La directive sur les comités d'entreprise européens revisitée
La Directive 2009/38 du 6 mai 2009 révisant celle de 1994 instituant les comités d’entreprise européens (CEE) est entrée en vigueur le 5 juin 2009. Le point sur les dispositions essentielles.
Accroître la proportion de CEE (820 mis en place soit seulement 39 % des entreprises couvertes par la directive) n’était pas le seul objectif de la révision. Il s’agissait aussi d’améliorer l’effectivité des droits d’information et de consultation, de remédier à l’insécurité juridique qui a pu découler de l’application de la Directive de 1994 et enfin, d’harmoniser les définitions retenues en matière d’information et de consultation par les différents textes communautaires.
L’adoption du texte a été fortement marquée par l’intervention des partenaires sociaux en marge de la procédure officielle de codécision. Après avoir refusé de négocier, ceux-ci ont finalement adressé à la Présidence française un « avis conjoint », contenant des formulations reprises pour l’essentiel dans la Directive. Ceci explique que le texte final ait des allures de compromis, recélant contradictions et ambiguïtés.
La nouvelle Directive(1), tout en respectant la structure du texte initial, contribue à harmoniser les concepts en matière d’information et de consultation. Elle laisse néanmoins demeurer les incertitudes sur deux sujets sensibles que sont : la notion de « questions transnationales » délimitant la compétence du CEE et l'articulation de la procédure aux niveaux européen et national.
Notions d’information et de consultation.
Sur ces enjeux majeurs, le nouveau texte propose une définition de l’information là où la Directive de 1994 n’en comprenait pas et complète la définition de la consultation. La nouvelle définition de l’information s’inspire des définitions adoptées par les Directives les plus récentes(2). Il s’agit de la transmission de données afin de permettre au CEE de prendre connaissance du sujet et de l’examiner. Sans se prononcer explicitement sur le moment où cette information intervient, il est précisé que « l’information s’effectue à un moment, d’une façon et avec un contenu appropriés, qui permettent notamment aux représentants des travailleurs de procéder à une évaluation en profondeur de l’incidence éventuelle et de préparer, le cas échéant, des consultations ». |
Le texte induit donc une information préalable à la décision conforme au principe d’effet utile. Il pourrait toutefois susciter l’extension au niveau européen de débats courants en France quant au caractère suffisant de l’information transmise, du fait en particulier de la mention de « l’évaluation en profondeur » figurant dans l’avis conjoint et reprise telle quelle dans le texte final. La nouvelle Directive cherche néanmoins à concilier l’effet utile que doit poursuivre le processus d’information-consultation et l’efficacité du processus décisionnel au sein du groupe : le processus d’information doit se faire « sans ralentir le processus décisionnel au sein des entreprises » selon le Préambule (considérant n°22).
La notion de consultation est complétée par rapport à celle contenue dans la Directive de 1994 la définissant comme « l’échange de vues et l’établissement d’un dialogue ». La consultation doit désormais s’effectuer « à un moment, d’une façon et avec un contenu qui permettent » au CEE « d’exprimer, sur la base des informations fournies et dans un délai raisonnable, un avis concernant les mesures proposées (…) sans préjudice des responsabilités de la direction, lequel pourra être pris en compte ».
Plusieurs points retiennent l’attention. Tout d’abord, la référence à un « avis », lequel apparaît littéralement comme une possibilité et non comme une obligation. Pour autant, l’employeur doit mettre le CEE en mesure d’exprimer cet avis à un moment qui permette de le prendre en compte, même si cette prise en compte n’est qu’une faculté. Pour répondre aux préoccupations des entreprises, le texte prévoit enfin que l’avis doit être rendu dans un délai raisonnable.
Compte tenu des débats auxquels donneront certainement lieu ces définitions, il est recommandé de définir dans les accords la nature de l’information à délivrer (en donnant par exemple des indications sur son degré de généralité par rapport à l’information délivrée aux instances nationales(3)) et les modalités précises en ce qui concerne le processus de consultation. Plusieurs groupes se sont déjà engagés dans cette voie(4).
Ces nouvelles définitions rendent évidemment encore plus déterminante la notion de « questions transnationales ».
Le domaine de compétence du CEE : les questions transnationales.
