« Le microcrédit est avant tout un acte de confiance.» Voilà quatre années que Catherine Barbaroux a pris la relève de Maria Nowak à la tête de l'association pour le développement de l'initiative économique, plus grosse association de microcrédit de France, afin d'accompagner les exclus du système bancaire dans leur retour à l’emploi. Pour attirer les fonds des "mécènes entrepreneurs", Catherine Monnier, elle, pilote le fonds de dotation de l'association. Rencontre avec un duo de femmes aussi convaincantes que convaincues.
Décideurs. Quelle est l’histoire de l’Adie et de son fonds ?
Catherine Barbaroux.
L’Adie est une association créée en 1989 par Maria Nowak dans les « quartiers » et pour les quartiers. Elle a eu l’intuition que l’accès au crédit, y compris dans les pays dans lesquels le système bancaire est bien maillé, restait difficile pour une certaine frange de la population. Une intuition confortée notamment par l’octroi du prix Nobel de la paix en 2005 à Mohamed Yunus. Aujourd’hui, l’Adie a grandi, a recruté quatre cents salariés, 1300 bénévoles actifs et distribué plus de 150 000 microcrédits depuis sa création. Devant l’érosion des financements publics, Maria Nowak a créé un fonds de dotation géré depuis 2009 par Catherine Monnier pour s’inscrire dans le mouvement général de la philanthropie.

Décideurs. Quelles sont les conditions pour obtenir un microcrédit ?
C. B.
Notre spécificité est d’avoir une dérogation à la loi bancaire pour prêter aux personnes à qui personne ne prête. Nous ne nous substituons pas aux banques mais notre volonté est d’être un vecteur d’intégration financière pour un premier lancement. Nous prêtons à une population à risque : 42 % de nos clients sont au RSA, plus de 2/3 sont au chômage. Des jeunes décrochés, des accidentés de la vie mais aussi de jeunes diplômés. Avec un taux d’intérêt à 6 %, le crédit de l’Adie est plutôt cher. Lorsqu’un entrepreneur se tourne vers l’Adie, c’est souvent en dernier ressort, après avoir échoué auprès du système bancaire traditionnel. En tant qu’association, nous ne fonctionnons pas selon une logique de guichet et n’exigeons aucune condition de revenus. Nos conseillers n’ont aucun pouvoir d’enquête et apprécient la fiabilité du projet, de la personne, évaluent son reste à vivre et demandent en général une caution pour 50 % de la somme. C’est une nécessité pour savoir si l’entourage du porteur de projet croit en lui, s’il y a un soutien familial, ce qui n’est pas toujours le cas. L’Adie est souvent le seul organisme qui a ouvert sa porte. Nos clients sont extrêmement reconnaissants, ils ont le numéro de téléphone du conseiller, du bénévole. En 2014, nous avons accordé plus de 16 000 microcrédits et espérons atteindre la barre des 24 000 en 2017. Le microcrédit est avant tout un acte de confiance.

Décideurs. Vous militez d’ailleurs pour augmenter le plafond du microcrédit de 10 000 euros à 15 000 euros ?
C. B.
Plus que jamais. Le microcrédit est plafonné à 10 000 euros en France alors que son acceptation européenne le définit comme un prêt de 15 000 euros. Le texte qui nous accorde une dérogation au monopole bancaire a été voté en 2005 et ne prévoit aucune réévaluation. Même si le montant du prêt moyen est de 4 000 euros à l’Adie, comme dirait l’un de mes profs à Sciences-Po, on peut avoir une température moyenne de 37 degrés avec les pieds dans le frigo et la tête dans le four. Ce plafond est trop bas, notamment outre-mer, où nous sommes parfois les seuls organismes bancaires à pouvoir prêter. Il faut comprendre que notre action permet de blanchir le travail au noir, oblige les gens à se déclarer. Nous accompagnons le retour à l’emploi. Mon autre combat est d’allonger la durée d’accès au microcrédit aujourd’hui limité à cinq ans. Même si l’Adie fait tout pour que ses clients soient « bancarisables », les banques ne prennent pas toujours le relais. La durée des cinq ans est auto-limitative, il faut pouvoir se projeter dans l’avenir avec des règles qui ne soient pas plus contraignantes que la réalité. Cette réforme ne mettrait en danger ni l’Adie ni le système bancaire. Le dossier est au ministère des Finances, j’ai bon espoir que ça change.

Décideurs. Comment accompagnez-vous les demandeurs de microcrédit ?
C. B.
La première étape d’instruction du projet permet d’apprécier la viabilité du projet, de découvrir les failles de gestion, juridiques ou commerciales. Après ce premier bilan, deux formes d’aides sont proposées. Soit une aide collective par le biais d’une formation, soit individuelle grâce au bénévolat. Chaque entrepreneur est accompagné par deux pivots, le conseiller salarié de l’Adie et le bénévole référent qui sera un centre de ressources pour régler les failles du projet. Ainsi, l’entrepreneur qui a peur de négocier son bail peut se faire aider par un bénévole expert de la négociation. Dans les antennes, des permanences administratives aident les entrepreneurs à régler leurs démarches administratives… Ce qu’on a appris avec 25 ans d’âge, 120 antennes et 250 permanences, c’est essayer de faire du sur-mesure rationnalisé.

