Pour le politologue, le gouvernement Valls II signe la perte de l'exécutif.
Thomas Guénolé est politologue, conseiller politique et enseignant. Il est l'auteur du Petit guide du mensonge en politique (éditions First). 

Décideurs. Que vous inspire le nouveau gouvernement Valls II ?
Thomas Guénolé.
La relation de la gauche au libre-échange et à la mondialisation imposait deux grandes options à François Hollande, qui n’en a pourtant choisi aucune. La première était celle de monter un gouvernement socialiste en bâtissant un compromis entre les réformistes qui ont dit oui à la constitution européenne et les protectionnistes, qui ont dit non. Dans cette hypothèse, il fallait conserver Arnaud Montebourg et tisser des liens entre ces deux gauches. La seconde option consistait à privilégier la cohérence de la politique économique, en ouvrant au centre et au centre droit. Le peu de popularité du Président lui aurait permis cette audace. Il aurait certes perdu l’appui de l’aile gauche du parti, mais il aurait gagné celui du centre.
Il n’en est rien. Aujourd’hui amputé du soutien de la gauche protectionniste et keynésienne, François Hollande opte pour une troisième option. C’est un suicide politique collectif. Il est trop tard pour se rapprocher du centre droit. Qui voudrait monter à bord du Titanic ? Personne.

Décideurs. En aucun cas, ce nouveau gouvernement ne peut être une planche de salut pour François Hollande ?
T. G.
Le socle de soutien du gouvernement ne dépasse pas les 15 %. Il est minoritaire dans son propre camp. Ce n’est d’ailleurs pas un socle, mais le supplice du pal… qui fissure petit à petit le filtre entre l’opinion et les représentants politiques. Si bien qu’à chaque réforme, le gouvernement sera contraint de lancer les dés dans la rue, au risque d’assister au coup de trop, c’est-à-dire à la grande manifestation, à l’instar de ce qu’ont vécu Jacques Chirac et Dominique de Villepin entre 2005 et 2007, avant que le CPE ne vienne porter le coup d’arrêt.
Nous assistons en réalité à la marche tragique de cette gauche que viendrait seulement contrarier un miracle économique extérieur. François Hollande conduit le parti socialiste au tombeau électoral. Les prochains scrutins électoraux, comme les régionales de 2015 et les présidentielles de 2017, prévoient d’infliger une rouste à la gauche.

Décideurs. La dissolution est-elle finalement la meilleure arme du gouvernement ?
T. G.
Manuel Valls, on l’a vu, gouverne en minorité dans son camp. Pourtant, tout porte à croire qu’il sera suivi par la gauche, de peur d’une dissolution. Le vote de confiance dont tout le monde parle est une vaste blague. Le Premier ministre déclare en quelque sorte : « soit vous me faites confiance, soit vous ne me faites pas confiance et vous êtes virés ». Dans ce contexte, la dissolution est bien une arme qui va permettre la confiance et l’adoption de toutes les réforme.

Décideurs. François Hollande pouvait-il ne pas remanier le gouvernement Valls I ?
T. G.
En 2012, il pouvait élargir son choix vers le centre. Mais il a laissé Martine Aubry fermer la porte à toute coopération, en négociant avec les écologistes des sièges à l’Assemblée nationale. Des verts devenus depuis frondeurs. En réalité, la maire de Lille l’a conduit à entretenir le compromis – lui qui raffole déjà tant de cela – encore plus longtemps. C’est une erreur stratégique fondamentale.
En janvier dernier, François Hollande avait clarifié sa ligne politique [le président de la République avoue être social-démocrate, NDLR], pourtant, fin août, ladite ligne se radicalise, mais un gouvernement d’union de gauche pouvait encore être envisagé. Et Arnaud Montebourg pouvait encore exister sans être relégué au fond de l’orchestre du gouvernement. Le Président a un temps voulu rassembler toutes les gauches, c’est son choix. Il les a faites éclater, c’est également son choix. Cette radicalisation est symptomatique de sa façon de gouverner. Contrairement aux apparences, ce n’est pas un acte de courage, mais une impasse.

Décideurs. Arnaud Montebourg semble quand même avoir tendu la joue en publiant ses tribunes…
T. G.
Lorsqu’un ministre émet une opinion divergente dans l’espace public, on doit sévir. Mais il existe une gradation de réponses. Faire démissionner tout un gouvernement est de manière hallucinante totalement disproportionné.

Décideurs. Quel signe l’arrivée d’Emmanuel Macron au ministère de l’Économie donne-t-il ?
T. G.
Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au ministère de l’Économie, nous assistons à un symbole politique catastrophique et irrattrapable : celui de la Banque Rothschild au pouvoir après le discours du Bourget. C’est comme s’il avait choisi Christine Boutin après l’adoption du mariage gay !

Décideurs. Vous n’y allez pas de main morte…
T. G.
Comprenez bien que je ne fais aucun procès d’intention à la personne même d’Emmanuel Macron, mais m’attache simplement au symbole politique que cette nomination soulève.

Décideurs. Le maintien de Christiane Taubira est-il le dernier va-tout de la gauche ?
T. G.
La garde des Sceaux ne doit son maintien qu’au fait de s’être tue sur la politique économique menée par le gouvernement.

Décideurs. Et la promotion de Najat Vallaud-Belkacem : est-ce un pied de nez à la droite qui ironise sur la venue d’un banquier dans un gouvernement socialiste ?
T. G.
Cela symbolise la gauche selon François Hollande. À savoir celle d’un gouvernement au style lapidaire où un ancien banquier de Rothschild se retrouve ministre de l’Économie et la porte-parole d’une politique anti-discriminatoire au ministère de l’Éducation nationale.
En réalité, ce gouvernement est beaucoup plus fermement à gauche sur des questions de société que sur la politique économique et sociale menée. En matière de symbole envoyé, la promotion de Najat Vallaud-Belkacem est autant une réussite, que l’arrivée d’Emmanuel Macron une catastrophe. 

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