C. Flaicher (Taylor Wessing) : "Les acquisitions immobilières par les non-résidents personnes physiques : un choix délicat"
DÉCIDEURS. Quels sont les points de vigilance dont doit faire preuve un non-résident avant d’acquérir un bien immobilier en France ?
Christophe Flaicher. Les modalités d’acquisition d’un bien immobilier en France par un non-résident doivent être examinées tant au regard des objectifs que des conditions d’utilisation du bien par l’investisseur non résident. Une parfaite appréhension de ces éléments permet de proposer la structure d’investissement la plus adaptée et optimisée fiscalement. À titre d’exemple, il convient d’attirer l’attention de l’investisseur que l’utilisation d’une société holding étrangère pour réaliser son investissement peut être très contraignante et coûteuse en cas d’utilisation personnelle du bien (ce qui est fréquent s’agissant d’investisseurs très fortunés). En effet, dans une telle hypothèse, une valeur locative doit être déterminée et soumise à l’impôt sur les sociétés en France sachant que la détermination de cette valeur locative fait l’objet de nombreux contentieux avec l’administration fiscale, notamment s’agissant de biens de prestige situés dans le sud-est de la France. À l’inverse, les nouvelles règles restrictives relatives à la déductibilité des dettes pour la détermination de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) ont eu pour conséquence d’augmenter considérablement l’impôt à payer. À ce titre, une détention directe peut s’avérer pénalisante et offrir moins de possibilités pour diminuer la pression fiscale.
"Les non-résidents de l’espace économique européen sont soumis à des prélèvements sociaux limités"
Quelle est la fiscalité applicable aux investissements immobiliers français réalisés par des non-résidents ?
- Les acquisitions immobilières réalisées par les non-résidents sont soumises aux mêmes droits d’enregistrement que des investisseurs français (environ 7 % pour les actifs en direct et 5 % pour les titres de sociétés à prépondérance immobilière) ;
- Les revenus locatifs au titre de biens détenus en direct sont soumis à l’impôt sur le revenu en France au taux progressif (jusqu’à 45 %) augmentés des prélèvements sociaux (17,2 %). Cela étant, il convient de souligner que, depuis l’arrêt de la CJUE "de Ruyter", les non-résidents de l’Espace économique européen et de la Suisse sont soumis à un simple prélèvement de 7,5 %, ce qui aboutit à une fiscalité plus favorable que pour un propriétaire résident français. Notons toutefois un principe d’imposition minimum du non-résident au taux de 20 % ou 30 % en fonction des revenus sauf preuve contraire d’un taux d’imposition global plus faible. En revanche, les revenus perçus par des sociétés soumises à l’IS sont taxés au taux de l’IS applicable (26,5 % en 2021 et 25 % à compter de 2022) ce qui permet en outre d’amortir fiscalement le bien ;
- La taxation des plus-values de cession doit être analysée au regard du mode de détention des actifs. Rappelons au préalable que les nouvelles conventions fiscales signées avec la France ont considérablement limité les possibilités d’exonération des plus-values de cession de titres de société à prépondérance immobilière ;
- Détention directe/ou via structure transparente (SCI notamment) :
• Application d’un taux de 19 % (augmenté d’une potentielle surtaxe en fonction du montant de la plus-value (jusqu’à 6 %)) ;
• Application des contributions sociales au taux de 17.2 % (sauf cas des non-résidents européens : taux de 7,5 %) ;
• Bénéfice de l’abattement pour durée de détention (exonération totale en cas de détention pendant plus de 30 ans) ;
• Potentielle exonération partielle des plus-values pour les non-résidents ayant résidé en France pendant au moins deux ans ;
• Détention par l’intermédiaire d’une société fiscalement opaque (notamment holding étrangère) ;
• Plus-value soumise à l’impôt sur les sociétés au taux applicable ;
• Pas d’abattement pour durée de détention ni potentielle exonération.
Quelles sont les modes de détention à sa disposition ?
