En décembre 2008, le Coeil de la concurrence (devenu Autorité de la concurrence) infligeait une amende de 575,4 millio d’euros aux leade français de négoce en produits sidérurgiques pour entente. Un record pour le gendarme français.

En décembre 2008, le Conseil de la concurrence (devenu Autorité de la concurrence) infligeait une amende de 575,4 millions d’euros aux leaders français de négoce en produits sidérurgiques pour entente. Un record pour le gendarme français. En janvier dernier, la cour d’appel de Paris a pourtant divisé ce montant par huit, mettant en avant le contexte de crise économique. Une décision politique ?

Si depuis plusieurs années, la Commission européenne prononce des amendes records pour sanctionner des pratiques anticoncurrentielles commises sur son marché (rappelons qu’Intel a été condamné à une amende de plus d’un milliard d’euros en mai 2009), son homologue français n’est pas en reste.

En 2005, le Conseil de la concurrence, devenu depuis la Loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 l’Autorité de la concurrence, infligeait une sanction de 534 millions d’euros aux opérateurs de téléphonie mobile Orange, SFR et Bouygues. Trois ans plus tard, le record était battu dans le cadre de l’affaire dite du cartel de l’acier.

 
Infraction record, amende record

Le 16 décembre 2008, le gardien français des règles de concurrence sanctionne pour entente, onze négociants en sidérurgie - parmi lesquels les leaders du marché national - et la Fédération française de distribution des métaux (FFDM). La punition est sévère : le montant total de l’amende s’élève à 575,4 millions d’euros. Une première en France, tant en termes de montant de la sanction qu’en termes d’ampleur de l’infraction.
L’enquête menée par les services de l’autorité met à jour un cartel extrêmement organisé, couvrant l’ensemble du territoire et portant à la fois sur les prix, les clients et les marchés, et sur une période courant de 1999 à 2004.

Parmi les entreprises incriminées figurent le géant de l’acier ArcelorMittal (avec ses filiales PUM Service d’Acier, Arcelor Profil et AMD Sud-Ouest), KDI, le lyonnais Descours & Cabaud, Marc Morel & Fils, Maisonneuve, Clisson Métal, Liametho, CODIP, Ferren Fers, mais également le principal syndicat de la profession, la FFDM. C’est d’ailleurs sous couvert de cette activité syndicale que le cartel a pris appui.
Ces pratiques, jugées d’une « exceptionnelle gravité » selon les termes du Conseil, ont couvert de 70 % à 90 % des volumes vendus par les négociants sur les produits sidérurgiques avec, à la clé, « un dommage causé à l’économie qui se chiffre en plusieurs centaines de millions d’euros, affectant les clients sur le marché concerné mais aussi sur le marché en aval ».

Car les produits concernés par le cartel (poutrelles, tubes, laminés et ronds à béton) sont utilisés partout, et en nombre important, par de nombreuses industries.
Pour le gendarme français, la conséquence de ces actes est claire : « le surplus de l’amont a été au moins en partie transmis par les opérateurs en aval, augmentant ainsi le prix final subi par le consommateur », et empêchant l’entrée d’opérateurs plus compétitifs sur le marché. Les onze sociétés « se partageaient » ainsi à tour de rôle les appels d’offre. Autant de raisons d’infliger une amende salée.

Ainsi, en décembre 2008, le groupe ArcelorMitttal (et trois de ses filiales françaises) écope à lui seul de plus de 301 millions d’euros d’amende, KDI de près de 170 millions d’euros et Descours & Cabaud - après réduction de la sanction pour avoir collaboré avec le Conseil dans le cadre d’une procédure de clémence - de 82,5 millions d’euros d’amende.
Ces trois sociétés, notamment, décident d’interjeter appel, comme il est possible de le faire contre les décisions du Conseil de la concurrence, devant la cour d’appel de Paris. Selon elles, l’autorité aurait commis des erreurs d’appréciation dans l’évaluation du dommage causé à l’économie avec, à la clé, une disproportion du montant des amendes.

