Distribution transfrontalière des OPC : aviez-vous dit "facilités" ?
Les points clés
- La directive CBDF, désormais transposée en droit français, met fin à l’obligation pour les sociétés de gestion de disposer d’une présence physique dans l’État membre d’accueil.
- Les sociétés de gestion doivent en lieu et place offrir localement des "facilités" - terme inconsistant et très mal francisé à partir de la version anglaise de la directive - permettant d’exécuter les tâches liées notamment à la centralisation des ordres et à la mise à disposition de la documentation réglementaire des fonds.
- Le formulaire de notification du passeport "out" doit indiquer précisément la nature de ces "facilités".
- Reste entière la problématique, ancienne et constante, des règles dites "d’intérêt général", qui imposent au distributeur transfrontalier de se conformer à l’ensemble des règles locales dont l’importance est jugée telle par l’État d’accueil, qu’elles s’ajoutent aux textes européens. Elles sont détectées au fil de l’eau par les juridictions ou régulateurs locaux et rendent difficile leur prévisibilité.
La France a récemment transposé la directive du 20 juin 2019 relative à la distribution transfrontalière des organismes de placement collectif (dite "CBDF"). Il s’agissait pour l’Union européenne de renforcer l’épure d’un marché unique, pleinement intégré et efficient, selon les moteurs qui, invariablement, texte après texte, depuis près de quarante ans, ont conduit le législateur européen à ne concevoir la règle de droit que sous le seul prisme du binôme concurrence/ distribution (ici reflété au premier considérant de la directive). C’est de ce dernier point dont il était question dans la directive CBDF. D’un point de vue technique, cette transposition a pris la forme de l’ordonnance n° 2021-1009 du 31 juillet 2021, précisée par ses décrets n° 2021-1011 et n° 2021- 1012 du 31 juillet 2021. Un arrêté du 23 juillet 2021 modifie quant à lui certaines dispositions actuelles dans les titres I (pour les OPCVM) et II (pour les FIA) du Livre IV du Règlement général de l’AMF. Les Instruction AMF correspondantes ont également été amendées.
Disparition de l’obligation de faire appel à des correspondants locaux
La Commission européenne avait fait le constat que l’obligation pour les sociétés de gestion de disposer, physiquement, d’un représentant local, n’était plus adaptée à la réalité des relations entre les sociétés de gestion et leurs clients, qui interviennent désormais directement par les différents moyens de communication dématérialisés mis à la disposition de ces derniers. De la même manière que le papier s’efface peu à peu des textes réglementaires européens (directive 2021/338 dite "Quick Fix"), la présence physique d’un correspondant local était, en somme, devenue désuète.
La présence physique d’un correspondant local était, en somme, devenue désuète
Cet objectif est reflété par l’introduction du terme de "facilités" (nouvel article 92 de la directive CBDF et articles 411- 137-1 du RGAMF pour les OPCVM et 421-13 du même Règlement pour les FIA commercialisés auprès de clients non professionnels). Les juristes (et plus généralement les lecteurs) ne pourront éprouver qu’un sentiment variant de la frustration à la lassitude de voir la langue française aussi malmenée. Si c’est désormais un lieu commun que de constater la médiocrité de la rédaction des textes actuels, la version française de la directive atteint là un paroxysme en "francisant" un terme directement de l’anglais plus, faut-il l’espérer, par paresse, que maladresse. Si le mot "facilities" renvoie à une disposition claire en anglais, il ne correspond à rien de tel dans la langue française. Il s’agit d’ailleurs en français d’un nom destiné à exprimer un complément (Dictionnaire de l’Académie française, V° "Facilité"), de sorte que l’on peut avoir des facilités "pour" quelque chose ou "de" quelque chose, mais en aucun cas des facilités de manière isolée, sauf à viser là une "disposition naturelle dans le domaine intellectuel" (même dictionnaire), que l’on est en droit ici de mettre en doute.
L’utilisation de ce terme aboutit d’ailleurs à des phrases idiomatiques, tout juste compréhensibles. À titre d’illustration, le nouvel article 92.1-c) de la directive OPCVM doit désormais se lire ainsi : "Les États membres veillent à ce qu’un OPCVM mette à disposition, dans chaque État membre où il a l’intention de commercialiser ses parts, des facilités pour […] faciliter le traitement des informations et l’accès aux procédures et modalités visées à l’article 15 relatives à l’exercice, par les investisseurs, des droits liés à leur investissement dans l’OPCVM dans l’État membre où est commercialisé ce dernier" (sic).
Concrètement - et c’est l’essentiel - les sociétés de gestion doivent désormais offrir aux souscripteurs locaux, un dispositif adapté (le terme est probablement plus adapté) pour réaliser les tâches suivantes :
- - traiter les ordres de souscription, de rachat et de remboursement et effectuer les paiements ;
- - informer les investisseurs de la manière dont les ordres peuvent être passés et des modalités de versement des recettes en résultant ;
- - faciliter le traitement des informations et l’accès aux procédures et modalités de traitement des réclamations ;
- - mettre les informations et les documents réglementaires à la disposition des investisseurs ;
- - fournir aux investisseurs, sur un support durable, les informations relatives "aux tâches que les facilités exécutent" (sic); et
- - faire office de point de contact pour communiquer avec les autorités compétentes.
Il pourra s’agir d’un correspondant local (mais ce n’est plus une obligation), de la présence d’une succursale ou d’une filiale en charge de ces missions ou encore d’un site ou d’une page dédiée.
Impacts sur la notification de l’exercice du passeport "out"
Point important : le formulaire de notification de l’exercice du passeport européen (annexe XVIII de l’instruction AMF 2011-19 pour ce qui concerne les OPCVM) doit désormais rappeler les modalités selon lesquelles les "facilités" sont offertes localement. Le modèle de formulaire n’ayant toujours pas été mis à jour à la date de la présente, ces mentions peuvent figurer sous la forme d’un tableau annexé au formulaire et reprenant chacune des catégories de "facilités" visées par l’article 92 (1) de la Directive CBDF.
L’impact des règles d’intérêt général
Un autre écueil, plus important celui-ci, demeure dans la perspective du marché européen : les règles locales dites "d’intérêt général". Les États d’accueil restent compétents pour édicter des règles applicables aux établissements distributeurs, sous réserve que ces règles soient qualifiées "d’intérêt général", telle que cette notion est définie par la CJUE. Les règles d’intérêt général sont édictées par l’État membre d’accueil ou par ses juridictions qui en apprécient la validité au regard de plusieurs critères fixés par la CJUE, après avoir éventuellement saisi la Cour d’un renvoi préjudiciel, ou sous le contrôle de la Commission européenne dans le cadre d’une action en manquement. Ces règles sont décelées au fil de l’eau, sans toujours être répertoriées par les autorités de l’État d’accueil, ce qui impose aux établissements de mettre en place des grilles d’analyse, État par État. Leur niveau de prévisibilité est faible et nuit encore à l’intégration du marché unique.
Par Hugues Bouchetemble, avocat associé, Kramer Levin Naftalis & Frankel
Hugues Bouchetemble intervient principalement en matière de réglementation financière et accompagne les sociétés de gestion, entreprises d’investissement et compagnies d’assurance sur les questions liées à la création d’établissements réglementés, à la restructuration de gammes de fonds à l’organisation interne et à la distribution de produits financiers et aux opérations bancaires et financières transfrontalières. Il a développé une expertise particulière en matière de contentieux disciplinaire devant la Commission des sanctions de l’AMF pour lesquels il a été le conseil de grands établissements de place.