L’année 2020 s’est ouverte avec une crise sanitaire entraînant, entre autres, la chute des Bourses du monde entier. Dans un contexte de mise à l’arrêt de l’économie, comment évaluer les actifs non cotés ?

Fonds de pension au Québec, fonds de retraite français ou encore family office. Malgré leurs différences, un point commun rassemble les investisseurs institutionnels à l’aube de la crise sanitaire : l’inquiétude. Connaître les conséquences de la pandémie sur les valorisations de leurs investissements dans le non coté apporterait une partie des réponses. Néanmoins, tous ne disposent pas de la taille et des moyens, en interne, pour piloter et suivre les différents fonds dans lesquels ils ont investi. "Moins ils reçoivent d’informations de la part des gérants, plus leur inquiétude est grande", remarque Enguerran de Crémiers, managing director chez Duff & Phelps, en charge des activités d’évaluation de portefeuille en France.

Toutes les classes d’actifs touchées

"Le Covid a infecté toutes les classes d’actifs", annonce-t-il. "On aurait pu penser que certains secteurs comme les utilities seraient moins affectés, mais on a observé fin mars des baisses de 5 à 10 % sur les utilities cotées." C’est donc l’ensemble du marché qui a réévalué ses attentes. À risque équivalent, les investisseurs ont sans doute relevé leurs exigences de rendement. "Pour l’equity, il est possible que la prime de risque de marché attendue par les investisseurs ait augmenté", précise le managing director. "Quant à la dette privée, le marché secondaire des leveraged loans affichait fin mars un écartement des spreads compris entre 350 bps et 700 bps en fonction des secteurs par rapport au 31 décembre 2019, avant d’amorcer une certaine décrue au cours du mois d’avril." L’heure est donc à la prise en compte, pour tous, des conséquences du Covid-19 dans les évaluations des actifs en portefeuille.

Une question de méthode

Les investisseurs, français comme anglo-saxons, ont adopté des normes d’évaluation qui suivent les principes de la "fair value", car les évaluations fondées sur les coûts historiques ou sur des valeurs "prudentes" ne permettent pas la comparaison entre actifs ou classes d’actifs. Alors que les LPs ont besoin de reportings conformes à la définition de la juste valeur, les enjeux sont un peu différents du côté des GPs. "Un gérant de dette privée peut être réticent à passer à l’évaluation à la juste valeur, car il se demande pourquoi instaurer de la volatilité alors qu’il sera remboursé au pair à terme", explique Enguerran de Crémiers.

Alors que les gérants anglo-saxons appliquent en grande majorité le cadre d’évaluation IPEV d’actualisation des cash-flows futurs pour les instruments de dettes, certains gérants français restent encore au coût amorti, tout en passant des dépréciations le cas échéant, arguant que les méthodes "coût amorti" et "actualisation des cash-flows futurs" ont donné des résultats similaires ces dernières années. Cependant, "dans le contexte du Covid-19, à qualité de crédit comparable, ces deux méthodes donnent potentiellement des résultats différents et les investisseurs institutionnels le savent, ce qui peut générer des incompréhensions", précise le managing director. "Pour le private equity", prévient-il, "même s’il est possible de lisser les effets de volatilité de marché, attention de ne pas écarter brusquement toute référence aux sociétés comparables cotées sous prétexte que cette comparaison n’est pas favorable".

Le cas du venture capital

Pour une start-up, les questions clés sont de savoir si la référence au dernier tour de financement est toujours pertinente, si elle dispose de liquidités suffisantes pour traverser la crise et, enfin, si elle trouvera de nouveaux investisseurs pour le prochain tour. Alors qu’auparavant, beaucoup de jeunes sociétés affichaient un certain optimisme quant à leur capacité à lever de nouveaux fonds, la pandémie est venue chambouler leurs plans. Comment évaluer alors une jeune société qui a peu de trésorerie, qui fait face à un choc de la demande et dont le prochain tour de financement sera peut-être repoussé ? "Une solution est de passer par des scénarios futurs probabilisés et actualisés", répond Enguerran de Crémiers. "Les prochaines évaluations trimestrielles ou semestrielles seront extrêmement importantes car elles constituent le socle d’un dialogue transparent et éclairé avec les LPs sur la situation réelle des entreprises en portefeuille".

Anne-Gabrielle Mangeret

Définition : les standards internationaux s’accordent sur une définition commune de la juste valeur, à savoir "le prix qui serait reçu pour la vente d’un actif ou payé pour le transfert d’un passif lors d’une transaction normale entre intervenant de marché à la date d’évaluation".

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