Le top Management passe-t-il son temps sur les bons sujets pour croître ?
Un constat : le Top Management dilue son temps
Pour croître, il est nécessaire de faire des choix : choix de l’ambition, choix des terrains de jeu, choix des modèles d’activité, choix de la vitesse et de l’ampleur, choix de l’organisation et des modes de fonctionnement. Le rôle du Top Management est critique dans ces choix. Il doit par conséquent focaliser son temps sur ces sujets. Or, notre expérience montre que le temps passé par le Top Management n’est pas cohérent par rapport à leur rôle. Trois raisons principales expliquent ce décalage entre la cible idéale et la réalité.
D’une part, les managers passent généralement plus de temps sur les sujets connus sur lesquels ils sont à l’aise et peuvent apporter de la valeur ajoutée. Cela peut être le cas sur une fonction, une géographie ou un métier d’où provient le manager. Ce n’est pas forcément la priorité pour leur fonction. D’autre part, ils sont plutôt enclins à interagir avec les personnes qu’ils apprécient plutôt qu’avec celles responsables des enjeux clés. Si la gestion des talents est critique pour l’entreprise, le président doit s’en occuper directement. S’il ne veut pas ou ne peut pas interagir avec le responsable des talents, il doit le changer. Sinon, il risque de ne pas passer le temps nécessaire. Enfin, les Top Managers ne définissent pas avec suffisamment de précision et de rigueur leur rôle, leur contribution et les priorités et la manière dont ils peuvent au mieux les impulser, les suivre et les gérer. Il s’agit d’une exigence qui impose la définition des priorités.
Les mauvaises allocations de temps du Top Management
Par définition, aucune situation n’est identique. Au niveau du président, l’allocation de son temps dépend de la nature de l’industrie, du nombre de métiers, de la phase de développement de l’entreprise et de son modèle d’activité, de la nature de ses actionnaires… Cependant, notre expérience de l’analyse de l’allocation du temps du Top Management montre que certaines priorités sont souvent délaissées au profit d’enjeux plus mineurs.
"Il faut allouer son temps en fonction des priorités, déléguer avec pertinence au bon niveau et optimiser le temps passé dans les comités"
Les présidents passent souvent trop de temps sur les activités matures à faibles croissances, leurs domaines d’expertise d’origine, les comités internes divers (finance, marketing, innovation, Business Reviews…)… Dès le premier janvier, l’agenda d’un président est généralement rempli à 50 % par ces différents comités. La question est alors de revoir les Company Beat (ces comités qui rythment les interactions dans l’entreprise) et le rôle que doit jouer le président dans ces comités.
Au contraire, ils n’investissent pas assez dans les activités en forte croissance (qui nécessitent des investissments et un soutien pour créer une inflexion), dans la rencontre avec les clients et le terrain (pour garder un lien fort avec la voix du marché), dans la gestion des talents (en particulier dans le temps passé avec les jeunes à haut potentiel pour préparer le Comex de demain). Le rôle du président d’un grand groupe n’est pas celui d’un super directeur général qui améliore en permanence la gestion du groupe. C’est celui d’un entrepreneur qui remet fondamentalement en question régulièrement les grandes allocations de ressources, les mix d’activités et les organisations en place, pour faire évoluer fortement son entreprise en fonction du contexte économique et concurrentiel. Il doit se focaliser sur ce rôle.
L’approche d’allocation du temps du Top Management
Comme toute allocation de ressources, l’allocation du temps du Top Management exige une méthode structurée en six étapes :
1. Analyse du temps passé dans la dernière année et du mode de fonctionnement des comités. Cette première étape permet de donner un état des lieux objectif au-delà des impressions et constitue la base du choix d’allocation des ressources du management.
2. Définition des principaux enjeux pour le groupe (ou l’entité de management). Il s’agit de clarifier les grandes priorités de l’année et les inflexions à réussir sur lesquelles la focalisation du temps sera nécessaire.
3. Focalisation sur les principaux enjeux. Il s’agit de faire un choix dans les principaux enjeux à quatre grands niveaux : stratégie et organisation de l’entreprise, présence et communication sur des grands thèmes d’actions, contribution aux différents comités, relation avec les actionnaires.
4. Rôle et allocation du temps passé sur les principaux enjeux. Cette étape fixe concrètement les choix et les implusions nouvelles par rapport aux années précédentes. Sur les 220 jours de l’année travaillés, il faut définir à quoi et comment ces journées seront consacrées pour assurer une accélération des mouvements souhaités.
5. Arbitrage du temps et utilisation de ce temps passé dans les différents comités. Une partie importante du temps du management est passé dans différents comités. Il est nécessaire de revisiter l’objectif, la durée, la fréquence, les participants et le mode de fonctionnement de ces comités afin de s’assurer qu’ils sont efficaces et qu’ils utilisent les ressources au bon nombre et au bon niveau.
6. Déclinaison de l’approche sur les fonctions des n-1 pour s’assurer que les fonctions non couvertes sont assurées efficacement par ces managers. Enfin, un dernier bouclage est indispendable pour s’assurer que les thèmes sur lesquels le temps a été réduit ne soient en déshérance. Il faut vérifier que leur gestion sera assurée par le bon niveau au sein de l’organisation. Ceci oblige alors les collaborateurs n-1 à entreprendre la même démarche.
Qu’en conclure ?
La croissance de long terme, seul levier de création de valeur, exige un choix d’allocations de ressources. C’est vrai également pour le temps du management. Pour cela, il est nécessaire de définir les priorités et de répartir le temps en cohérence avec ces priorités, s’assurer que les rôles jusqu’alors rempli le seront par les collaborateurs et d’optimiser au mieux le temps passé par les comités.
La complexité de cet exercice tient dans l’obligation de bien caler les priorités stratégiques, de clarifier l’organisation et les modes de fonctionnement et de se positionner au bon niveau exigé par le rôle. Cette approche doit être conduite tous les ans pour recadrer les "dérives" et adapter le temps aux priorités de l’année. Si le président n’est pas acteur, la croissance n’aura pas lieu. Le président doit créer des ruptures, faire les arbitrages d’investissements et mettre en place les conditions pour la croissance. C’est in fine ce qui distingue les gagnants des perdants.
Jean Berg, Strategia Partners
Jean Berg est président de Strategia Partners, cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Zurich, New York et Shanghai. Strategia Partners assiste les directions générales et les investisseurs dans leur stratégie de croissance et d’allocations de ressources en intégrant trois perspectives : stratégique & financière, environnementale et humaine.