Nicolas Guérin, directeur juridique du groupe Orange, fait figure d’exemple en matière de communication au sein de la profession.
Décideurs. De quelle manière le juriste d’entreprise a-t-il fait évoluer son rapport à la communication ?
Nicolas Guérin.
Lorsque je suis arrivé au sein du groupe France Télécom (aujourd’hui Orange) en 1998, la direction juridique était une entité dépendante de la direction financière, une fonction corporate qui pouvait apparaître éloignée des enjeux opérationnels de l’entreprise. Il a fallu se prendre en main, aller sur le terrain, se montrer, rencontrer tous ceux à qui nous pouvions apporter des idées et de la valeur ajoutée pour sortir d’un certain isolement et de missions encore surtout défensives. La communication est un atout indispensable pour le juriste, mais elle ne fait pas partie de sa culture et de sa formation. Être un bon technicien du droit ne suffit plus. Je suis moi-même d’un naturel plutôt réservé ; je me suis fait violence pour exploiter tous les outils de communication dont je pouvais disposer.

Décideurs. Quels sont les prérequis à une bonne pratique de la communication au sein d’une direction juridique ?
N. G.
Il faut des outils propres et adaptés à la direction juridique : des ressources informatiques aux outils de remontée des risques en passant par la création d’un intranet dédié, des moyens nous étaient nécessaires. Mes prédécesseurs nous en ont dotés. Ils ont posé les bases d’une communication efficace sur lesquelles je m’appuie aujourd’hui et qui relient, entre eux et avec leurs clients internes, les 738 juristes du groupe répartis dans le monde. Il était indispensable de nous montrer pour faire mentir le mythe du sachant enfermé dans sa tour d’ivoire. Enfin, il s’agissait de faciliter l’échange et la compréhension réciproques avec nos clients internes. À la manière d’un cabinet d’avocat, nous agissons vis-à-vis d’eux de manière très proactive, dans un environnement économique et stratégique que nous comprenons et maîtrisons. Nous parlons avec eux un langage commun. Nous n’hésitons pas à leur faire savoir ce que nous pouvons leur apporter. Nous le leur expliquons au quotidien à l’aide de plaquettes, d’informations, de vidéos, etc.

Décideurs. Comment cette communication interne s’organise-t-elle ?
N. G.
Notre indépendance est totale du moment que nous respectons la charte et les règles de l’entreprise. Je ne vois pas l’intérêt de recourir aux services d’un professionnel de la communication. Nous sommes à la fois opportunistes et responsables sur les outils. À côté de notre pratique éprouvée de la visioconférence ou de la téléprésence, nous nous intéressons au développement de nouveaux outils comme les réseaux sociaux. Parallèlement, nous menons une réflexion sur la finalité d’un tel outil pour déterminer si, à terme, il pourrait remplacer des SharePoint ou l’envoi de certains courriels ou s’il faut au contraire en cantonner l’usage.

Décideurs. Et quels objectifs poursuit-elle ?
N. G.
En ce qui concerne le groupe, l’information de nos clients internes sur nos actions et leurs résultats nous assure une réelle légitimité. En expliquant ce que chaque juriste a personnellement apporté dans la construction d’un projet, nous faisons un travail de pédagogie qui se révèle payant. Nous sommes ainsi systématiquement associés aux prises de décisions et à leur élaboration. Notre communication externe passe par des supports classiques comme les plaquettes. Là encore, les retombées sont significatives. L’image du groupe gagne en puissance sur le terrain juridique et l’efficacité de la direction juridique est valorisée. C’est un argument de poids pour faire passer des idées par exemple.

Décideurs. À l’heure où les propositions pour moderniser le métier de juriste en entreprise fleurissent, quelles sont les idées qui vous tiennent à cœur ?
N. G.
La question du legal privilege et de la protection de nos avis est un sujet qui préoccupe beaucoup les juristes mais force est de constater que ce principe trouve en fait ses limites en matière pénale et concurrentielle et qu’il est peu compatible avec les procédures de discovery. En revanche, la priorité me semble être de trouver, à l’image de ce qui a été fait dans de nombreux pays, une solution équilibrée pour créer un statut d’avocat d’entreprise. Enfin, l’émergence d’une éthique propre aux juristes est une bonne chose si elle contribue à solidifier notre exercice professionnel du droit en entreprise et permet de mieux fédérer la profession. L’option pour une charte d’éthique, sans force contraignante, me semble une très bonne voie pour commencer.

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