Il s’agit d’une des questions très débattues. L’organisation patronale Business Europe souhaitait en effet maintenir la formulation contenue dans la Directive de 1994 (compétence limitée aux mesures concernant l’ensemble de l’entreprise ou du groupe ou au moins deux États membres et non les mesures prises par le siège qui n’affectent qu’un seul pays) tandis que les syndicats militaient pour que soit reprise la définition de la Directive du 8 octobre 2001 relative à l’implication des travailleurs dans la société européenne (compétence étendue aux questions qui excèdent les pouvoirs des instances de décision d’un État membre).
Le résultat est mitigé : si l’article 1§4 de la Directive reprend la définition de 1994, le Préambule ouvre des perspectives de débat. L’article 1§4 définit ainsi comme transnationales « les questions qui concernent l’ensemble de l’entreprise (…) ou du groupe ou au moins deux entreprises ou établissements de l’entreprise ou du groupe situés dans deux États membres différents ». Cette définition implique, comme dans le passé, de faire intervenir le CEE dès lors qu’une mesure, quand bien même elle ne concernerait au premier chef qu’un seul pays, aurait des effets transnationaux (exemple : fermeture d’un site avec transfert d’une ligne de production dans un autre État membre).
Les partisans d’une compétence élargie tenteront de plaider qu’un événement, de par son importance, même s’il n’est relatif qu’à un seul pays, concerne l’ensemble de l’entreprise ou du groupe. Ils utiliseront les potentialités du considérant 16 : « Il convient que le caractère transnational d’une question soit déterminé en prenant en compte tant l’étendue des effets potentiels de celle-ci que le niveau de direction et de représentation qu’elle implique (…). Ceci inclut des questions qui, indépendamment du nombre d’États membres concernés, revêtent de l’importance pour les travailleurs européens, s’agissant de l’ampleur de leur impact potentiel, ou qui impliquent des transferts d’activité entre États membres ».
La Directive ne lève donc aucune des incertitudes qui existaient ce qui doit inciter, là encore, les partenaires sociaux à définir précisément les cas de recours au CEE dans les accords5.
L’articulation entre le niveau national et européen.
Cette question, non résolue par la Directive de 1994 et très controversée en France y a donné lieu à des contentieux retentissants.
La proposition de Directive émanant de la Commission du 2 juillet 2008 proposait de renvoyer le règlement de cette question à l’accord instituant le CEE et prévoyait, dans le silence du texte, la concomitance. Cette dernière a été écartée par l’avis conjoint des partenaires sociaux au profit de deux procédures parallèles. S’il est toujours renvoyé à l’accord instituant le CEE le soin de régler cette question, il est en effet prévu qu’ « à défaut de telles modalités, les États membres prévoient que le processus d’information et de consultation est mené tant au sein du comité d’entreprise européen que des instances de représentation nationale (…) ». Le contenu de l’accord constitutif du CEE restera donc essentiel en cas de contentieux sur ce point.
Ces nouveautés ne changent pas la philosophie générale de la Directive : la mise en place d’une procédure d’information-consultation au niveau européen demeure à l’appréciation des partenaires sociaux lesquels définissent de manière autonome les contours de cette procédure, les prescriptions subsidiaires ne s’appliquant que par défaut.
Il existe par ailleurs dans la nouvelle Directive un dispositif semblable à celui de l’article 13 permettant aux partenaires sociaux d’anticiper sa transposition. Entre le 5 juin 2009 et le 5 juin 2011, les entreprises dépourvues de CEE peuvent lancer une négociation régie par la Directive de 1994. Par ailleurs, les accords d’anticipation « articles 13 », de même que les accords conclus sous l’empire de la Directive de 1994, sont sauvegardés.
La nouvelle Directive n’impose donc pas de nouvelles négociations dans les entreprises déjà dotées de CEE. Hors les cas de fusion, ce n’est que si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur une reconduction ou une révision qu’une négociation doit être engagée. Pour autant, les négociateurs affûtent déjà leurs arguments avec pour référence la nouvelle Directive.
1 JOUE, 16 mai 2009
2 Directive 2002/14 établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs ; Directive 2001/86 sur l’implication des travailleurs dans la SE
3 Cass. Soc. 16 janvier 2008, Gaz de France
4 Avenant Saint-Gobain du 1er juillet 2009 au protocole pour le dialogue social européen
5 Accord AXA du 29 juin 2009