Par Nicolas de Sevin, avocat associé, et Émilie Bourguignon, avocat. CMS Bureau Francis Lefebvre
La loi du 20 juillet 2011 ainsi que ses décrets d’application du 30 janvier 2012 relatifs à la réforme de la médecine du travail ont modifié le dispositif de prévention des risques professionnels en mettant de nouvelles obligations à la charge de l’employeur. La mise en œuvre de ce nouveau dispositif est toutefois source de nombreuses interrogations.

Depuis 2008, la nécessité de procéder à une refonte d’ensemble de l’organisation et du rôle de la médecine du travail, dont les bases avaient été fixées par la loi du 1er octobre 1946, est apparue indispensable. Tel fut l’objet de la loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 et de deux décrets du 30 janvier 2012. Un des points de cette réforme concerne la modification du dispositif de « prévention des risques professionnels ». Pour renforcer la prévention au sein des entreprises, la loi du 17 janvier 2002 avait instauré l’obligation pour les services de santé au travail de faire appel aux compétences d’acteurs extérieurs : soit la Carsat, l’OPPBTP ou l’Anact, soit des Intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP). La loi du 20 juillet 2011 impose désormais de recourir à un intervenant interne à l’entreprise : l’employeur doit désigner un acteur spécifique dont la mission est de « s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels ». Cette nouvelle obligation, en vigueur depuis le 1er juillet 2012, n’est toutefois pas sans générer certaines interrogations.

Présentation de la nouvelle organisation mise en place et des problématiques en suspens
L’article L. 4614-14 du code du travail dispose que l’employeur a l’obligation de désigner « un ou plusieurs salariés compétents pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels». Ces salariés, dits « chargés de prévention » ou «préventeurs », peuvent bénéficier d’une formation en matière de santé au travail. Ils sont désignés après consultation du CHSCT (ou à défaut des délégués du personnel), disposent du temps nécessaire et des moyens requis pour exercer leurs missions. Ils ne peuvent subir aucune discrimination du fait de cette mission, mais ne bénéficient pas du statut de « salarié protégé ». Si l’entreprise ne dispose pas des compétences en interne, elle peut toujours faire appel à un IPRP (soit celui appartenant au service de santé interentreprises auquel elle adhère, soit un IPRP enregistré auprès de la Direccte). L’employeur peut aussi faire appel aux services de prévention de la Carsat, de l’OPPBTP ou de l’Anact. Ces nouvelles dispositions s’appliquent à toutes les entreprises, quels que soient leurs effectifs. La loi comme les décrets ont, toutefois, laissé plusieurs questions importantes en suspens. S’agissant de la désignation des « chargés de prévention », on ignore : le périmètre de cette désignation, leur nombre, et les critères de sélection de ces salariés. S’agissant de leur mission, n’ont pas été déterminés : sa durée, les modalités de cessation, la teneur et les limites de celle-ci et ce que recouvre le « temps et les moyens » nécessaires à l’exercice de cette mission. Enfin, la question de la sanction applicable en cas de non-respect de ces obligations par l’employeur semble demeurer en suspens. Les entreprises se trouvent donc aujourd’hui dans l’obligation de procéder à la désignation de salariés, alors même qu’elles ne disposent pas des informations indispensables pour le faire.

Quelques ébauches de réponses…
Quelques pistes de réponses et/ou de réflexion peuvent dès à présent être évoquées. Tout d’abord, le périmètre de désignation des « chargés de prévention » devrait être l’établissement, par référence au périmètre de mise en place du CHSCT, dès lors qu’il s’agit du niveau le plus adapté pour exercer la mission de « protection et de prévention des risques professionnels ». Les liens existant entre les missions de ces deux intervenants et la nécessité de consulter le CHSCT lors de la désignation des « chargés de prévention » plaident d’ailleurs en ce sens. Quant au nombre de salariés devant être désignés, il est probable qu’une appréciation in concreto, au regard des effectifs de l’établissement et des risques professionnels constatés dans le document unique, sera opérée. Lorsque l’employeur procédera au choix des salariés qu’il entend désigner, il devra être en mesure de justifier des critères objectifs afin d’éviter d’éventuelles contestations. En l’absence de précision, la durée de la mission confiée aux « chargés de prévention » devrait être à durée indéterminée. L’employeur pourrait donc librement y mettre fin. Toutefois, en cas de cessation, les salariés pourraient tenter d’invoquer l’existence d’une discrimination ou d’une mesure de rétorsion de l’employeur. Dans ce contexte, l’on s’interroge sur la possibilité de les désigner pour une durée déterminée. Cette option, que la loi n’interdit pas expressément, éviterait toute discussion relative à la fin de la mission et pourrait, le cas échéant, permettre d’établir un roulement entre les salariés en charge de ces problématiques. Quant à la teneur de la mission des « chargés de prévention », la définition légale, pour le moins large, pourrait avoir pour effet, soit de rendre ce nouvel intervenant inutile, faute pour les salariés de connaître la portée exacte de leur mission, soit au contraire de rendre leur action sans limite. Là encore, l’on pourrait imaginer, de concert avec le CHSCT, d’encadrer leur intervention en établissant une « lettre de mission ». Toutefois, l’existence d’un tel document n’étant pas prévue par la loi, rien n’empêchera les salariés concernés de se saisir de problématiques n’y figurant pas dès lors qu’elles relèvent de la « protection et de [la] prévention des risques professionnels ». L’absence de précision légale ou réglementaire quant à la détermination du « temps et des moyens » nécessaires à l’exercice de la mission des « chargés de prévention » sera également potentiellement source de revendications et de contentieux. Dans ce contexte, il est probable que de nombreuses entreprises seront tentées, non de désigner des « chargés de prévention » internes, mais de faire appel à un IPRP extérieur. Toutefois, cette option n’étant envisageable que si l’entreprise ne dispose pas des « compétences en interne », il conviendra d’être en mesure de justifier de ce point, notamment au regard des effectifs de l’entreprise. Enfin, si, à l’heure actuelle, aucune sanction n’a été prévue par le législateur il semblerait qu’il soit envisagé, dans le cadre d’une loi ultérieure, de leur appliquer les sanctions pénales prévues par l’article L. 4741-1 du code du travail (amende de 3 750 €). En outre, tout manquement de l’employeur sera utilisé dans le cadre de litiges relatifs aux maladies professionnelles, aux accidents du travail, à la faute inexcusable et plus généralement dès que son obligation de sécurité de résultat sera en cause. À n’en pas douter, le statut et le rôle du nouvel acteur en matière de « protection et de prévention des risques professionnels » seront amenés à évoluer et, compte tenu de la montée en puissance des enjeux de la santé au travail, il y a fort à parier qu’il devienne un acteur central dans la vie de l’entreprise.

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