D. Dorlipo (Pimco) : "Notre scénario de base prévoit une trajectoire en U pour la croissance mondiale"
Décideurs. Pouvez-vous redessiner les contours de la société de gestion Pimco ?
Dominique Dorlipo. Avec plus de 1 800 milliards d’euros d’actifs sous gestion, Pimco figure parmi les sociétés de gestion les plus importantes au monde. Spécialisés dans la gestion obligataire dite active, nous comptons près de 2 800 collaborateurs et 17 bureaux dans le monde. Notre société est présente à Paris depuis près de deux décennies. Historiquement, notre offre s’adressait principalement aux grands donneurs d’ordres institutionnels et des grandes banques de réseaux. Ces dernières années, nous réalisons un rééquilibrage de notre activité auprès des banques privées indépendantes et des multi-family offices. Leurs besoins sont en effet les mêmes que ceux des grands investisseurs : la recherche de rendement et un intérêt pour la gestion absolue et flexible.
Chose rare, votre maison mère Allianz a communiqué sur une collecte proche de 83 milliards d’euros en 2019. Quel bilan faites-vous de l’année 2019 ?
Traditionnellement, Pimco ne communique pas sur ces chiffres. Les informations délivrées par Allianz traduisent notre belle année, sur toutes les zones géographiques, en Europe, en Asie et en Amérique du Sud.
Quels ont été les produits phares ?
Les investisseurs ont montré beaucoup d’intérêt pour la stratégie dite crédit, appliquée notamment dans les pays émergents. C’est également le cas du fonds Income grâce à son approche tout-terrain, adaptée aux différentes phases de marché. Les investisseurs français apprécient également le segment de la dette privée, stratégie plus illiquide mais leur permettant d’aller chercher un rendement potentiellement supérieur. Les approches flexibles ont enfin très bien fonctionné. Ce début d’année marque cependant un ralentissement, en raison de l’effet déstabilisateur du Coronavirus. La période actuelle soulève des interrogations de la part de nos clients. Certains commencent à repositionner leurs portefeuilles sur le crédit pour profiter des opportunités uniques qu’offre la dislocation des marchés de taux que nous connaissons. Une telle situation où en quelques semaines les prix de marché anticipent des taux de défaut de 4 à 5% alors que le pire que nous ayons connu est moins de 1%, et c’était en… 2008, et que la FED, pour la première fois achète des obligations privées, est tout simplement une situation inédite. Dans ce contexte, certaines de nos stratégies crédit affichent désormais des taux de rendement de 6-7%. Même si la volatilité va persister dans les semaines et mois à venir, ces taux restent attractifs à terme.
"Les prix de marché anticipent des taux de défaut de 4 à 5% alors que le pire que nous ayons connu est moins de 1%, et c’était en… 2008"
Quelles sont vos anticipations pour les mois à venir ?
Notre scénario de base actuel, qui suppose que la propagation du virus en dehors de la Chine atteindra un pic dans les prochains mois, prévoit une trajectoire en U pour la croissance mondiale au cours des prochains trimestres. Toutefois, ce U pourra ressembler dans un premier temps à un I, avec une chute brutale de la croissance économique, puis à un L, l’économie se trouvant dans un creux. La visibilité restera faible pendant un certain temps, avant que la croissance ne s’infléchisse à la hausse et que la courbe ascendante du U ne se matérialise.
Dans ce contexte, la prudence s’impose en ce qui concerne les actifs à risque et il faut se concentrer sur la liquidité et la préservation du capital. Nous pensons en particulier que les obligations de qualité supérieure ont un rôle clé à jouer dans les portefeuilles des investisseurs. Elles devraient continuer à fournir un certain coussin en période de tensions sur les marchés. En outre, les écartements historiques de spreads que nous avons connus ces dernières semaines et le soutien des banques centrales, notamment de la FED constituent des points de support inédits pour rentrer sur ces marchés de taux.
Toutefois, nous pensons également qu’il est important de maintenir une approche flexible pour équilibrer les actifs de haute qualité et les actifs à risque, en gardant une réserve de liquidités pour faire face à la volatilité. Ainsi, même si les titres à revenu fixe continueront à jouer un rôle, nous devrons probablement aussi changer d'état d'esprit et opter pour une plus grande flexibilité dans la gestion.
Notez-vous une différence de comportement des investisseurs français par rapport à leurs homologues américains ?
Il y a très peu de différence sur le fond en réalité. Les investisseurs de long terme ont des besoins identiques, en matière de diversification et de recherche de rendement pour faire face à leurs engagements, quel que soit le pays. Les deux aspects où les investisseurs français se distinguent, c’est d’une part, dans l’intégration beaucoup plus prononcée des critères ESG dans leur démarche, et d’autre part, sur la diversification de portefeuille. Ils sont encore très fortement axés sur leur marché domestique et la zone Euro. Pimco se démarque en leur apportant une approche de diversification globale.
Quel regard portez-vous sur les nombreuses opérations de concentration qui ont lieu sur le marché ?
Ce phénomène me semble inévitable. Est-ce pour autant une stratégie gagnante ? Il ne m’appartient pas de le dire. Pimco veut continuer à se différencier pour apporter de l’alpha à ses clients. Nous avons la conviction que la spécialisation continuera de payer. Notre stratégie repose sur une gestion obligataire active. Et la recherche montre que la gestion active obligataire est génératrice de valeur.
"La Californie est beaucoup plus avancée dans l’intégration du risque climatique que le pays en lui-même"
Depuis une dizaine d’années, Pimco développe une offre obligataire intégrant les critères ESG. Comment cela se concrétise dans vos fonds ?
L’approche ESG est intégrée dans nos processus d’investissement depuis 2011. Ce sont des éléments pris en considération dans l’évaluation titre par titre des portefeuilles par l’ensemble de nos équipes d’analystes sectoriels. Plus de 97 % des titres sont ainsi notés ESG. Nous sommes très actifs sur le sujet. Le lancement du fonds Emerging Markets Bond ESG en est l’une des illustrations. La stratégie Crédit Global de Mark Kiesel et celles centrées sur les investissements obligataires internationaux d’Andrew Balls présentent aussi une version ESG. Par ailleurs, nous avons lancé un fonds climat aux États-Unis.
Certaines sociétés de gestion ont choisi de faire labelliser une partie de leur gamme de fonds. Pourquoi ne pas avoir fait ce choix ?
L’un de nos fonds a récemment obtenu le label pour les produits financiers durables et socialement responsables, Towards Sustainability, délivré par Febelfin, fédération belge du secteur financier axée sur le développement d'un système financier social et transparent.
Ce label est une référence en Europe et sur le plan international. C’est une belle reconnaissance pour un travail fructueux. Nous sommes donc intéressés par les labels, mais, à ce jour, cela ne constitue pas une exigence systématique de la part de nos clients qui nous sollicitent assez peu sur le sujet. Les investisseurs institutionnels effectuent cependant des analyses poussées de leurs portefeuilles et n’hésitent pas à réaliser des arbitrages lorsque l’intégration des critères ESG n’est pas suffisante.
L’Europe a-t-elle un temps d’avance sur les États-Unis concernant l’intégration des critères ESG et du risque climatique ?
Il y a un décalage entre le discours tenu au niveau de l’état fédéral et les actions menées dans les États et les villes. La Californie est un exemple intéressant. Cet État est beaucoup plus avancé dans l’intégration du risque climatique que le pays en lui-même. Mais ces actions sont cependant moins visibles.