Et l’ancien gourou de François Mitterrand de conclure : « Le tsunami technologique s’accélère et s’il promet d’être à long terme porteur de bienfaits pour l’humanité, il est pour l’heure annonciateur d’incertitudes, de destruction d’emplois et de désordre mondial. » Une situation globale d’autant plus difficile qu’elle a conduit dès le XVIIIe siècle au protectionnisme et à la guerre. Depuis 1972, la concentration des richesses, exempte de régulation, combinée à un fort chômage et à une élite injustement traitée, réunit « les conditions d’une révolution ». Laquelle ?


Une question à...

Décideurs. Il y a un mois, vous nous annonciez en exclusivité, vous lancer en politique. Où en est ce projet de parti ?
Jacques Attali.
J’ai en effet déclaré que je proposerai cette année un programme pour le devenir soi. Un programme et non un parti. Les choses se mettent en place progressivement et seront prêtes avant la fin 2015. Mais je peux d’ores et déjà vous annoncer que je ne serai pas candidat !


Julien Beauhaire

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