Après avoir chuté lourdement, les marchés financiers ont rapidement repris des couleurs grâce aux actions massives des banques centrales et des États. Depuis, les investisseurs sont entrés dans une phase d’attente, partagés entre l’idée d’une sortie de crise rapide et la peur d’une nouvelle vague épidémique.

En Bourse plus qu’ailleurs, les crises sont sources d’opportunités. Les investisseurs particuliers ont donc profité des forts mouvements boursiers observés au cours du mois de mars pour se positionner sur les marchés actions. Selon une étude publiée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), en à peine un mois, les volumes d’achat des particuliers sur le SBF 120 ont été multipliés par quatre. Ce sont 150 000 nouveaux investisseurs qui ont ainsi pris part à ces achats. Mais avec la remontée récente des principaux indices boursiers, est-il encore opportun d’augmenter son exposition aux actions alors que de nombreuses incertitudes, sanitaires et économiques, planent toujours sur les marchés financiers ? Gestionnaires d’actifs et grands investisseurs demeurent prudents.

Entre deux eaux

Dans ce contexte incertain, l’emblématique Warren Buffett conseille aux investisseurs de temporiser leur ardeur. Lors de sa dernière assemblée des actionnaires qui s’est tenue en ligne, Le gérant de la société d’investissement Berkshire Hathaway a annoncé qu’à ce stade « aucune entreprise ne lui paraissait réellement attrayante ». Il conserve pour l’instant ses munitions en vue de réinvestir en cas de nouvelle baisse des marchés. Et il n’est pas le seul à adopter une posture prudente. David Mellul, directeur général de Varenne Capital Partners, suit également cette voie : « Nous sommes revenus à des niveaux de valorisation comparables à ceux de la deuxième moitié de 2018. Les marchés nous semblent chers. Il est toujours rare de trouver des entreprises de qualité dont la valorisation est attractive. Jusqu’à présent, les investisseurs ont envie de croire à un scénario optimiste. Nous sommes plus prudents. » Les marchés semblent entrés durablement dans une phase d’incertitude, propice à l’instabilité. Didier Saint-Georges, membre du Comité d'investissement stratégique et managing director chez Carmignac conseille aux investisseurs « de conserver une exposition modérée aux risques de marché s’ils souhaitent contenir la volatilité de ses actifs. »

En recherche de visibilité

La prudence est aujourd’hui mère de toutes les vertus. En effet, des doutes subsistent sur la croissance et les réels impacts de la crise sur les entreprises. Les professionnels de la gestion d’actifs privilégient donc à ce stade les sociétés au bilan solide et dont les capacités de croissance bénéficiaire ont été éprouvées. « Les leaders mondiaux, qui bénéficient de puissants éléments de différenciation envers la concurrence, sortent le plus souvent renforcés des crises. » souligne Pierrick Bauchet, directeur général et directeur de la gestion d’Inocap Gestion. Sans surprise, les secteurs de la santé et de la technologie sont plébiscités. « La digitalisation de pans entiers de l’activité va s’accélérer, la volonté des populations de privilégier la santé et la vie saine est confortée par cette période de pandémie » résume ainsi Wilfrid Galand, directeur stratégiste chez Montpensier Finance. Marc Riez, directeur général chez Vega IM, abonde également dans ce sens : « La crise a accéléré des mutations déjà en cours auparavant notamment dans le cloud, le travail à distance, les logiciels et réseaux. La technologie sera particulièrement porteuse à l’avenir et le marché ne s’y trompe pas. »

Jouer la carte des entreprises cycliques ?

Marc Vega reconnaît également que si les investisseurs veulent profiter pleinement du rebond des marchés, il faudra miser davantage sur des secteurs cycliques amenés à se normaliser et rebondir, « notamment dans le secteur du luxe, de l’industrie exportatrice ou du transport pour lesquels un retour à meilleure fortune est envisageable dans les semaines et les mois à venir ». Dans une optique de diversification du portefeuille, Jean-Charles Mériaux, directeur de la gestion, DNCA Finance, croit aussi en une remontée des cours des valeurs bancaires, dont le secteur a été particulièrement maltraité : « Plus personne ne veut détenir de banques dans son portefeuille. Elles payent toujours leur responsabilité dans la crise de 2008. Or, aujourd’hui les banques ne sont pas à l’origine de la crise. Elles sont, au contraire, la solution pour éviter que l’économie s’effondre. »

Trois professionels des marchés financiers nous donnent leurs points de vue

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Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement stratégique de Carmignac.

