Martine Aubry est partout sans en avoir l’air. Le point de vue de Thomas Guénolé, politologue et auteur du Petit Guide du mensonge en politique (First).
Décideurs. Que lire en filigrane des silences de Martine Aubry ?
Thomas Guénolé.
Martine Aubry n’aime pas les journalistes, tant leur façon de faire que leur comportement. Que ce soient leurs questions ou le peu de distance physique qu’ils lui laissent la dérangent. Résultat : elle en fait le moins possible.
Jacques Pilhan avait théorisé ces silences pour le Président. C’est la rareté délibérée de la parole politique censée lui conférer plus de valeur. Seule condition : être au préalable reconnue, sinon cela ne fonctionne pas !
Martine Aubry applique cette rareté et cette maîtrise du timing. Dans sa dernière interview fleuve au JDD (en octobre dernier), elle revient sur les questions clés internes à la gauche et se pose comme rassembleuse de la contestation interne à François Hollande. Sans doute préparait-elle son probable triomphe, pour elle ou pour quelqu’un d’autre, au congrès de juin prochain. Entretemps, il y a eu les attentats et il lui reste désormais une chance de le remporter, si elle se déclare candidate, car un autre prétendant adoubé n’aura pas l’effet d’entraînement souhaité pour renverser la donne.


Décideurs. Elle hésiterait donc ?
T. G.
Après qu’elle est devenue première secrétaire du parti socialiste, c’est son entourage qui a dû la pousser à se lancer dans la primaire à la présidentielle. Elle avait davantage envie de rejoindre Dominique Strauss-Kahn.
Le véritable point faible de Martine Aubry, c’est la pusillanimité, plus que l’hésitation. Il y a toujours une force contraire qui la retient. Finalement, un peu à l’image de son père, Jacques Delors, qui avait refusé en 1995 d’être candidat à la présidentielle.


Décideurs. L’inimitié entre Manuel Valls et elle est-elle d’ordre générationnel ou idéologique ?
T. G.
Elle est idéologique avant tout. Martine Aubry est sociale-démocrate. Manuel Valls, lui, social-libéral. Un socialiste est quelqu’un qui veut changer de système économique pacifiquement. Un social-démocrate ne veut pas changer le système économique, mais souhaite davantage de redistribution et d’égalité. Un social-libéral considère de son côté que, sans égalité des chances, seules des politiques ciblées peuvent avoir lieu.
Si le socialiste estime que sa valeur est l’égalité, le social-libéral parie sur la liberté d’un point de vue capacitaire – donner à chacun les moyens de son émancipation. Quant au social-démocrate, il essaie de concilier les deux tenants, sans changer de système économique.


Décideurs. Nouvelle première secrétaire du PS, candidate à la primaire ouverte du parti, maire de Lille… Où la voyez-vous demain ?
T. G.
Il existe un aspect personnel dans le rapport entre François Hollande et Martine Aubry qu’il ne faut pas négliger. Le premier se dit fils spirituel de Jacques Delors. La seconde est sa fille naturelle. Cette spécificité nourrit leur animosité, mais elle peut également pousser la maire de Lille à aller jusqu'au bout face à l’actuel chef de l’exécutif.
L’intéressée prétend ne penser qu’à la mairie de Lille. Si ça trouve, elle dit vrai. L’accumulation, ces dernières années de cas semblables ne signifie pas le mensonge permanent. Ce qui est certain, c’est qu’à moins de jouer l’incantation elle va devoir y aller.


Propos recueillis par Julien Beauhaire

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