Décideurs. Dirigez-vous certains entrepreneurs vers le crowdfunding ?
C. B.
On parle de révolution numérique mais encore faut-il y avoir accès. Aujourd’hui le crowdfunding est proposé comme une solution mais 80 % des donateurs font partie du premier cercle de l’entrepreneur. Or, les clients de l’Adie n’ont souvent pas accès à un tel réseau capable de les soutenir sur ce type de plateforme. En revanche, le crowdfuning peut être un complément dans un plan de financement pour un entrepreneur dont le microcrédit ne lui permet pas d’emprunter toute la somme nécessaire à son projet. Par exemple, nous avons déjà pu collaborer avec certaines régions comme Poitou-Charentes qui a lancé Adopte un projet, sa propre plate-forme de financement participatif qui marche très bien. On a récemment prêté à un couple investi dans un projet d’agriculture bio. Ils avaient besoin d’un âne, son achat s’est fait via le crowdfunding.

Décideurs. Quel type de projet entrepreneurial l’Adie accompagne ? L’un d’eux vous a-t-il particulièrement marqué ?
C. B.
Il y en a plusieurs. On a eu longtemps dans l’antichambre de l’Adie un tableau des 250 salariés qui remerciaient l’association sans qui l’entreprise informatique qui les a embauchés n’aurait pas existé. C’est le récit d’une saga mais il y en a plein d’autres. Ce qui me frappe le plus est la transformation des personnes. Lors de la dernière assemblée générale de l’Adie, un jeune entrepreneur ivoirien est intervenu pour revenir sur sa création d’entreprise de nettoyage à domicile avec des produits bio qui emploie actuellement quarante salariés. Lui-même est un ancien technicien de surface et applique une politique sociale très respectueuse de ses salariés. Un autre jeune-homme a créé le lavage de voiture avec très peu d’eau. Il a aujourd’hui deux antennes à Saint-Denis. Ce jeune-homme qui rasait les murs, était au chômage, discriminé, me tient aujourd’hui un discours de petit patron qui croit au développement de sa boîte. Au fond, la microentreprise est le reflet de la société et parfois même celui de sa maladie. Une histoire m’a récemment sidérée, celle d’une femme architecte d’intérieur, contractuelle du Quai d’Orsay chargée de la décoration des ambassades, loin de la cliente type de l’Adie. Ses contrats prennent fin. À 50 ans, impossible de retrouver un emploi et malgré trente ans au sein de sa banque, l’organisme lui a refusé un prêt de 8000 euros pour les trois mois de loyer nécessaires à l’obtention d’un bail commercial. Un tel refus à l’égard d’une femme divorcée avec encore un enfant lycéen à charge est consciemment une décision qui enfonce la personne. C’est un gâchis inacceptable. Accompagner le retour à l’emploi dans de telles situations est là toute l’utilité sociale de l’Adie.

Décideurs. Qui sont vos donateurs et quelles relations entretenez-vous avec eux ?
Catherine Monnier.
Parmi nos 1 700 donateurs, 96 % sont des personnes privées et 4 % des fondations ou des entreprises, qui représentent à elles seules 50 % des dons. Du « microdon » de quelques euros, les sommes peuvent atteindre jusqu’à 170 000 euros. Les personnes les plus sensibles sont soit des cadres, soit des entrepreneurs qui ont compris à la fois l’intérêt de permettre à des gens d’avoir les moyens de créer leur structure pour accéder à l’autonomie financière et les difficultés inhérentes à la création d’entreprises. Nos donateurs sont plus jeunes que pour d’autres causes avec une moyenne d’âge autour de 60 ans. La majorité d’entre eux ont envie d’être impliqué, ce qui se traduit par des demandes conjointes de dons et de bénévolat ainsi qu’une volonté de retour d’information sur l’utilisation qui est faite de leur argent. Nos donateurs sont assez éclectiques mais tous sont fiers de donner car ils sont en accord idéologique avec notre action.

Décideurs. Le Fonds Adie vient de créer « Mécène pour l’emploi », un programme philanthropique autour de trois programmes dédiés aux femmes, aux jeunes et à la microfranchise solidaire, trois priorités qui intéressent les donateurs ?
C. M.
Les jeunes sont notre public naturel. Nous avons constaté qu’il n’existait pas de dispositif opérationnel rapide pour les aider à passer de l’idée au projet. L’Adie a donc créé CréaJeunes, un dispositif de formation qui épaule les jeunes qui veulent se lancer. Les femmes sont également une de nos cibles prioritaires car il existe un véritable besoin et un déficit de création d’entreprise par les femmes en France. Aujourd’hui, 43 % des créations d’entreprise sont faites par des femmes au sein de l’Adie, elles sont seulement 29 % dans la société française. La microfranchise solidaire est une idée pour répondre à tous les gens qui viennent nous voir avec l’envie de créer et pas de projet viable. L’objectif est de proposer des entreprises clés en main. En déclinant ces trois priorités, nous voulons intéresser les donateurs. Pour donner du sens à leur argent, ces derniers ont besoin d’incarner des projets. Femmes, jeunes et innovation sociale sont des sujets forts, porteurs de sens pour les philanthropes. Aujourd’hui, on compte sur eux pour changer d’échelle. Notre objectif à trois ans est d’accélérer la rentabilité des micro-entrepreneurs et pour cela il nous faut améliorer les outils d’accompagnement. Nous investissons donc dans une stratégie plus lisible et des moyens de communication afin de toucher les donateurs qui veulent inscrire leur action philanthropique dans le changement social durable.

Propos receuillis par Alexandra Cauchard. 

Photo Joseph Melin. 



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