« Les marchés sont rentrés dans une incertitude radicale »


Quels conseils donneriez-vous aux investisseurs ? 
La première discipline à s’imposer aujourd’hui est d’admettre la singularité de la situation. Pour la première fois, une décision délibérée des pouvoirs publics a mis à l’arrêt 50% de l’économie mondiale, en réponse à une menace de santé publique. Le caractère sans précédent de cette situation a trois effets qui doivent orienter la stratégie d’investissement. Le premier est la réaction des banques centrales : elles étaient parfaitement préparées à gérer les marchés en intervenant autant que de besoin, puisque c’est ce qu’elles font depuis dix ans. Donc, la réaction monétaire a été, et demeurera, à la hauteur du choc. Le scénario central que cette situation produit est ainsi celui d’une récession que les Etats (c’est-à-dire banques centrales et gouvernements) parviennent à contenir dans une ampleur acceptable socialement. Dans ce schéma de soutien continu et de taux d’intérêt très bas pour très longtemps, les actions de croissance à forte visibilité demeurent de bons supports d’investissement, ainsi que les obligations des entreprises robustes.
Le deuxième effet du choc est darwinien : il sera fatal aux entreprises fragiles et renforcera les entreprises adaptées et flexibles. Aujourd’hui, les meilleures entreprises dans les secteurs de la santé et de la technologie sont parfaitement adaptées au nouveau paysage économique.
Troisième effet d’un choc violent et sans précédent : des ramifications très difficiles à prévoir. On ne peut davantage exclure à l’horizon de quelques mois la découverte d’un vaccin que l’émergence de tensions géopolitiques. Les marchés sont rentrés dans une incertitude radicale, propice à l’instabilité. Il faut donc conserver une exposition modérée aux risques de marché s’il on souhaite contenir la volatilité de ses actifs.

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Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste, Montpensier Finance

« Pour compléter les portefeuilles, nous apprécions les obligations convertibles »

Décideurs. Est-ce une période propice pour revenir sur les marchés ?
Wilfrid Galand. Depuis quelques semaines les marchés cherchent leur voie, oscillant au rythme des nouvelles épidémiologiques, des prévisions économiques, des plans de relance et des annonces des banques centrales. Sans oublier évidemment les rafales de tweets de l’imprévisible Donald Trump ! Dans ce contexte, les investisseurs doivent prendre acte de la fragilité des scénarios économiques et des prévisions de bénéfices. Simultanément, ces hésitations sont aussi le signal d’opportunités pour bâtir ce qui fera la performance des portefeuilles à moyen terme. Une diminution confirmée des indices de volatilité sous le seuil de 30, constituerait un signal positif d’achat.

Actions ou obligations, quelle classe d’actifs a votre préférence ?
Notre préférence va vers les actions, alors que les taux d’intérêts devraient rester très bas, voire encore diminuer dans les mois qui viennent face à la pression des dettes générées par le soutien public massif à l’activité. Les incertitudes actuelles nous poussent à privilégier les sociétés au bilan solide et dont les capacités de croissance bénéficiaire ont été éprouvées. Les entreprises capables de profiter des grandes tendances économiques et sociétales doivent constituer la base de portefeuilles diversifiés. La digitalisation de pans entiers de l’activité va s’accélérer, la volonté des populations de privilégier la santé et la vie saine est confortée par cette période de pandémie, et la bascule vers l’efficacité carbone et la bonne gouvernance des entreprises est une exigence qui se renforcera. Pour compléter les portefeuilles, nous apprécions également les obligations convertibles qui permettent de diversifier les moteurs de performance, ainsi que les actions des entreprises de taille moyenne, qui sont des accélérateurs d’innovation et bénéficieront de la volonté des autorités de privilégier les acteurs économiques locaux.

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Michel Audeban, Managing Director, Gemway Assets

 « 2021 devrait voir un rebond marqué de la consommation dans les pays émergents »

Décideurs. Quels sont les points de vigilance concernant les pays émergents ?

Michel Audeban. Après l’Europe et les Etats-Unis, le Covid 19 se développe en Amérique Latine. Il faudra surveiller l’évolution de la situation au Brésil dans les semaines à venir. Avec 415 000 cas, ce pays est aujourd’hui le deuxième plus touché après les États-Unis. L’évolution de l’épidémie en Inde soulève également des interrogations bien que le nombre de décès soit encore modéré.

Les relations sino-américaines se sont, par ailleurs, de nouveau tendues, sur plusieurs sujets :

- La technologie. TSMC vient d’être mis en porte à faux par Donald Trump, le sommant de ne plus fournir Huawei en composants. En gage d’allégeance TSMC s’engage à construire une grande usine aux États-Unis.

- Hong-Kong. Le projet de loi chinois sur la sécurité nationale pourrait limiter son indépendance. La réaction de l’administration américaine pourrait inquiéter les marchés alors que Hong Kong bénéficie d’un statut spécial depuis 1992.

- La possible interdiction de cotation à New York des sociétés chinoises (ADR). Si cela devait faire du bruit à court terme, l’impact serait probablement modéré à moyen terme.

En parallèle, l’activité retrouve en Chine des niveaux pre-Covid, tirée par la consommation. Les valorisations en prix/actif net - plus fiable en période de forte incertitude sur les résultats - en Asie, sont au plus bas depuis 2008.

Dans cet environnement, quels secteurs d’activités ont vos faveurs ?

Nous privilégions deux secteurs. D’une part les semi-conducteurs qui pourraient profiter à la fois du plan massif de 5G en Chine en 2021 et d’une reprise cyclique. Et d’autre part, l’e-commerce et les medias sociaux. Alibaba vient d’annoncer un montant des biens échangés de 1.000 Md$ sur 12 mois, soit trois fois plus qu’Amazon ! 2021 devrait voir un rebond marqué de la consommation dans les pays émergents. La Chine étant l’un des premiers pays à repartir, nous anticipons une surperformance des marchés émergents.

Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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