Le politologue, auteur du Petit guide du mensonge en politique ne mâche pas ses mots et dénonce le marketing du discours du Premier ministre.
Décideurs. Le gouvernement peut-il encore rétablir la confiance ?
Thomas Guénolé.
Ce qui s’est passé aux élections municipales de mars 2014 correspond non à une vague bleue, mais à une vague blanche : 40 % des électeurs n’ont pas voulu voter. L’abstention symbolise ce refus du système. C’est d’autant plus grave que le corps démocratique se vide de son sang et se meurt. Combiné au vote antisystème – extrême gauche et extrême droite –, ce n’est pas la droite qui a gagné, mais bien le PS qui a été le plus lourdement touché par cette abstention. Quant au Front national, ses scores locaux s’alignent sur ses scores nationaux. Et, contrairement aux idées reçues, son score national ne progresse pas. Les électeurs frontistes votent pour la marque Front national et plus pour leur leader. Marine Le Pen ne bénéficie pas d’effet locomotive qui lui procurerait un score meilleur que son parti… contrairement à son père.
Systématiquement, aux dernières élections, un électeur sur deux rejette le système. Ce rejet se répartit entre l’abstention, le vote blanc et le vote contestataire vers les extrêmes. Le gouvernement de Manuel Valls, qui conduit une ligne sociale-démocrate, rassemble deux tiers de l’électorat du parti socialiste. Cet électorat du PS en 2012 représentait 27 % des voix, avec une participation autour de 80 %. Ramené aux conditions actuelles, cela reviendrait à 16 % de l’électorat. L’exécutif travaille aujourd’hui avec seulement 16 % de soutien de l’électorat. La majorité a beau être institutionnelle, elle n’est pas quantitative et, à tout moment un million de personnes peuvent descendre dans la rue.
Dans ces circonstances-là, il faut absolument rattraper le seuil de confiance d’un électeur sur deux dans l’électorat total. Et pour ce faire constituer un gouvernement d’union nationale entre les partis du système : UMP, PS, UDI, Modem, EELV.

Décideurs. La dissolution est-elle un risque ?
T. G.
François Hollande pourrait très bien parvenir à la conclusion suivante : sa majorité étant devenue ingouvernable, il vaut mieux dissoudre et passer la main à la droite. Cela pourrait de surcroît favoriser sa réélection en 2017. Mais la dissolution n’est pas la seule option du pouvoir exécutif. Il y a aussi le vote bloqué, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, ou les tractations pour faire entrer les députés récalcitrants dans le giron du gouvernement. Il existe encore une autre possibilité, trop peu utilisée par les gouvernements : faire passer par décrets tout ce qui peut l’être au regard de la Constitution et laisser ainsi dans le domaine de la loi uniquement ce qui peut l’être.
La dissolution, dans ce contexte, apparaît un peu comme une arme de dissuasion ultime dont les conséquences peuvent aussi se retourner contre celui qui l’utilise. Et c’est un risque couru par les sortants… que de sortir et laisser la majorité passer dans l’autre camp.

Décideurs. La faute incombe-t-elle au choix tardif d’un nouveau Premier ministre ?
T. G.
François Hollande n’a pas particulièrement réfléchi à son changement de Premier ministre, qui résulte davantage d’un mouvement de panique devant l’ampleur de la déroute aux municipales. C’est d’autant plus dommage que tous les sondages convergent vers une prochaine défaite du PS aux élections européennes. Il aurait mieux valu conserver Jean-Marc Ayrault jusqu’au lendemain de ce scrutin et même jusqu’au lendemain des régionales dans une optique de gouvernement sacrificiel qui aurait fait passer toutes les réformes dont on sait qu’elles ne sont pas populaires. Le bon timing ? Trois ans pour faire passer toutes les mesures et deux ans pour se préparer à la réélection.

Décideurs. Manuel Valls fait-il preuve de courage dans son discours de politique générale ?
T. G.
Manuel Valls sait faire preuve de courage quand il s’agit d’envoyer des policiers ramasser une collégienne immigrée clandestine et l’expulser. En revanche, lorsqu’il s’agit de s’attaquer au système, on le voit moins. Son plan de réduction des dépenses publiques n’est qu’un gel de certaines, sans réforme structurelle. Il ne touche, d’ailleurs, à aucune des niches fiscales, et ce, alors même que le montant total de ces privilèges est supérieur à l’objectif fiscal de cinquante milliards d’économies.
Le Premier ministre présente ainsi la posture de l’homme politique dur, incarnant autorité et courage. Mais ce n’est qu’une posture. Il incarne par ailleurs la gauche publicitaire, communiquant par une accumulation de mots-clés qui correspondent à certaines valeurs dans l’opinion publique, mais qui ne sont que des slogans : « la gauche efficace », « l’incarnation d’un renouvellement »… Il a la rhétorique de Nicolas Sarkozy et le contenu de Jean-Marc Ayrault, mais n’est pas le seul à pratiquer cette langue de bois… seulement le pire actuellement.

Décideurs. Le pacte de responsabilité est-il la dernière solution ?
T. G.
Tout comme le « Patriot Act », c’est une astuce sémantique : être contre ce pacte, c’est être irresponsable ! Il faut absolument interdire la politique aux publicitaires qui ne mettent pas en valeur le contenu, mais qui tentent de pallier l’absence de contenu.
Quelle que soit la ligne, il faut aller très loin dans sa politique pour parer à la crise en face de nous. Si cette ligne est la politique de l’offre, il faut aller beaucoup plus loin dans la politique de l’offre : faire passer la TVA à 25 % et réduire d’autant les cotisations sociales. Tout le reste n’est que demi-mesures. Si la ligne est le protectionnisme, il faut mettre en place une taxe antidumping aux frontières du pays. N’oublions pas que quatre dettes risquent bien d’exploser : la dette publique, la plus connue ; la dette privée qui touche les banques, compagnies d’assurance et ménages pauvres ; la dette sociale qui affecte le système de protection sociale et la dette écologique qui touche l’écosystème.

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Petit guide du mensonge en politique de Thomas Guénolé (First, 157 pages, 12 €)

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