Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement, s’est exprimé le 27 mars 2020 pour partager ses vues de marché et les recommandations d’allocation d’actifs de Pictet Asset Management.

Après avoir subi une baisse très violente, les marchés financiers semblent moins s’inquiéter de la situation sanitaire et économique. Peut-on s’en étonner ?

Frédéric Rollin. La baisse a été brutale, plus rapide même qu’en 1929. Le rebond est aussi très important. S’agit-il d’éléments techniques ? Ou les investisseurs anticipent-ils une baisse majeure de la croissance économique ? À ce stade, nous plaidons davantage pour la deuxième hypothèse. Des économistes ont analysé en 2006 l’impact qu’auraient eu les grandes épidémies du siècle sur nos économies modernes. La crise que nous traversons se révèle probablement moins importante que celle de la grippe espagnole, ou trois vagues épidémiques s’étaient succédées. Le contexte se rapproche davantage de celui provoqué par la grippe asiatique, à la fin des années 50. L’impact d’une telle épidémie serait selon l’étude une baisse de 2 % de la croissance. Historiquement, le rapport entre une forte baisse des marchés et celle de la croissance est de 1 à 10. Une chute de 33 % d’un indice équivaut à recul de 3 % du PIB, cohérent avec une crise plus grave que celle des année 50 Les marchés n’ont donc pas capitulé, ils se sont simplement adaptés à un environnement changeant. Notons que, en 2020, si nous anticipons une baisse des PIB des économies développées, la croissance devrait restée positive pour les économies émergentes.

Les réponses des banques centrales et des gouvernements sont-elles satisfaisantes ?

Leurs réponses ont été particulièrement fortes et rapides afin d’éloigner le risque de déflation, qui n’est plus à l’ordre du jour. L’essentiel des mesures fiscales ont aujourd’hui été divulguées. Elles représentent près du double de celles annoncées pour la crise de 2008 ! La puissance des réponses fait même un peu oublier les statistiques économiques désastreuses publiées récemment. 3,3 millions d’américains ont par exemple fait une demande d’allocation chômage la semaine dernière, près de 5 fois plus que le précédent « record ».

"Le crédit reste la classe d’actifs la plus vulnérable" 

Le rebond des marchés financiers viendra-t-il de la Chine ?

Une partie de l’Asie a mis en place des mesures fortes pour vaincre l’épidémie. La Chine, Hong-Kong, Singapour ou la Corée du Sud sont en train d’y parvenir. En Chine, les indicateurs montrent une reprise du trafic routier, de la consommation de charbon et de la vente des véhicules. L’activité reprend. Notre intérêt pour les actions dans la zone est évident, de préférence sur les pays et les entreprises disposant d’une visibilité sur leur croissance économique. Certes, la Chine va être confrontée à une baisse de la demande venant des pays développés. Mais les autorités du pays ont les moyens de mettre en œuvre des plans de relance pour soutenir la consommation domestique et leur monnaie.

Les États-Unis sont désormais l’épicentre de l’épidémie.

La situation américaine est plus préoccupante. L’administration américaine a tardé à prendre des mesures qui dégraderaient fortement l’activité et l’emploi.

Les entreprises américaines sont par ailleurs très endettées …

La liquidité sur les marchés obligataires s’est appauvrie, ce qui explique en partie le stress des investisseurs. Les banques pour des raisons réglementaires interviennent moins. Les mesures de la FED et de la BCE permettent cependant d’assurer et d’améliorer de la liquidité à court terme. L’endettement des sociétés américaines par rapport au PIB du pays a battu des records. Avec le ralentissement de l’activité, la question se pose de manière aigue. Pour y répondre, des actions coordonnées ont été menées par le gouvernement et la banque centrale. Mais la qualité de crédit était déjà en cours de dégradation aux États-Unis avant cette crise. En Europe, celle-ci était bien plus saine. Le profil de crédit des sociétés européennes peut leur permettre de mieux résister.

"La demande de pétrole pourrait baisser de plus de 20 millions de barils jour au cours du mois d’avril" 

Quelles sont vos positions sur les marchés ?

Le crédit reste la classe d’actifs la plus vulnérable. Nous avons une préférence pour l’or, les obligations d’état et les actions chinoises. Des doutes sur la croissance économique vont s’installer dans les trimestres à venir. Nous avons donc la conviction que les gagnantes à long terme seront les entreprises ayant une croissance visible pour pallier la volatilité des profits en période de récession. Le Work from home va booster la pénétration du digital avec l’adoption rapide des jeux, du commerce en ligne des conférences téléphoniques…Les datas centers et la cybersécurité en bénéficieront aussi. Enfin, la santé sera à son avantage. Pour les biotechs, nous privilégions les sociétés les mieux installées, capable de générer du cash. Les services aux collectivités locales ont fait l’objet de ventes indifférenciées. Or, celles-ci sont peu cycliques et pourraient bénéficier de plans de relance par l’investissement en infrastructures.

Pourquoi investir sur l’or maintenant ?

Le métal jaune a eu un parcours contre-intuitif depuis le début de la crise. Il a commencé par monter puis a chuté pendant les fortes baisses des marchés actions. Au même titre que les obligations d’états, l’or a servi de réserve de liquidité pour que les investisseurs puissent payer leurs appels de marges dans la dégringolade des actions. Toutefois, à moyen terme, avec le soutien des banques centrales et la baisse des taux, l’intérêt des placements obligataires se réduit. L’importance des liquidités offertes par les banques centrales donne également un sentiment de dévalorisation à moyen terme de la monnaie. Cet environnement devrait jouer en faveur de l’or.

Un rebond du pétrole est-il attendu ?

La Banque centrale russe a estimé dans une communication aux investisseurs que le pétrole devrait remonter à moyen terme mais qu’une baisse des prix à court terme ne pouvait être exclue. Nous partageons ce point de vue. En parallèle d’une offre pléthorique, la demande est aujourd’hui en chute libre. Les capacités de stockage permettent d’amortir le choc mais elles semblent bientôt à plein. Ces éléments jouent en défaveur du pétrole à courte terme. À moyen terme, le retour de la croissance et l’élimination des producteurs à haut coût plaide pour une remontée vers les 30 ou 40 dollars le baril.

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurélien)

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