Une remise en cause du système de calcul des amendes ?

C’est avec une semaine d’avance sur la date prévue que les juges d’appel ont rendu leur décision, le 19 janvier dernier.

Bien que la cour ait confirmé l’existence des éléments constitutifs d’une entente, elle a estimé que ce cartel n’avait porté  qu’une « atteinte moyennement grave à la concurrence » sur le marché du négoce de produits sidérurgiques. L’amende de 575,4 millions d’euros est alors largement revue à la baisse : 72 millions d’euros au total, soit un rabais de plus de 80 %. 

Si certains observateurs (avec, en première ligne, l’Autorité de la concurrence présidée par Bruno Lasserre ?) ont parlé de laxisme, les juges de la cour d’appel ont considéré que le Conseil n’avait pas suffisamment pris en compte plusieurs éléments dans l’évaluation du préjudice : la petite taille de certaines parties et, surtout, le contexte économique.
Le montant de la sanction devrait donc être fixé, en suivant le raisonnement de la cour d’appel, au moment de la sanction, c’est-à-dire dans un contexte de crise économique mondiale, et non au moment où l’infraction a été commise, à savoir la période 1999-2004.

Déjà pourtant, au moment de la décision du Conseil en décembre 2008, plusieurs entreprises sanctionnées avaient fait valoir « les difficultés qu’elles pourraient rencontrer du fait de la crise économique apparue au second semestre 2008 ». Le Conseil de la concurrence avait alors «  ». Pas suffisamment apparemment.

 

Dissuasion vs. individualisation des peines

Le message de la cour d’appel est sans appel : si une autorité administrative indépendante comme l’Autorité de la concurrence est investie d’un pouvoir de sanction (notamment pécuniaire), ce pouvoir doit s’appliquer dans le respect des grands principes du droit, notamment celui de l’individualisation des peines. Ce pouvoir ne doit devenir, en aucun cas, un instrument de communication spectaculaire.
Mais la dissuasion ne fait-elle pas partie des principes directeurs du droit de la concurrence ?

Pour certains économistes en tout cas, l’ascension fulgurante du montant des amendes de ces dernières années (tant au niveau national qu’au niveau communautaire) ne servirait à rien, sinon à entraîner la banqueroute des sociétés mises en cause.

Pour eux, l’enjeu est ailleurs : il s’agit de mettre en place des méthodes plus efficaces de constatation des infractions aux règles de concurrence, accompagnées d’une nouvelle politique de calcul des sanctions pécuniaires. C’est ce point de vue qu’a décidé d’adopter le ministère de l’économie et des finances. Compétent pour se pourvoir en cassation en cas d’appel des décisions du Conseil de la concurrence, Bercy a préféré s’abstenir, lançant toutefois une réflexion sur les modes de calcul des amendes devant le Conseil de la concurrence. Pour cela, les services de Christine Lagarde ont réuni un collège d’experts qui devra rendre sa copie au printemps prochain. Parmi eux, l’ancien président de l’Afep (Association française des entreprises privées), Christian Raysseguier, premier avocat général de la chambre criminelle de la Cour de cassation, et Alexander Schaub, ex-direction générale de la concurrence à la Commission européenne et aujourd’hui of counsel chez Freshfields Bruckhaus Deringer à Bruxelles.
Si la LME du 4 août 2008 a rebaptisé le Conseil en Autorité de la concurrence, lui accordant plus d’indépendance et de pouvoirs notamment en matière d’enquêtes et de sanctions, le gendarme français de la concurrence va devoir revoir, à l’avenir, sa copie en termes de sanctions pécuniaires. Sous la pression politique dans un contexte économique fragilisé ?
En tout cas, dans le cadre de ses nouvelles prérogatives, l’Autorité pourra également décider, pour ses décisions prononcées en qualité d’Autorité, de se pourvoir en cassation contre les arrêts rendus en matière de concurrence, au même titre que le ministère de l’économie et des finances. La guerre des pouvoirs aura-t-elle lieu ?

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