Pierrick Bauchet, Directeur Général et Directeur de la Gestion d’Inocap Gestion, pilote un fonds patrimonial flexible, Quadrige Patrimoine, en capacité de faire évoluer ses investissements en obligations et en actions. Dans cet environnement difficile à lire, il détecte notamment de très belles opportunités sur les marchés obligataires.

Décideurs. Comment gérez-vous votre fonds patrimonial dans un environnement aussi volatil et des mouvements de marchés aussi violents ?

Pierrick Bauchet. C’est justement dans des environnements ultra-perturbés que la gestion prudente de moyen et long terme prend tout son sens. Nous appliquons une gestion de conviction avec des investissements qui s’inscrivent dans la durée. Il ne faut donc pas surréagir aux mouvements boursiers. Quadrige Patrimoine est un fonds patrimonial dont l’objectif est d’encaisser au mieux la volatilité de court terme des marchés financiers tout en créant de la valeur sur le long terme. Ce fonds, investi en actions et obligations d’entreprises, est géré avec une grande prudence. La part action oscille entre 0 et 50 % alors que nos positions en obligations peuvent varier entre 50 % et 100 %. On a fait le choix de ne pas se positionner sur des obligations d’État. Fin mars, notre fonds était exposé aux marchés actions à hauteur de 20 %, contre une moyenne 25 % au cours des quinze derniers mois, et à 68 % aux marchés obligataires. 12 % de Quadrige patrimoine étant composé de liquidité et placement monétaire.

Quelles sont les sociétés qui vous intéressent ?

Nos investissements obligataires reposent sur les mêmes fondements et analyses que nos positions en actions. Nos équipes privilégient les entreprises les plus différenciantes, celles qui investissent et innovent. Une stratégie qui leur permettra de sortir plus fort de cette crise. Nous privilégions également les entreprises familiales, leaders mondiales et à l’activité internationalisée. Enfin, nos portefeuilles sont concentrés sur des sociétés rentables, solides sur le plan financier et faiblement endettées.

"Il ne faut pas surréagir aux mouvements boursiers" 

Comment gérez-vous la partie de votre portefeuille investie sur les titres de dettes ? Privilégiez-vous les investissements offrant une duration très courte ?

Jusqu’à peu, le marché des obligations d’entreprises privées ne rémunèrerait pas les investisseurs pour le risque pris. Nous avions, par conséquent, bâti notre portefeuille avec la duration la plus faible possible. 70 % de nos titres de dette sont notés Investment Grade tels que Vivendi, General Electric, Cap Gemini, Edenred ou encore Sanofi. Les 30 % des obligations restantes sont dans la catégorie High Yield (Orano, Nexans) ou ne sont pas notées. Parmi elles figurent des sociétés aussi solides que Christian Dior, Adidas, bioMérieux ou Vilmorin.

Ne craignez-vous pas une dégradation des notes des sociétés notées Investment Grade ?

Près de 75 % des sociétés de la catégorie Investment Grade de notre portefeuille ont une note située entre AA et BB. Seuls 25 % de nos titres ont une note de BBB-. Nous avons fait le choix de nous positionner sur des émetteurs très solides. Quadrige Patrimoine a longtemps privilégié les investissements offrant une duration très courte, proche de 1, afin de conserver un profil de faible sensibilité à l’évolution des anticipations de taux d’intérêt. L’objectif étant de pouvoir réinvestir les maturités arrivant à échéance dans des meilleures conditions. Nous n’anticipions cependant pas une telle contagion du virus, une telle amplification du phénomène, ni une récession aussi adverse. Cette crise est temporaire. La violence du rebond sera sans doute à la hauteur de la chute. Les gouvernements et les banques centrales ont fait preuve d’une extrême réactivité. Les plans de relance sont évalués entre 5 % et 6 % du PIB mondiale. Ces mesures permettront d’alimenter le rebond.

Cette inquiétude autour d’un crédit crunch fait-elle naitre de nouvelles opportunités d’investissement sur le marché obligataire ?

On se retrouve dans une position confortable. Notre gestion prudente est récompensée. Nous avons déjà réinvesti une partie de nos liquidités et des émissions qui arrivaient à échéance. L’environnement de marchés rémunère à nouveau les investisseurs obligataires. Sur nos dernières prises de position, les durations vont de 2 à 3. Nous avons participé aux émissions obligataires de General Electric offrant un rendement de 2,26 % pour une duration de 2 et de Mohawk Industries dont le rendement est de 3,21 % pour une duration de 1,77. Nous avons aussi profité du stress autour du secteur aéronautique pour initier une position dans Easy Jet, une entreprise qui nous semble très solide, avec un rendement à 9,1 % et une duration de 3,15. Nous sommes aujourd’hui très loin des considérations de 2009. Le marché du crédit n’est pas fermé. Nous allongeons la duration pour capter un supplément de rendement. Nos marges de manœuvre sont encore importantes. 10 % de notre portefeuille arrivera à échéance dans les cinq prochains mois.

"La violence du rebond sera sans doute à la hauteur de la chute"

Qu'en est-il de votre poche action ? La baisse des marchés peut-elle vous amener à revenir de manière plus agressive sur cette classe d'actifs ?

La violence de la baisse va apporter des opportunités significatives sur les entreprises les plus solides à long terme. À plus court terme, deux éléments nous imposent la prudence. La violence de l’impact de la destruction de valeurs, d’une part. Une importante partie de la population mondiale demeure aujourd’hui confinée. L’intensité de la récession est peut-être sous-estimée par les investisseurs. La durée du confinement pourrait être plus longue que prévue, d’autre part. Les marchés financiers vont probablement rester très volatils ces prochaines semaines. On conserve nos munitions pour réinvestir « au son du canon ». En période de capitulation, notre travail sera de renforcer notre position sur les actions et le crédit. Nous avons d’ores et déjà identifié des cibles d’investissement. Nous préparons le rebond.

Quelles sociétés pourraient sortir plus fortes de cette crise ?

Les entreprises ont encore des difficultés pour quantifier l’impact du trou d’air. Certaines font toutefois preuve de flexibilité dans la structuration de leur coût et pour préserver leur rentabilité. Les leaders mondiaux, qui bénéficient de puissants éléments de différenciation envers la concurrence, sortent le plus souvent renforcés des crises. Ces entreprises sont au cœur de nos investissements. Le secteur des paiements dématérialisés devrait profiter de la crise. Worldline, qui a récemment annoncé l’acquisition de son concurrent français Ingenico, est à ce titre très bien positionné. D’autres sociétés comme Teleperformance ou SAP devraient aussi sortir renforcés de cette crise. À ce jour, notre portefeuille actions est investi à 40 % en France et à 60 % dans des sociétés européennes. Plus des deux tiers des titres étant des large-cap.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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