Par Saam Golshani, avocat associé, et Anna Leitchenko, avocat. Orrick
Compte tenu des enjeux financiers et des intérêts diamétralement opposés des parties, la maîtrise des techniques de rédaction des clauses dilatoires (anti-sandbagging) dans les garanties de passif - un sujet étonnement peu abordé en France - pourrait bien éviter des mauvaises surprises aux parties.

Après la période d’euphorie des années 2005 à 2007 où les opérations d’acquisitions, notamment entre fonds, se réalisaient sans garantie, le recours à une garantie de passif est redevenu l’instrument privilégié des acquéreurs pour sécuriser leurs opérations de fusions-acquisitions face à la multiplication des aléas et à l'insuffisance des garanties légales. Afin d'atténuer ces risques, le processus d'analyse détaillée de la cible par l'acquéreur (due diligence) demeure une étape incontournable destinée à définir l'étendue des garanties, communément désignées en France par le terme générique «?garanties de passif?». Dans les opérations transfrontalières influencées par la pratique anglo-saxonne, ces garanties prennent généralement la forme d'une liste exhaustive de déclarations et garanties (representations and warranties) relatives à la société cible dont le vendeur garantit le caractère sincère et exact sous réserve des exceptions qui s'y rapportent (disclosures).
En dépit de la diversité des termes utilisés, ces garanties ont la même finalité : permettre à l’acquéreur de la cible de se prémunir contractuellement contre les conséquences financières d’un événement qui se révélerait postérieurement à la prise de contrôle mais dont l’origine ou la cause est antérieure à celle-ci.

En pratique, la multitude d'informations et de documents communiqués à l'acheteur au cours de la due diligence pourrait conduire à ce que l'acheteur découvre, avant la date de signature du protocole d'accord (signing), des éléments relatifs à l'inexactitude des déclarations qui seront ultérieurement faites par le vendeur ou de l’existence de risques couverts potentiellement par la garantie.

L'acheteur pourrait alors être tenté de garder par-devers lui ces éléments afin de se réserver la possibilité d’obtenir une réduction du prix de cession obtenue de facto par la mise en jeu de la garantie après la réalisation effective de la cession (closing). Une telle situation, devenue fréquente, soulève une question délicate : un acquéreur a-t-il le droit de réclamer une indemnisation fondée sur des éléments qu'il connaissait au moment où la garantie lui a été consentie ou est-il inéquitable de le laisser former une telle réclamation, notamment au regard de l'obligation de bonne foi et de loyauté régissant les rapports contractuels ?

C'est donc pour se prémunir contre une éventuelle «?mauvaise foi?» de l'acquéreur que la pratique anglo-saxonne a élaboré des clauses dilatoires (traduction en québécois des clauses connues par les praticiens comme les clauses anti-sandbagging) dont l'objet est de régler contractuellement le sort de la mise en œuvre de la garantie fondée sur des éléments préalablement connus de l'acquéreur.

Du point de vue du vendeur
Le vendeur est particulièrement exposé du fait de la garantie qu'il consent dont la mise en œuvre n’est pas nécessairement subordonnée à la démonstration du préjudice subi par son bénéficiaire. Son exposition est d'autant plus amplifiée dans l'hypothèse où le vendeur ignore l'existence des risques connus par l’acquéreur au moment de la négociation du prix de cession des titres. Les palliatifs du vendeur dans une telle situation seraient de négocier l'inclusion d'une clause anti-dilatoire (anti-sandbagging) désignée à exclure la mise en jeu de la garantie fondée sur des éléments préalablement connus de l'acquéreur.

Dans la pratique, l'efficacité d'une clause anti-sandbagging dépend directement de la définition de «?connaissance?» retenue par les parties, terme par essence générique et subjectif recouvrant de nombreuses réalités. À cet égard, la pratique inspirée du droit anglo-saxon, distingue généralement trois typologies de "connaissance" selon qu'elle porte sur : (i) les éléments dont la personne a effectivement connaissance (actual knowledge) ; (ii) les éléments dont la personne est censée avoir connaissance (constructive knowledge), et (iii) ceux dont la connaissance lui est attribuée car ses représentants ou ses conseils externes en ont effectivement connaissance (imputed knowledge). Les vendeurs ont ainsi clairement intérêt de retenir la formulation la plus large de la «? connaissance?» qui leur permettra à chaque fois de s’opposer à la mise en jeu de la garantie par l’acquéreur. La démonstration de cette connaissance par le vendeur pourra être facilitée en annexant à la convention une liste exhaustive de documents communiqués à l'acquéreur.

Du point de vue de l'acquéreur

Dans l’hypothèse où l’acquéreur aurait découvert au cours de la due diligence un risque d’apparition voire même de l’existence d’éléments dont la réalisation lui donnerait droit à la mise en jeu de la garantie, l’acquéreur peut se protéger en prévoyant une garantie spécifique contre la réalisation des risques clairement identifiés, ou en exigeant l'inclusion d'une clause dite pro-dilatoire (sandbagging) stipulant que le recours à la garantie ne sera nullement affecté par la connaissance préalable de l'acquéreur. Dans ce cas, le vendeur s’efforcera d’encadrer une clause sandbagging en exigeant, par exemple, de l’acquéreur de déclarer et garantir dans la garantie qu'il n'a pas connaissance à la date de la signature de la convention d'éléments permettant de mettre en jeu la garantie.

L’acquéreur devra faire preuve de vigilance lors de négociation de telles clauses, car en apparence plus restreintes que les clauses anti-dilatoires, ces clauses pourraient finalement aboutir au même résultat en cas d'interaction avec les autres stipulations de la garantie.

Enfin, la décision d’insérer ou non des clauses de sandbagging ou anti-sandbagging doit être prise au stade de la négociation de la garantie en fonction de la loi applicable, car à défaut de clauses contractuelles, le sort des informations connues par l’acquéreur dépendra uniquement de la position de la jurisprudence qui varie selon les pays.

Ainsi, à la lumière de la jurisprudence française (1), selon laquelle en l’absence de clauses spécifiques, le vendeur ne peut pas échapper à la mise en œuvre de la garantie pour des risques préalablement connus de l’acquéreur, le silence peut se révéler dangereux pour le vendeur, tandis que l’acquéreur a tout intérêt de faire l’économie des telles clauses dans la garantie.


1 Cass. Com. 14 décembre 2010 n°09-68868


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