Directeur de l'Ifrap, Agnès Verdier-Molinié est également l’auteur de 60 milliards d’économies (Albin Michel, mars 2013).
Décideurs. Le discours de politique générale du Premier ministre va-t-il enfin dans le bon sens ?

Agnès Verdier-Molinié.
Indéniablement, le discours de Manuel Valls va dans le bon sens avec une série de mesures annoncées, comme le pacte de responsabilité et l’allégement des charges, la montée en puissance du CICE, la fusion des régions, le maintien du gel du point d’indice et le gel d’une partie des prestations sociales. Sans oublier une volonté affichée de proposer un choc d’offre et non plus seulement de demand, et de créer des emplois marchands et non plus seulement des emplois aidés financés sur fonds publics… Mais il manque toujours les détails de la feuille de route.
Nous attendons du gouvernement qu’il donne la liste des économies point par point, avec, par exemple, le chiffrage des économies sur la masse salariale et l’évolution d’ici à 2017 des effectifs de l’État, des collectivités locales et du secteur hospitalier – 5,5 millions d’agents fin 2013. Nous attendons aussi une stratégie claire sur la fusion des collectivités, et pas seulement sur les régions et les départements. Alors que la France compte 40 % des communes de l’Union européenne, le gouvernement n’a toujours pas évoqué la fusion des petites communes – de moins de 5 000 habitants. Pourtant les enjeux, en termes de rationalisation et de baisse des effectifs public, sont considérables sur le bloc communal : fusion des petites communes et rationalisation des grandes, y compris les intercommunalités et réseaux DGFIP.


Décideurs. On parle de cinquante milliards d’économies pour financer le pacte de responsabilité. Pourtant, on ne retrouve pas ce résultat en additionnant les économies réalisables. Comment comprendre ces chiffres ?

A. V.-M.
Se pose en effet la question : dans les annonces du discours de politique générale du Premier ministre, compte-t-on cinquante milliards d’économies ou cinquante milliards de recettes en moins ? Le gouvernement annonce des recettes fiscales en moins et un pacte de solidarité qui, à l’horizon 2020, coûteront en recettes de l’ordre de cinquante milliards d’euros… Pour autant, le gouvernement table toujours sur 50 milliards d’économies pour revenir aux 3 % de déficit. Cela risque fort de ne pas être suffisant. Selon nos chiffrages, il faudrait réaliser d’ici à 2020 cinquante milliards d’économies en plus des cinquante milliards annoncés par la gouvernement pour tenir nos engagements vis-à-vis de Bruxelles.
Et il est illusoire de penser atteindre ces économies sans rentrer dans le « dur » des dépenses structurelles, c’est-à-dire les dépenses de fonctionnement et de coût de production de nos services publics. Les économies que l’on cherche se trouvent dans une multitude de réformes structurelles comme le gel des embauches dans la fonction publique, remonter le temps de service hebdomadaire des agents publics à 39 heures, la réduction du nombre de communes de 36 700 à 20 000, la fusion des départements avec les caisses d’allocation familiale, ou encore décentraliser l’éducation au niveau local… À titre d’exemple, l’introduction du jour de carence dans la fonction publique était parvenue à réduire le nombre d’absences récurrentes et de courte durée engendrant 163 millions d’économies par an sur les trois fonctions publiques. Or, ce dispositif a été supprimé.


Décideurs. Le gouvernement, comptant sur la compétitivité comme préalable indispensable au retour à l’emploi, n’est-il pas dans une impasse en favorisant les bas salaires ?

A. V.-M.
Le gouvernement est prisonnier de ses échéances électorales et reste l’œil figé sur les six prochains mois en espérant créer bon nombre de postes nonqualifiés. L’intérêt général serait de reconnaître que tous les salaires supportent actuellement trop de charges. Nous devons garder en France nos emplois à forte valeur ajoutée. Et malheureusement ce sont ceux qui ont le plus la tentation de quitter la France car ils supportent plein pot le système social et fiscal. Avec une politique toujours orientée vers les bas salaires, le risque est une « smicardisation » d’une France de « petits boulots ».


Décideurs. Qu’attendre des délais supplémentaires réclamés à Bruxelles ?

A. V.-M.
Rien, car ils ont été refusés. Bruxelles a déjà accordé deux fois des délais à la France. Si nous ne voulons pas perdre toute crédibilité, il faut maintenant réformer pour flexibiliser et baisser la dépense publique. Cette stratégie, qui consiste à gagner du temps en espérant que la croissance revienne n’est plus acceptable. Avec un modèle social au financement structurellement impossible, la France ne peut plus se soustraire à la réforme.
Tous nos voisins européens ont lancé de vraies réformes, réduisant le nombre de strates administratives, fusionnant les collectivités locales, réduisant leurs masses salariales publiques et leur nombre d’agents, réformant leurs systèmes de retraites et leur code du travail. Nos partenaires n’ont pas attendu la France pour se réformer. Maintenant, comme dans tous les pays, nous avons politiquement besoin d’un consensus pour que ces réformes deviennent réalité et cela sera rendu possible en éclairant l’opinion publique, en lui apportant les vrais chiffres et des propositions de réformes concrètes.

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