Les non-résidents ont principalement le choix entre :
- Une détention directe ;
- Une acquisition via une structure française (SCI ou société commerciale) ;
- Une acquisition par une holding étrangère ou par un trust.
Les non-résidents anglo-saxons utilisent très fréquemment leur trust familial pour faire l’acquisition de leur investissement immobilier en France. Sur le plan pratique, cette détention via un trust nécessite l’interposition d’une structure sociétaire française (SCI) ou holding.
Comment choisir le mode de détention optimal : en direct ou via une société (opaque ou translucide) ?
Il n’existe pas à notre sens de mode de détention optimal mais un mode de détention le plus adapté aux objectifs recherchés et aux conditions d’utilisation du bien immobilier.
La fiscalité applicable à une structure ad hoc est-elle plus intéressante que celle liée à la détention d’un bien en direct ?
Là encore, la réponse à cette question dépend des objectifs recherchés. Ainsi en cas d’activité locative, la détention directe peut s’avérer fiscalement beaucoup plus onéreuse. En revanche, l’acquisition d’un bien immobilier par une holding familiale détenant des actifs autres ou situés à l’étranger peut s’avérer judicieuse pour optimiser le montant de l’impôt sur la fortune immobilière.
"Le mode de détention doit être adapté
aux objectifs recherchés"
Quelles sont les obligations déclaratives des non-résidents en matière immobilière ?
Les non-résidents sont soumis à des obligations déclaratives quasi identiques à celles d’un résident français, à l’exception près de la détention via un trust qui génère des obligations plus importantes avec des conséquences financières en cas de non-respect des formalités bien qu’elles se soient atténuées ces dernières années. Les non-résidents sont ainsi potentiellement soumis à :
- une déclaration annuelle des revenus (en cas de location ou utilisation à titre personnel d’un bien logé dans une structure relevant de l’impôt sur les sociétés) ;
- la déclaration taxe de 3 % ;
- les déclarations trust (annuelle et événementielle) ;
- la déclaration d’impôt sur la fortune immobilière.
La nouvelle définition de l’abus de droit a-t-elle fragilisé certains montages, jusqu’alors couramment utilisés ?
Il est clair que la nouvelle définition de l’abus de droit nécessite d’être beaucoup plus attentif au regard par exemple de certaines opérations relatives au refinancement d’acquisition originellement réalisé sous la forme d’emprunt in fine. De même, des schémas de transmission successorale doivent s’inscrire dans le nouveau cadre défini par le législateur
Quels sont vos conseils pour sécuriser les investissements immobiliers effectués en France par des non-résidents ?
Il ne s’agit pas à notre sens tant de sécuriser les investissements, mais plutôt de trouver la structure d’investissement la plus adaptée à l’objectif et l’utilisation du bien, la situation familiale et l’objectif de transmission. Par ailleurs, des problématiques autres que fiscales sont parfois à anticiper. À souligner ainsi qu’un bien immobilier logé dans une société n’a pas la même nature juridique qu’un bien immobilier, ce qui peut avoir des conséquences non négligeables en matière successorale. Nous estimons que le conseil le plus adapté doit s’appuyer, sans être exhaustive, sur la grille de décision suivante :
Acquisition directe ou via une structure translucide
+ Application des abattements de durée de détention lors de la revente ultérieure
+ Exonération totale ou partielle dans certaines situations de la plus-value de cession
+ Absence de formalité déclarative (ou pour le moins limitée)
- Taxation élevée des revenus en cas de location
- Imposition potentiellement plus élevée au regard de l’IFI
Acquisition par une structure soumise à l’impôt sur les sociétés
+ Imposition des revenus locatifs plus faible (taux et base avec faculté d’amortissement du bien)
+ Optimisation possible au regard de l’IFI/en matière de transmission de patrimoine
- Imposition de la société sur la valeur locative du bien en cas d’utilisation à titre privé de l’actif immobilier
- Obligations déclaratives plus importantes et parfois contraignantes notamment en cas de détention via un trust.
Christophe Flaicher, Associé chez TAYLOR WESSING