Pour l’homme qui a itauré le prix unique du livre en 1981, la prise de décision en politique est un mélange de coeus avec les professionnels, d’une vision à court et long terme, et d’un courage trop souvent absent chez ceux qui décident.

Pour l’homme qui a instauré le prix unique du livre en 1981, la prise de décision en politique est un mélange de consensus avec les professionnels, d’une vision à  court et long terme, et d’un courage trop souvent absent chez ceux qui décident.

Décideurs. Que signifie décider en politique ?
Jack Lang.
C’est croire en la nécessité absolue de révolutionner. Être habité par une vision, porté par une conviction très forte et une idée du bien commun est la condition sine qua non pour faire bouger les lignes en politique ou dans la société. C’est indispensable pour proposer ses idées avant de laisser place à une phase de maïeutique collective. Aussi, décider en politique ne signifie pas faire voter des lois. J’ai fait très peu de lois, car bien souvent, on n’en a pas besoin.

Décideurs. Dans la pratique ?
J.?L.
Si je prends le cas de l’Éducation nationale, le sens commun voudrait qu’elle soit une sorte de «?mammouth irréformable?». C’est faux. Seulement, il ne faut pas être autoritaire ni capricieux. Il faut élaborer une méthode qui permette au corps professoral de s’associer au processus de transformation. C’est ce qui m’a permis de faire accepter un certain nombre des réformes engagées par Claude Allègre qui n’avait pas attaché suffisamment d’importance à la manière. De son côté, la décision de Xavier Darcos d’imposer la semaine de quatre jours est une aberration qui découlait simplement de la volonté de réduire des postes.

Décideurs. Quelles ont été les décisions les plus compliquées à prendre ?
J.?L.
Les premières me venant à l’esprit sont celles concernant les personnes. Ces choix sont déchirants car il ne faut pas être arbitraire.
En termes de mesure, faire voter et accepter par la profession le prix unique du livre en 1981 a été très complexe. Il m’a fallu obtenir un consensus de la part des professionnels dont une large part était fermement opposée au projet. En politique, le plus dur est de réussir à marier le court et le long terme. A posteriori, je dois avouer que les décisions les plus difficiles à prendre sont aussi les plus satisfaisantes. Résoudre l’impossible et convaincre les sceptiques me passionne.

Décideurs. Avec la révolution technologique, serions-nous passés d’un monde de la décision à celui de la réaction ?
J.?L
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Dans bien des cas, je crains que oui. Trop souvent, les responsables politiques commentent, s’exclament, plutôt que de prendre du recul et d’apporter de la sagesse aux débats. L’État doit donner l’exemple. Les autoroutes de l’information et les technologies qui les accompagnent renforcent d’un côté la transparence, mais de l’autre, elles offrent un boulevard aux débats de café du commerce instantanés et aux démagogues de tous bords.

Décideurs. De manière globale, quel est votre jugement sur la politique menée en France ?
J.?L.
Décider est une chose, se tenir à ses décisions en est une autre, bien plus engageante. Même si de bonnes choses ont été entamées depuis 2007, comme la révision constitutionnelle que j’ai en partie inspirée ou les lois sur l’environnement, trop de réformes ont été abandonnées. C’est le règne du caprice permanent, de la déstabilisation, de l’insécurité juridique. En revanche, ce n’est pas possible de faire voter des lois à répétition sur la sécurité. La délinquance ne diminue pas outre mesure. Au contraire. Le résultat est terrible car il donne l’impression que l’État ne peut rien.

Décideurs. Quelles priorités identifiez-vous aujourd’hui ?
J.?L.
S’il y a des choix à faire, je considère que le premier des investissements à réaliser doit être dans l’éducation, l’intelligence, la culture et la recherche. De manière plus générale, il y a quatre domaines que je considère comme prioritaires pour notre pays. La fiscalité tout d’abord, qui en plus d’être terriblement complexe, est inefficace économiquement, injuste socialement et bien souvent désuète. La France souffre également de ces saupoudrages budgétaires qui pénalisent nos entreprises, victimes de cette instabilité fiscale. Ce n’est pas de «?mesurettes?» dont nous avons besoin, mais d’une refonte globale et ambitieuse. Le défi environnemental doit être pris en compte. Ensuite, il faut mener une politique agressive en faveur de l’intelligence pour provoquer la révolution du savoir et de la science et rester aux avant-postes de l’innovation et de la création. Accompagner ce mouvement, c’est croire en notre capacité à faire le monde de demain. Troisièmement, une révolution territoriale s’impose ! La disparité entre quartiers est la première des inégalités. Nous devons réfléchir aux mesures qui permettront de réduire la fracture territoriale. Enfin, la France a besoin d’une révolution démocratique. La concentration des pouvoirs y est extrême. Au pays de Montesquieu, père de la séparation des pouvoirs, trop de petits Napoléons à tous les sommets étatiques et locaux bafouent ce beau principe. Le cumul des mandats n’est pas non plus acceptable.

Décideurs. À quoi reconnaissez-vous un bon décideur ?
J.?L.
En moyenne, je dirai que l’intelligence est abondante et très répandue, la générosité un peu moins, tandis que le courage est finalement très rare. Cela peut paraître paradoxal mais les décideurs ne sont pas les gens les plus courageux. Il n’est pas rare de constater que les politiques sont tentés de suivre le dernier chien qui passe. Ce qu’on attend des dirigeants est qu’ils aillent de l’avant avec une capacité d’anticipation permanente.

1. Le principal trait de mon caractère : l’entêtement.
2. La qualité que je préfère chez un individu : l’esprit d’humanité, de curiosité intellectuelle et d’ouverture.
3. Mon principal défaut : je ne sais pas m’arrêter.
4. Mon idée du bonheur : éveiller chez l’autre la part d’humanité qui est en lui.
5. Mon héros de fiction : Solal dans Belle du Seigneur (d’Albert Cohen, publié en 1968).
6. Mes héros dans la vie réelle : Nelson Mandela, Pierre Mendès France, François Mitterrand, Václav Havel, Léopold Sédar Senghor, Antoine Vitez, Patrick Bouchain.
7. Ce que je déteste par-dessus tout : la vulgarité.
8. La réforme que j’estime le plus : la construction de l’Europe.

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