La directive n°2019/1160 du 20 juin 2019 (la "Directive CBDF") modifiant les directives AIFM et OPCVM en ce qui concerne la distribution transfrontalière des organismes de placement collectif ("OPC") a été transposée très récemment en droit français. Le principal apport de cette directive porte sur la notion de "pré-commercialisation" de fonds d’investissement alternatifs ("FIA"), désormais officialisée et harmonisée au sein de l’Union européenne.

Les régimes de pré-commercialisation ont longtemps varié d’un État de l’Union européenne à l’autre : dans certains pays (comme la France), cette notion était reconnue, tandis que dans d’autres la notion de pré-commercialisation n’existait pas. Face à ce constat, il a été décidé, via la Directive CBDF, d’appliquer une définition et un régime harmonisés de la pré-commercialisation au sein de l’Union européenne, réalisée exclusivement auprès de clients professionnels et portant uniquement sur des FIA. La Directive CBDF a récemment été transposée en droit français. Avant la transposition de la Directive CBDF en droit français, la notion de pré-commercialisation n’était pas inconnue en France : elle avait été introduite en France par l’AMF dès 2016. L’introduction de ce nouveau régime en droit interne nous donne l’occasion de rappeler les composantes de la définition de la pré-commercialisation et de faire un point sur les exigences auxquelles les sociétés de gestion de portefeuille ( "SGP") souhaitant recourir à cette pratique ont à faire face.

"Le Code monétaire et financier reconnaît la possibilité pour toute SGP
de procéder à une pré-commercialisation de parts ou actions de FIA de l’Union européenne auprès de clients professionnels"

 L’articulation de deux régimes de pré-commercialisation en France
Le Code monétaire et financier ("CMF") reconnaît désormais la possibilité pour toute SGP de procéder à une pré-commercialisation de parts ou actions de FIA de l’Union européenne auprès de clients professionnels en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne. La notion de pré-commercialisation y est définie comme "la fourniture d’informations ou la communication, directe ou indirecte, sur des stratégies d’investissement ou des idées d’investissement par une [SGP] française, ou pour son compte, à des clients professionnels potentiels domiciliés ou ayant leur siège statutaire dans l’Union européenne".

"Le nouveau régime ne pose aucune limite en termes de nombre d’investisseurs potentiels pouvant être approchés dans le cadre d’une pré-commercialisation"

Le CMF rappelle que les activités de pré-commercialisation ne doivent pas avoir le caractère d’un placement auprès de l’investisseur potentiel, ou d’une offre d’investissement dans le FIA concerné. Le nouveau régime ne pose aucune limite en termes de nombre d’investisseurs potentiels pouvant être approchés dans le cadre d’une pré-commercialisation. Or, l’AMF limitait initialement la pré-commercialisation à cinquante investisseurs potentiels. Désormais, cette limite a donc été supprimée dans la nouvelle version de la position AMF 2014-04.

"L’AMF a décidé de maintenir son ancien régime pour les OPCVM et les clients non professionnels"

Par ailleurs, force est de constater que ce nouveau régime (i) ne concerne que les FIA, alors que l’AMF reconnaît la possibilité de pré-commercialiser également des OPCVM et ne s’applique qu’à l’égard de clients professionnels, alors que l’AMF autorise la pré-commercialisation également auprès de clients non-professionnels dont la souscription initiale serait supérieure à 100 000 euros (pour ces derniers, uniquement pour les FIA dits "professionnels" également ouverts à des clients non professionnels dont la souscription est supérieure ou égale à 100 000 euros). L’AMF a donc décidé de maintenir son ancien régime pour les OPCVM et les clients non professionnels (dont la souscription initiale est supérieure ou égale à 100 000 euros), alors que ce dernier n’est pas prévu dans le CMF. Cela s’explique par le fait que le régime de la pré-commercialisation prévu dans le CMF résulte de la transposition de la Directive CBDF, qui vient modifier le régime de commercialisation harmonisé de la directive AIFM, lequel concerne uniquement la commercialisation de FIA auprès de clients professionnels. Le maintien du régime de pré-commercialisation adopté par l’AMF constitue donc une spécificité nationale, venant s’ajouter au régime harmonisé de la pré-commercialisation issu de la Directive CBDF.

Les bonnes pratiques à mettre en oeuvre en cas de pré-commercialisation

a. Les informations présentées aux investisseurs ne doivent pas constituer une offre ou un placement de parts ou d’actions de FIA


Une SGP peut réaliser une activité de pré-commercialisation, sous réserve de respecter certaines conditions tenant aux informations présentées aux clients :
- les informations ne doivent pas être suffisantes pour permettre aux investisseurs de décider d’investir dans le FIA ;
- les informations ne doivent pas être équivalentes à des formulaires de souscription ou à des documents similaires (sous forme de projet ou sous forme définitive) ;
- les informations ne doivent pas être équivalentes à des actes constitutifs, à un prospectus ou à des documents d’offre d’un FIA non encore établi sous une forme définitive.
Ainsi, si une SGP fournit un projet de prospectus (ou tout autre document) à de potentiels investisseurs dans le cadre d’une pré-commercialisation, elle devra, notamment, s’assurer que les informations qui y sont contenues ne sont pas suffisantes pour permettre aux investisseurs de prendre une décision d’investissement, et indiquer clairement (par exemple, au moyen d’un avertissement en première page du document) que ce projet ne constitue pas une offre ou une invitation à souscrire dans le FIA. Si les documents présentent un caractère exhaustif, définitif et trop précis, l’acte perd alors sa qualité de pré-commercialisation dans la mesure où l’information présentée pourrait s’analyser comme une "offre".


b. Le dispositif anti-contournement.

Le CMF et l’AMF prévoient un dispositif anti-contournement : les SGP doivent s’assurer qu’aucun investisseur potentiel n’est en mesure d’investir dans l’OPC en question dans le cadre de la pré-commercialisation. Les investisseurs potentiels interrogés ne pourront donc investir dans l’OPC que lorsque ce dernier sera autorisé à être commercialisé. Ainsi, en cas de souscription ou d’acquisition de parts ou actions d’un OPC par des investisseurs dans les 18 mois qui suivent le début de la pré-commercialisation par la SGP, le CMF et l’AMF présument que cet investissement résulte d’une commercialisation, et non d’une pré-commercialisation. Dans ce cas, la pré-commercialisation, qui ne doit en aucun cas constituer une offre d’investissement dans l’OPC en question, est donc requalifiée en commercialisation.
Comme le précise l’AMF, il ne sera pas possible pour une SGP d’arguer l’existence d’une sollicitation inversée (ou "reverse solicitation"), qui suppose qu’un investisseur potentiel a pris sa décision d’investissement dans un OPC sans avoir été sollicité en amont.


c. L’existence d’une procédure de notification auprès de l’AMF


Le CMF impose une nouvelle procédure de notification de l’AMF dans le cadre de la pré-commercialisation. Cette procédure constitue une nouveauté issue de la Directive CBDF et n’était pas prévue par l’AMF dans sa position 2014-04. Ainsi, deux semaines après le début de la pré-commercialisation, la SGP devra le notifier à l’AMF par voie électronique. 

Damien Luqué, associé et Martin Jarrige de la Sizeranne, collaborateur chez Lacourte Raquin Tatar

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